Dr Anil Banymandhub : « Maurice a eu la chance d’être touchée par un variant faible »

« Le problème c’est que les autorités médicales mauriciennes n’ont pas pris en considération le côté psychologique et psychique de la pandémie »

- Publicité -

« Ceux qui choisissent de ne pas se faire vacciner ne peuvent pas faire courir à ceux qui l’ont fait le risque de se faire infecter »

« À Maurice, on ne réfléchit pas, on ne prend pas le temps d’étudier un problème pour trouver la meilleure solution: on réagit dans l’urgence, ce qui conduit souvent à faire n’importe quoi »

Notre invité de ce dimanche est le Dr Anil Banymandhub, psychiatre. Après ses études secondaires en Grande-Bretagne, il entre à l’université de Leeds pour des études de médecine puis de psychiatrie. Après avoir travaillé quelques années en Grande-Bretagne, il revient à Maurice en 1989. Cinq ans plus tard, le Dr Banymandhub regagne la Grande-Bretagne pour entamer une carrière professionnelle qu’il terminera en tant que directeur médical d’un hôpital. Apres une retraite prématurée, il rentre à Maurice en 2012 et exerce, depuis, dans le privé.

O Quelles peuvent être les conséquences psychologiques et psychiatriques des mesures de confinement contre la covid 19 pour le Mauricien ?
— Il faut déjà admettre que le monde d’avant le confinement n’existe plus. Les choses simples qui nous semblaient naturelles, normales, et notre façon de vivre quotidienne ne sont plus possibles. Et c’est dramatique parce que l’essentiel du comportement de l’être humain est basé sur des automatismes qui l’aident à vivre. Des automatismes auxquels nous sommes adaptés.
O Justement, l’évolution de l’espèce montre que l’être humain a su continuellement s’adapter aux guerres, aux changements climatiques, aux religions, aux idéologies et aux progrès. Pourquoi ne semble-t-il pas pouvoir s’adapter à la covid?
— Il sera obligé de se plier aux nouvelles règles. Mais pour le moment, il est agité par beaucoup de sentiments, dont la colère, parce que justement il doit faire face à de nouvelles contraintes qui sont contraires à ses automatismes. Il doit faire la queue, porter un masque, limiter ses déplacements, modifier son mode de vie. Ce n’est pas énorme si l’on regarde bien, mais ces changements engendrent du mécontentement, de la colère rentrée. Le problème c’est que les autorités médicales mauriciennes n’ont pas pris en considération le côté psychologique et psychique de la pandémie.
O Est-ce que ces conséquences sont visibles ou refoulées pour le moment?
— Elles ne sont, peut-être, pas très visibles jusqu’à l’heure, mais elles sont énormes en termes de dépression, d’anxiétés, de peur de l’avenir – surtout de la part des jeunes –, d’insomnies, de déprime. Ces facteurs n’ont pas été pris en compte dans la gestion de la pandémie. Pour les autorités, la covid se résume à la détection, aux tests et à la quarantaine. Cela fait plusieurs mois que l’on note que le nombre de personnes qui mendient pour demander des vivres – pas de l’argent – a augmenté. C’est un signe parce que dans n’importe quelle situation, le Mauricien garde toujours une forme de fierté. Frapper à une porte pour demander à manger indique qu’il n’en peut plus, qu’il est arrivé au bout de quelque chose. Je crois que tout cela nous mènera vers une explosion sociale. Le gouvernement gère l’épidémie depuis les ministères, d’en haut, mais ne descend pas sur le terrain pour voir que ceux qui ne sont pas positifs – la très grande majorité – sont aussi des victimes de l’épidémie, se sentent mal. La qualité de la vie est en train de se dégrader. Des familles de la classe moyenne ont été obligées de retirer leurs enfants des écoles privées payantes pour les transférer à l’école publique. C’est un drame qui laissera des séquelles. Le Mauricien est tolérant, mais il a été habitué à vivre dans un certain confort et, du jour au lendemain, son salaire diminuera ou pire. Ces drames provoqueront de grandes colères.
O Contre les autorités, le gouvernement?
— Le Mauricien n’est pas encore en colère contre le gouvernement, il ne l’écoute plus tellement, il a fané dans la gestion de la crise. Prenons le cas des dialysés de l’hôpital de Souillac – grave faute médicale sur laquelle aucune enquête n’a encore été ouverte. Quelque part, le système n’a pas fonctionné comme il le fallait et des gens en ont été victimes. Au lieu de le reconnaître, les responsables racontent toutes sortes d’histoires et veulent que le Mauricien les croient, les écoutent, appliquent les consignes que les ministres violent impunément! On prend les Mauriciens pour des bourriques !
