Madan Dulloo : « Je n’avais pas d’autre solution que de démissionner du MMM ! »

Notre invité de ce dimanche est Madan Dulloo, politicien de carrière qui vient de démissionner des instances du MMM. Dans l’interview réalisée à son bureau vendredi, il répond à nos questions en plongeant dans son passé avant d’aborder le présent. À travers le parcours de Madan Dulloo, c’est l’histoire politique de Maurice qui est racontée, avec ses contradictions, ses convulsions, ses alliances qui font que le partenaire d’aujourd’hui peut devenir l’ennemi de demain, avant de redevenir le partenaire indispensable.

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Avant d’aborder votre présent et, si le voulez, votre futur, commençons par votre passé politique très agité, pour dire le moins. Vous avez été parmi les premiers militants du MMM…
— En 1969, alors que je terminais mon HSC, je participais déjà aux manifestations organisées par le MMM. J’ai brandi je ne sais combien de pancartes “Go home !” dans le cadre de la lutte pour la décolonisation de notre pays. Puis, je suis allé faire mes études en Angleterre et en France où j’ai rejoint les branches du MMM et quand je suis rentré à Maurice, j’ai rencontré les dirigeants du MMM et donné un coup de main en tant qu’avocat pour tous les syndicats affiliés au MMM. Puis, aux élections de 1976, Anerood Jugnauth a insisté pour que je sois candidat, ce que je ne voulais pas. J’ai fini par accepter et j’ai choisi le N°6 où j’ai été élu, et avec mes camarades élus, nous avons fait un énorme travail d’opposition au Parlement et dans le pays. Ce qui nous a permis, en alliance avec le PSM, d’obtenir les premiers 60-0 de l’histoire de Maurice et je crois du monde, en 1982.
Et en 1983, avec la cassure, vous quittez le MMM pour rester avec Anerood Jugnauth et faire partie du nouveau parti le MSM…
— Remettons les choses dans leur contexte. En octobre 1982, quelques semaines après la victoire historique aux élections, Paul Bérenger démissionne du gouvernement suite à un clash avec Kader Bhayat, alors ministre du Commerce, sur la question de subsides sur le riz et la farine. Bhayat voulait les maintenir et Bérenger, alors ministre des Finances, voulait les abolir. Il y a eu une réconciliation au sein du MMM, puis des tensions avec le PSM jusqu’en mars 1983, quand Bérenger et douze ministres et députés MMM soumettent leur démission et cassent le gouvernement. J’ai essayé de faire une réconciliation entre les deux parties pour sauver le gouvernement et le pays: je n’ai pas réussi. J’ai été exclu du MMM et j’ai décidé de tenter de regrouper une majorité de parlementaires autour d’Anerood Jugnauth et, en avril, nous avons formé le MSM. Puis, nous nous sommes alliés au PTr de SSR, de SVR, de SSB, au CAM de Yousouf Mohamed et au PMSD de Gaëtan Duval pour faire l’alliance bleu-blanc-rouge et en août, nous sommes allés aux élections anticipées que nous avons remportées haut la main. Malgré les propositions, j’ai refusé un poste de ministre et j’ai siégé comme simple député.
Pourquoi avez-vous refusé un poste de ministre alors que les nouveaux élus se battaient pour avoir un maroquin, même petit ?
— Il y avait beaucoup qui voulaient être ministres à tout prix et ils ont tout fait pour cela, pas moi. Je n’ai accepté un poste de ministre qu’après l’affaire Amsterdam, qui a éclaté en 1985. Avant, j’avais déjà dénoncé certains politiciens impliqués dans le trafic de la drogue à Anerood Jugnauth. Il m’avait demandé des preuves que je n’avais pas, mais il a fini par accepter de créer un select committee sur la drogue que j’ai présidé. Ce qui m’a fait découvrir l’ampleur du problème et ses ramifications politiques. J’ai déposé le rapport du comité le 23 décembre et quatre jours après, quatre députés du MSM sont arrêtés avec de la drogue à l’aéroport d’Amsterdam, provoquant une stupeur nationale. Quatre ministres ont démissionné, le pays était en crise et le gouvernement en train de chanceler. C’est à ce moment-là que j’ai accepté d’entrer au gouvernement comme ministre des Affaires étrangères pour sauver le pays en demandant de l’aide au niveau international. Puis, en 1987, après une autre crise gouvernementale, j’ai pris le poste de ministre de l’Agriculture, de la Pêche et des Ressources naturelles.
