Me Yousuf Mohamed (Senior Counsel) : « Mr Kistnen had to be silenced. Who got him silenced ? »

Atteignant ses 60 ans au barreau mauricien en ce début 2021, Me Yousuf Mohamed, Senior Counsel, livre à coeur ouvert ses impressions sur l’affaire Kistnen et la brûlante actualité politique. Selon lui, l’agent du MSM au No 8, Soopramanien Kistnen, alias Kaya, savait trop de choses et « had to be silenced ». Le Senior Counsel doute que ce meurtre sera élucidé dans son intégralité, car ceux ayant pour tâche de trouver les coupables « ne font pas leur travail ». Sur le plan politique, il réitère les propos que l’ancien Premier ministre Navin Ramgoolam doit « rejuvenate » le PTr et laisser la place après deux défaites électorales. Par ailleurs, il laisse entendre que le MSM de Pravind Jugnauth conservera sa majorité et que la population mauricienne « continuera de souffrir » jusqu’aux prochaines élections générales.

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À 87 ans, vous vous présentez toujours devant la justice mauricienne pour défendre vos clients. Comment en êtes-vous arrivé là ?
Mon père avait souhaité que je devienne médecin. J’étais au collège Royal de Port-Louis et je faisais les sciences, dont la biologie, avec les dissections des lapins et grenouilles, entre autres. Mais je n’aimais pas avoir à faire avec le sang. Mo ti bien delika dan sa kote la. J’étais par contre très fort en latin et en langues, comparativement aux sciences.
Moi, j’ai poursuivi des études de latin en privé avec le professeur Gorah Issac. Je savais que je voulais être avocat. Je payais le professeur pour ces cours de mon “pocket-money” sans que mon père ne le sache. Je suis par la suite allé en Inde pour des études et je suis rentré à Maurice. Mon père a finalement accepté que je choisisse des études de droit et j’ai passé quelques mois avec l’avoué René Humbert à son bureau pour étudier le droit mauricien.
J’ai déposé mes valises en septembre 1954 en Angleterre. J’ai été à Bristol et, en 1960, j’ai réussi mes examens et “called to the bar”. Ce qui fait que décembre 2020 a marqué mes 60 ans “standing as barrister”. En 1963, j’ai quitté Maurice pour Paris pour étudier le droit civil et j’y suis resté deux ans. De retour à Maurice, j’ai paru dans plusieurs affaires, dont celle de Criminal Defamation impliquant le Mowlana Noorani ou encore l’affaire de Trois Boutiques, où 33 hommes avaient été arrêtés. J’étais Leading Counsel. Au final, ils étaient tous acquittés dont certains en appel. En mars prochain, je célébrerai mes 60 ans de service au barreau mauricien.