O Le Mauricien est un suiveur de consignes, même s’il grogne pour le faire. Il s’arrange pour ne pas protester trop fort contre les autorités de peur de représailles.
— Je ne crois pas que le Mauricien soit un suiveur, il est plutôt un jouisseur. Je m’explique : le système l’a fait devenir un égoïste qui se sent bien tant qu’il n’a pas de problèmes, est capable de profiter de la situation et d’en tirer des avantages personnels. Jusqu’à maintenant, malgré les restrictions, il peut encore vivre plus ou moins correctement. Pas grand’chose a changé dans sa vie. Il a été confiné, certes, mais a continué à percevoir son salaire subventionné. Et là, je parle surtout du secteur public, parce que la situation est beaucoup plus dégradée dans le privé. Car les subventions sont des prêts qu’il faudra bien rembourser et il faut se poser la question : jusqu’à quand le gouvernement pourra continuer à prêter pour subventionner une partie des salaires avant d’arriver au licenciement? Tout cela nous pend au nez et on ne prépare pas les Mauriciens à cette situation inévitable.
O Permettez moi d’être cynique. L’accumulation des maux psychologiques que vous venez de citer rempliront les consultations des psychologues et des psychiatres!
— Pas du tout parce que les Mauriciens n’en ont plus les moyens avec les conséquences économiques de la pandémie. Les Mauriciens ont aujourd’hui d’autres priorités plus urgentes que de s’occuper de leur état psychologique, alors que tout est lié. Les premières victimes directes d’une crise économique et sociale est la classe moyenne qui augmentera la classe pauvre. Les riches sont à l’abri et, c’est pas cynique de le dire, les pauvres ne peuvent s’appauvrir davantage, tandis que la classe moyenne, qui est un des principaux moteurs de l’économie, est en train de s’écrouler.
O En quoi la covid 19 est-elle différente des autres épidémies que le monde a subies dans le passé? Le SIDA et le diabète font plus de victimes que la covid, mais on ne leur a jamais accordé l’importance donnée à la covid. Pourquoi?
— Ma réponse choquera, sans doute, mais c’est la réalité. Si la covid, comme l’ébola, touchait seulement l’Afrique ou l’Asie, nous n’aurions pas eu le branle-bas de combat mondial que ce virus suscite. La covid 19 a attaqué et tué des Européens et Américains blancs et a été traitée comme une menace contre l’humanité.
O Le gouvernement mauricien proclame que sa gestion de la covid est une des meilleures au monde et a affirmé qu’elle est citée en exemple.
— Je me demande si la « modestie » du gouvernement dans ce cas précis et sa capacité à « tap so l’estomac » n’est pas un des symptômes de la covid !
O On a beaucoup dit que l’enfermement, l’absence de liberté et la promiscuité forcée pouvent faire naître des situations de violence conjugale ou contre les enfants.
— Même s’il adore sa femme, ses enfants et ses proches, l’humain n’est pas fait pour vivre 24 heures l’un sur l’autre. Comment s’auto-isoler alors que l’on vit à cinq ou six dans un flat de trois chambres avec une seule toilette? Confiné dans son flat, c’est automatique que la promiscuité engendre des conflits et, malheureusement dans certains cas, des violences. L’humain et ses probables réactions face à cette nouvelle situation n’ont pas été pris en compte dans la gestion de la covid. Les autorités ne se sont occupés que de quarantaine et de statistiques. Imaginez le stress des cardiaques, des diabétiques, des hypertendus obligés de rester chez eux, de ne pas pratiquer les exercices physiques qui font partie de leur traitement. On est en train de tenter de juguler l’épidémie sans s’occuper des effets psychologiques qui en découleront.
O Que pensez vous de ce comité d’experts nommés par le gouvernement pour gérer la covid?
— Je n’ai pas confiance dans ce qu’ils disent. Ils sont erratiques, annoncent une chose aujourd’hui et son contraire le lendemain, changent de décision de temps à autre et disent des énormités. Comment peut-on exiger le respect des gestes barrières sur le bus stop et autoriser les autobus à prendre soixante passagers? Les experts du gouvernement ont des preuves que le virus ne prend pas l’autobus? Expliquez-moi comment Vallée Pitot, quartier populeux, a tellement des cas qu’il faut la décréter zone rouge, alors que la Plaine Verte, quartier voisin qui a les mêmes caractéristiques, n’est pas contaminée? Le virus a stoppé entre les deux quartiers comme il s’arrête à l’entrée des autobus? C’est pour ces incohérences que les Mauriciens n’écoutent plus les discours et annonces du comité d’experts et préfèrent regarder le tennis ou les matches de l’euro!