Et l’on vous présenta comme le dauphin et le successeur de SAJ. Et c’est de ce poste de ministre de l’Agriculture que vous serez révoqué en 1994, officiellement après votre refus de fermer l’usine de St-Antoine, mais officieusement pour ne pas avoir suivi une décision du cabinet sur la question de la transformation des terres agricoles…
— Ce n’est pas vrai. J’ai toujours respecté et suivi à la lettre les décisions du Conseil des ministres. C’est la centralisation, la modernisation de l’industrie sucrière, le programme de développement des énergies renouvelables qui ont posé problème. On voulait prendre les meilleures terres agricoles du pays — dont celles du nord — pour les morceler et les transformer en villas, immeuble set hôtels. J’ai dit mon désaccord. Le cabinet — soutenu par des lobbies — a maintenu le contraire et j’ai été révoqué après. L’interview que je vous avais donnée était en fait un prétexte cachant beaucoup de conflits, beaucoup de travail de lobbies, mais aussi le fait que je n’étais pas d’accord avec la révocation, en 1993, de Bérenger, qui était revenu au gouvernement dans le cadre de l’alliance MMM-MSM de 1991. Ma révocation en 1994 a été orchestrée par des membres du MSM, principalement Nando Bodha, qui venait de quitter la direction de la MBC pour devenir le secrétaire général du MSM.
C’est après cette révocation que vous avez créé votre propre parti, le MMSM, avec le symbole de la roue…
— J’avais choisi le soleil pour le MSM, j’ai choisi la roue du temps pour mon parti. J’ai créé le MMSM pour partager mes idées sur le développement de mon pays, pour me défendre des fausses accusations portées contre moi par certains au MSM et même au MMM, et pour répondre à l’appel des milliers de personnes qui ne voulaient pas que je quitte la politique. Des politiciens sont venus rejoindre mon parti qui a eu, à un moment donné, plusieurs députés au Parlement.
Comment avez-vous fait pour vous retrouver au PTr de Navin Ramgoolam, dont vous avez été le ministre des Affaires étrangères pendant un moment ?
— Contrairement à ce qui a été écrit, je n’ai jamais été membre du PTr. C’est mon parti le MMSM qui, en 2000, a conclu une alliance avec le PTr.
Un parti dont vous étiez le leader et on sait à Maurice que ce sont les leaders qui font des alliances que leurs instances ne font que ratifier !
— En 1994, le MMSM a fait une alliance avec l’alliance PTr-MMM pour les élections de 1995 et devait avoir quatre tickets. Puis, au fur et à mesure, le nombre de tickets promis a été divisé par deux, avant d’être réduit à un seul. Après, mon parti a fait une alliance avec le PMSD de Xavier Duval et les verts de Rama Valayden, puis plus tard avec le PTr pour faire une plateforme commune qui est devenue l’alliance nationale rouge, bleu, jaune, vert qui a perdu aux élections de 2000. Mais nous avons maintenu l’alliance qui a remporté les élections en 2005 et je suis devenu ministre des Affaires étrangères et de la Coopération nationale.
Vous avez, avec votre parti, travaillé avec tous les autres partis politiques mauriciens. Pourquoi avez-vous été révoqué par Navin Ramgoolam, trois ans après les élections de 2005 ?
— J’ai fait des alliances politiques dans l’intérêt supérieur du pays, mais je n’ai jamais intégré d’autres partis en dehors du MMM et du MSM que j’avais contribué à créer. Certains ont dit que j’ai été révoqué en 2008 parce que je faisais de l’ombre à Navin Ramgoolam au niveau international de par mes contacts avec des dirigeants de certains pays d’Afrique. Rumeurs qui ont été entretenues par d’anciens MSM qui avaient intégré le PTr.
Vous avez été le partenaire de Jugnauth, de Bérenger, de Ramgoolam et de Xavier Duval. Avec lequel de ces leaders vous êtes- vous le mieux entendu ?
— Chacun a ses qualités et ses défauts. Si Bérenger pouvait être fidèle à ses alliés, il aurait été un homme politique extraordinaire. Pour Navin Ramgoolam, il faut lui donner du temps pour sa vie personnelle. Anerood Jugnauth était un démocrate qui écoute la voix de la majorité, même si la majorité se trompe visiblement, et j’en ai fait les frais. Quant à Xavier Duval, je trouve qu’il fait actuellement un bon travail comme leader de l’opposition.
Continuons avecvotre cheminement politique mouvementé. Pourquoi et comment êtes-vous retourné au MMM ?
— Après ma révocation du gouvernement PTr en 2008, mon parti le MMSM a fait une alliance avec le MMM qui, entre-temps, s’était séparé du le PTr et nous avons signé un accord, basé sur un programme, pour les élections de 2010 : Bérenger allait être PM pendant la première moitié du mandat et moi pendant la seconde. Par la suite, un problème est survenu parce qu’il aurait fallu donner au MMSM autant de tickets qu’au MMM, c’est-à-dire trente, alors que nous n’étions qu’un petit parti. Pour régler ce problème, Bérenger m’a proposé que le MMSM soit dissous et que ses membres intègrent le MMM, ce que nous avons fait. Mais par la suite, le partage du poste de PM entre Bérenger et moi a été remis en question, et comme j’avais déjà dissous mon parti et intégré le MMM, je ne pouvais rien faire. Nous sommes allés aux élections en proposant Bérenger comme PM pour cinq ans et nous avons ramassé enn bate kondire. C’est le PTr, qui avait fait une alliance de dernière minute avec le MSM, qui est sorti vainqueur de ces élections.
Et pour les élections de 2014, le MMM a refait alliance avec le PTr. Vous étiez d’accord avec cette nouvelle formule ?
— Avant il y a eu le re-remake MSM-MMM que j’ai soutenu. J’étais à Flic-en-Flac quand SAJ a mis un bout de gâteau dans la bouche de Bérenger, avant que ce dernier n’aille retrouver Navin Ramgoolam. C’est pourquoi, quand on m’a annoncé le lendemain que le MMM allait contracter une alliance avec le PTr, j’ai été surpris et choqué. J’ai dit à Bérenger que les électeurs, surtout ceux de la campagne et même des militants, n’allaient pas lui pardonner cette volte-face, pour ne pas dire cette trahison vis-à-vis du MSM. Il ne m’a pas écouté et quand la question a été soulevée au BP dont j’étais membre, j’ai été le seul à présenter des objections, le reste a applaudi — sauf Ivan Collendavelloo — pour ratifier la proposition que Navin aille au Réduit pour sept ans et que Bérenger soit Premier ministre pour cinq ans.
Et vous avez accepté cette nouvelle alliance ?
— Qu’est-ce que je pouvais faire d’autre ? Où est-ce que je pouvais aller ? Comme je vous l’ai déjà dit, j’avais déjà dissous mon parti et je n’étais plus qu’un simple membre du MMM siégeant au BP. Puis, on sait ce qui est arrivé et que j’avais prédit : la défaite aux élections de 2014, puis le MMM se cassant en petits bouts avec des défections en cascade.
Après l’évocation de votre cheminement politique, arrivons maintenant à votre présent. Vous avez déclaré sur les ondes d’une radio qu’un ancien ministre ne devait pas faire de déclarations sur la situation du pays, alors que Maurice figure sur la liste noire de l’Union européenne. C’est une manière de demander qu’on cache la vérité sur la situation du pays et le non-fonctionnement de ses institutions ?
— On m’a posé une question sur la politique à laquelle j’ai répondu en toute sincérité…
Contre les alliés de votre parti, le MMM, dans l’Entente de l’Espoir, c’est ce l’on vous reproche…
— J’ai dit qu’il n’était pas correct que deux anciens ministres du MSM condamnent publiquement des décisions dont ils avaient été partie prenante. Il y a une manière de dire les choses, surtout dans le contexte économique actuel, de faire des déclarations qui vont être reprises partout. J’ai fait un appel pour qu’on ne ternisse pas l’image de Maurice, qu’on ne dénigre notre pays à la veille de l’arrivée de l’équipe du GAFI chez nous.
Il faut donc dire que tout est correct dans le pays ?
— Je dis simplement que les anciens ministres ont un devoir de réserve, de discrétion à respecter dans leurs déclarations publiques.
Est-ce que, dès le départ,vous n’étiez pas d’accord que cette entente de l’opposition inclue Bodha et Bhadain ?
— Les choses ne se sont pas passées comme ça. Au départ, il n’était pas question de Bodha et de Bhadain, mais d’une entente de l’opposition au Parlement pour une action commune et le leader était Arvin Boolell. Puis, on a parlé d’une entente des partis de l’opposition, et c’est par la suite que Bhadain a été inclus et, bien plus tard, Bodha. Il ne faut pas oublier que ce n’est que tout récemment que Bodha a démissionné du MSM. Ensuite, le MMM a pris position sur le rôle de Navin Ramgoolam comme leader de l’alliance de l’opposition.
Vous étiez d’accord avec cette prise de position ?
— Non. Je ne suis pas de ceux qui révèlent le contenu des discussions d’un BP d’un parti politique, mais je peux vous dire que j’avais dit mon opinion sur cette question, j’ai fait entendre ma voix. Tout comme je l’avais fait quand on a cassé le remake MMM-MSM pour aller avec le PTr en 2014 !
Est-ce que vous n’avez pas profité de l’occasion pour régler vos nombreux comptes avec Nando Bodha ?
— Depuis petit, je sais qu’il faut pardonner aux gens qui vous ont fait du mal. Je pardonne toujours à mes ennemis. Ma déclaration, mon appel a été fait dans l’intérêt du pays.