O Comment expliquez-vous cette manière de faire des autorités?
— Cette manière de dissimuler les faits, de ne pas dire toute la vérité est un comportement bien mauricien. On pense qu’on est un « mari » sur tous les sujets et domaines, on donne donc des avis et on prend des décisions. Dans le secteur public, beaucoup ont accédé à des postes de responsabilité sans avoir les capacités pour le faire. Pour « arriver » à Maurice, il faut être d’abord le fils de, le neveu ou le cousin d’un autre et faire partie du bon bord politique. Ce qui pousse ceux qui ont les capacités et l’expérience, mais pas les « qualités » que je viens d’énumérer, à ne pas rentrer à Maurice après leurs études à l’étranger.
O Mais vous êtes bien rentré, vous?
— Je suis rentré une première fois et j’ai tenu cinq ans avant de repartir. Je suis revenu une deuxième fois, mais après avoir fait à l’étranger une carrière que je n’aurais jamais eue à Maurice. Ici, pour réussir, il faut en général aller taper à une porte, demander une faveur et, comme on le dit si bien, « rod en boutt » en acceptant de faire tout ce qu’on demandera en retour. C’est une attitude qui existe depuis bien longtemps mais qui s’est développée à une vitesse accélérée ces dernières années. La plupart accèdent à des postes de responsabilités en montant automatiquement dans la hiérarchie, pas par leur mérite ou leurs qualités de leader, mais parce que c’est leur tour. Le système ne correspond pas aux exigences de la société d’aujourd’hui. Gaëtan Duval disait qu’à Maurice, l’hindou ne vote pas pour un parti politique, il vote pour l’Hôtel du gouvernement, pour le pouvoir. C’est un syndrome qui a empiré au fil des années.
O Quelle est votre vision de l’avenir de Maurice à court terme?
— Je suis incapable d’en avoir une avec la situation que nous sommes en train de vivre. Tout ce que je peux prévoir est que la série de maux que subit le Mauricien finira par une explosion. Le sociologue français Emile Durkheim disait que quand il y a un problème où l’être humain se sent en dehors de la société, tout peut arriver.
O Cela fait des années que des observateurs disent qu’il arrivera un moment où les exclus ne pourront plus le supporter et pourraient faire n’importe quoi. Pourquoi cela arriverait-il maintenant?
— Jusqu’à maintenant, ces exclus faisaient partie d’une importante minorité qui est en train d’augmenter avec la dégringolade de la classe moyenne. Il y a dans notre pays au moins une génération, celle des années 1980 à monter, qui n’a pas connu la misère et a tout eu sur un plateau. Elle est habituée à bien vivre, à avoir sa maison, sa voiture, à envoyer ses enfants dans une école privée. Mais que se passera-t-il quand il commencera à perdre tout ce qui faisait partie de son quotidien, de son image sociale, et quand il passera de la classe moyenne à plus bas? Si les autorités ne préparent pas la population à ce qui arrivera, il faut redouter le pire. Mais dans tout cela, Maurice a eu – et je pèse bien mes mots – de la chance d’avoir été touchée par un variant faible qui n’est pas mortel. Je ne crois pas que ce sont les comités du gouvernement qui aient limité le nombre de décès, mais les caractéristiques du variant. Si nous avions eu le premier type ou celui qui vient de l’Inde, la situation aurait été dramatique. Les autorités savent que le virus n’est pas mortel et tablent dessus pour dire qu’ils ont bien géré l’épidémie. Mais il faudra bien, un jour ou l’autre, créer une vraie commission d’enquête sur la manière dont les autorités ont réellement géré la covid. Sur cette pandémie qui a été un véritable bonanza pour certains! Je le repète : nous avons beaucoup de chance à Maurice. Si le variant était fort au point de multiplier les cas et de submerger les hôpitaux, avec le niveau de notre système de santé, la situation aurait été hors de contrôle. Et ce, malgré ce que le soi-disant psychiatre qui dirige la santé peut dire du secteur qu’il dirige.
O J’ai été étonné que le psychiatre qui occupe le poste de ministre de la Santé insulte un de ses adversaires politiques à l’Assemblée en utilisant des termes médicaux. C’est éthique?