Vous attendiez-vous aux réactions que votre “appel” a suscitées ?
— Il n’y a pas eu autant de réactions qu’on le dit venant de la direction du MMM. Au BP, on a décidé, sans me blâmer, qu’à l’avenir, les dirigeants du MMM ne donneraient plus de déclarations à deux radios et deux journaux qui sont ouvertement dans le camp du gouvernement. Il n’y a eu aucun reproche à me faire au niveau du BP et du CC. Puis, il y a eu la réunion de la régionale du N°15, réunion où on manque généralement de quorum. Pour l’occasion, la salle était remplie et il y avait à l’agenda : le cas Madan Dulloo. À la régionale du N°15, j’ai eu droit à un procès en règle, fait par des gens sortant de je ne sais où, avec une grande violence verbale à mon égard.
Vous pensez que c’était une réunion de régionale orchestrée contre vous ?
— Et comment ! À la fin du “procès”, j’ai demandé de voter une motion d’expulsion contre moi, ce qu’ils n’ont pas fait. Le lundi suivant au bureau du BP, j’ai raconté ce qui s’était passé et j’ai dit qu’après ce traitement, que les membres du BP n’ont pas condamné, je n’avais pas d’autre solution que de démissionner du MMM. J’ai pris l’engagement de ne rien faire qui puisse nuire au parti et j’ai fait parvenir au leader ma lettre de démission.
Je ne comprends pas votre logique. Vous avez survécu à plusieurs révocations, vous avez accepté de dissoudre votre parti, que le poste de Premier ministre qu’on vous avait offert vous soit retiré, que les conseils que vous donniez n’étaient pas écoutés et vous démissionnez parce que les membres de votre régional vous ont parlé durement…
— Il arrive dans la vie des moments où enough is enough. J’ai de l’amour propre et je n’ai aucune intention de me laisser insulter et humilier, et j’ai préféré démissionner après ce qu’on m’a fait subir. Et les réactions que j’ai eues depuis, des quatre coins du pays, me confortent dans ma décision. On m’a remercié et félicité pour ce que j’ai fait.
Est-ce que votre carrière politique est finie ou est-ce que vous envisagez de la poursuivre ailleurs, au sein d’un autre parti ? Tout d’abord, est-ce qu’il y a un avenir politique pour les personnes âgées de 72 ans ?
— Parmi ceux qui ont dirigé le pays, il y en avait qui étaient beaucoup plus âgés que moi. Nous avons besoin de jeunes avec leur enthousiasme, leurs idées nouvelles, leur énergie pour améliorer la politique. Mais ces jeunes doivent être entourés, encadrés par des personnes d’expérience pour faire la transition entre les générations et faire avancer le pays.
Pensez-vous que l’Alliance de l’Espoir, dont vous ne faites plus partie, a une chance de remporter les prochaines élections générales ?
— Pardonnez-moi de vous corriger. l’Alliance de l’Espoir n’existe pas, n’a pas encore été faite. Il n’y a pour le moment qu’une Entente de l’Espoir sans le Parti travailliste. Si l’alliance est faite avec le PTr, et parvient à remporter les municipales, ce sera de bon augure pour le futur. Mais cette alliance à venir bute encore sur la question de leadership, dans la mesure où certains contestent celui de Navin Ramgoolam.
Pourriez-vous vous joindre, à l’avenir, à un des partis de l’opposition ?
— J’ai déjà rencontré Xavier Duval, avec qui j’ai eu une longue et bonne conversation. Dès que Navin Ramgoolam sera rentré au pays après son traitement médical réussi en Inde, je me ferai un devoir d’aller le rencontrer pour discuter politique, dans l’intérêt du pays.
Des rumeurs circulent à l’effet que le MSM pourrait vous demander de remplacer Sooroojdev Phokeer au poste de Speaker de l’Assemblée législative…
— Vous venez vous-même de dire que c’est une rumeur. Pour que la rumeur se réalise, il faudrait (i) que le Speaker démissionne ou soit révoqué ; (ii) que la proposition de le remplacer me soit faite et ; (iii) que je l’accepte. Mais avec des si, on pourrait mettre Paris en bouteille !
Et si une offre “digne et sincère” vous était faite, vous pourriez l’accepter ?
— Je ne peux pas me prononcer ou m’engager sur des théories, des hypothèses, des suppositions ou des rumeurs. Je ne peux décider de la suite de ma carrière politique avec des si.
Vous allez donc continuer à faire de la politique ?
— Les réactions positives reçues après ma démission me poussent à me demander s’il faut que je prenne ma retraite politique. Mais je peux déjà vous dire que ma famille préférerait que j’arrête avec la politique. Tout ce que je peux vous dire, c’est que je réfléchis sur les deux possibilités.

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