— C’est de la bassesse. Ce comportement montre le manque de maturité et de respect des règles de la profession de celui qui occupe le poste de ministre de la Santé. Ce qui est extraordinaire est que le Medical Council, chargé de faire respecter la profession et son image, n’ait pas réagi. Dans n’importe quelle démocratie, le Medical Council aurait convoqué le ministre-médecin pour lui infliger au moins un blâme pour son langage et son comportement. Mais ceci dit, il faut souligner que selon le Medical Act, amendé entre 2000/ 2015, tout blâme ou sanction contre un médecin doit être avalisé… par le ministre de la Santé! Voilà un autre exemple de la manière dont fonctionne le système de santé à Maurice.
O Est-ce que les anti-vaccins ne posent pas une vraie question: en obligeant le citoyen à se faire vacciner, on ne porte atteinte à sa liberté de choisir ?
— C’est un choix que chacun doit assumer, mais avec ses conséquences. Ceux qui refusent de se faire vacciner ne peuvent pas imposer leur choix à ceux qui pensent autrement. Donc, ceux qui choisissent de ne pas se faire vacciner ne peuvent pas faire courir à ceux qui l’ont fait le risque de se faire infecter. C’est pour cette raison qu’il est juste qu’il n’aient pas accès à certains lieux. Il y a dans cette question un problème de choix individuel opposé à un choix sociétal. Cela dit, je crois que les vaccinés sont une grosse majorité et en démocratie, la majorité l’emporte.
O Le ministère de la Santé a interdit aux praticiens de délivrer des prescriptions pour une série de produits, dont des tranquillisants et des calmants, très demandés en cette période de pandémie. La raison est pour mettre fin aux pratiques de certains praticiens et pharmaciens. Votre réaction ?
— La mesure est juste, mais la façon de la mettre en application est aberrante. Pour obtenir cinquante prescriptions, le médecin doit aller en personne à Port-Louis dans plusieurs endroits, ce qui prendra des heures, pour remplir les formalités et obtenir un carnet de prescriptions. Encore une preuve que le système de la santé à Maurice c’est Rolex made in China…
O…certains pourraient trouver un ton raciste à cette…réflexion…
— …que diraient-ils si je disais Rolex made in India!? On s’auto décerne des certificats d’excellence alors qu’on n’est même pas capable d’organiser un système de distribution de prescriptions décentralisé à travers les cinq principaux hôpitaux du pays! L’abus vient de quelques généralistes et pharmaciens pas de la majorité. Avec la méthode utilisée pour mettre en pratique cette mesure, le ministère a créé une psychose dans la profession et augmenté les angoisses des patients! De manière générale, le gouvernement n’est pas pro actif mais réactif. On laisse pourrir la situation qui dégénère en problème avec des protestations, pour réagir dans l’urgence en essayant de trouver une solution rapide. Il y a un manque de planification à tous les niveaux à Maurice. Je vous donne un exemple flagrant: c’est parce qu’il y a eu des inondations qu’on construira des drains dans tout le pays en urgence, alors qu’on aurait dû l’avoir fait depuis des années, avant les inondations. À Maurice, on ne réfléchit pas, on ne prend pas le temps d’étudier un problème pour trouver la meilleure solution, on réagit dans l’urgence, ce qui conduit souvent à faire n’importe quoi. C’est toujours la tisane après la mort. Comme on le dit si bien en créole, le système est cariaté.
O Vous ne regrettez pas d’être revenu vivre à Maurice dans ce système dont vous venez de brosser un tableau qui est loin d’être réjouissant ou encourageant ?
— Non, puisque je vis sur mes termes ici. Dieu merci, je n’ai pas besoin de travailler pour gagner ma vie, sinon j’aurais été bien misérable et malheureux. Car le système médical est bien loin de l’image que ses responsables veulent donner de lui. Le système ne peut pas évoluer parce que ceux qui le contrôlent – pas toujours bien – pensent qu’ils sont indispensables, s’accrochent et ne cèdent pas la place aux jeunes qui ont des idées nouvelles et une expérience acquise à l’étranger. Je ne regrette pas d’être revenu vivre à Maurice où je travaille à mon rythme et en partageant, quand l’occasion m’est donnée comme aujourd’hui, mes constats et mes idées pour essayer de contribuer à faire avancer les choses dans mon domaine de compétence.

- Publicité -
EN CONTINU

l'édition du jour

- Publicité -