Comment avez-vous conjugué cette carrière au barreau avec votre vie de politique active ?
En 1963, Robin Gurburrun, qui était avec moi à Londres, allait être candidat aux élections et il m’invitait à le rejoindre en politique mais je n’étais pas intéressé à ce moment-là. Mon père m’avait dit de “be ready to stand on your own feet before engaging in politics”.
En 1967, mon père m’a fait comprendre qu’il avait besoin de moi. Je me suis marié en 1966 et mon père me disait presque un an plus tard qu’il voulait que je sois candidat sur les conseils de Raouf Bundhun, qui était membre du Comité d’action musulman (CAM). Mon père a discuté de cette possibilité avec mon épouse et cette dernière ne voulait pas que je rejoigne la politique.
« Ou le ou mari zis pou ou tousel ? » avait lancé mon père à sa belle-fille. J’ai finalement accepté et j’étais candidat en 1967 dans la circonscription No 8 qui est maintenant celle du Premier ministre et leader du MSM. J’étais classé 3e, mais à Port-Louis, la tension était de mise. Ti pe fann larzan. Sir Abdool Razack Mohamed est rentré au Parlement comme Best Loser.
À l’issue de la victoire PTr/CAM, on m’avait choisi pour la présentation du discours du trône. J’ai pris la parole comme débutant. La misère des gens m’avait choqué durant la campagne électorale et j’en avais fait état lors de mon discours.
En 1976 malheureusement, je suis rentré au Parlement en tant que député correctif et, deux ans après, mon père est décédé. J’ai été ministre du Travail alors que le pays vivait la grève de 1979 et je devais gérer la situation. Je me souviens de devoir aller trouver des bus de Vacoas Transport pour les travailleurs ou encore donner des instructions pour remplir les bateaux en sucre.
Paul Bérenger et Kader Bhayat étaient venus voir sir Seewoosagur Ramgoolam et sir Satcam Boolell pour désamorcer cette crise. Et j’avais dit : « Those who had started it should end it. » Après la grève je ne voulais pas poursuivre comme politicien et on m’avait fait choisir entre le Pakistan et l’Égypte pour être ambassadeur. Je suis resté en Égypte jusqu’à 1981 et j’ai essayé de reprendre le CAM, mais certains n’étaient pas d’accord et j’ai créé le Parti islamique mauricien (PIM) et on avait dix candidats à travers le pays. Je suis sorti quatrième en 1982 et, cette fois, pas de siège de Best Loser.
Je suis par la suite retourné au Parti travailliste pour être candidat au No 15 à La Caverne/Phoenix. J’allais devenir Deputy Speaker entre 1983 et 87. Après, c’était fini pour moi la politique. Shakeel a pris le relais en démarrant avec le MSM.
Quel regard jetez-vous sur la situation qui prévaut à Maurice de par votre expérience politico-légale et aussi de diplomate ?
Quand nous avons milité pour l’indépendance du pays, nous avions pensé à un pays où tous les Mauriciens pourront marcher la tête haute et fiers d’être indépendants. Un pays où les droits se font respecter et la méritocratie était centrale. Le favoritisme a impacté sur l’efficience du pays.
C’est ce qui s’est passé avec les gouvernements successifs. On a préféré nommer “nou bann dimounn” bien qu’ils n’étaient pas compétents à certains postes clés. Le communalisme à outrance a prévalu aussi bien que le castéisme. Pas mal d’institutions ont flanché. Air Mauritius par exemple a fini par s’écrouler, car il fallait héberger des agents politiques. Pareil pour la MBC et d’autres institutions conçues durant le temps.
Jusqu’à maintenant, le judiciaire tient bon. Je suis fier de notre système en général. Je n’ai rien à dire en ce qui concerne l’indépendance de la justice. Le seul rempart qu’on a d’ailleurs contre cette dictature qui s’installe.
Le Premier ministre avec tous ses pouvoirs est un dictateur de la démocratie. À la fin, on n’a plus de démocratie comme au Parlement par exemple. La majorité parlementaire se permet de faire des choses qu’il ne fallait pas, nommer des proches du pouvoir ou encore des questions restant sans réponses. Le Speaker “pena letof” et c’est quelqu’un qui ne peut administrer les travaux parlementaires. Ou pa sispann dimounn koumsa. Il y a des cas où il n’y a même pas d’explications fournies pour justifier ces suspensions. Mais il faut faire plaisir au parti qui vous a choisi pour ces responsabilités.
C’est clair que ce Speaker ne prend pas des décisions contre la majorité. Le ministre Bobby Hurreeram a insulté mon épouse et moi, mais sans que le Speaker ne le ramène à l’ordre. Je me souviens que sir Harilal Vaghjee rappelait à l’ordre le Premier ministre d’alors, sir Seewoosagur Ramgoolam. Pas une seule fois, mais à plusieurs reprises.

Le DPP est souvent pris à partie au Parlement en raison de sa relation avec le leader de l’opposition ? N’est-ce pas une position conflictuelle dans la conjoncture politique ?
Le DPP est là pour étudier les enquêtes de la police et déterminer s’il y a matière à poursuite. Me Satyajit Boolell, Senior Counsel, est quelqu’un d’intègre. Il a été magistrat et j’ai comparu devant lui en tant qu’avocat. Il ne se base pas sur la personnalité qu’il a devant lui pour prendre une décision. D’ailleurs, ce n’est pas lui seul qui prend des décisions. Avant lui, il a une équipe d’avocats qualifiés et d’expérience qui étudient les dossiers avant qu’une décision soit prise. Chacun s’exprime sur son point de vue et émet son opinion. La plupart du temps il accepte les opinions de son équipe. À la fin c’est aussi à la Cour de décider.
Mais qu’est-ce que le MSM de sir Anerood Jugnauth et aussi de son fils n’a pas essayé pour apporter une Prosecution Commission, qui aurait été au-dessus du DPP. Cela aurait impliqué que c’est la décision de cette commission qui aurait été prise en compte au final et non pas le DPP. Heureusement que Xavier-Luc Duval a quitté le gouvernement et que le gouvernement n’a pas eu les trois-quarts qu’il fallait pour amender la Constitution du pays et apporter ce changement. Ti pou fini pou nou si ti amenn sa provizion-la ! De ce côté-là, l’on ne remerciera jamais assez Xavier-Luc Duval pour cela.
Mon épouse et moi étions en pèlerinage à la Mecque à ce moment-là. Je priais que cela ne se produise pas. J’ai appris que le PMSD avait quitté le gouvernement, Dieu merci ! Cela m’a à ce point touché car j’ai fait partie de ceux qui ont combattu pour l’indépendance du pays. Xavier-Luc Duval , fils de sir Gaëtan Duval, a sauvé l’ile Maurice et cela il faut le dire. Il faut que les Mauriciens soient reconnaissants. Si li ti pe rod so bout, il aurait pu rester et conserver son poste de Deputy Prime Minister et les membres de son parti leurs positions ministérielles. Alors Pravind Jugnauth et ses ministres se servent du Parlement pour attaquer le DPP parce que c’est le frère d’Arvin Boolell. He is barking at the wrong tree parce que le DPP prend des décisions d’après la loi.

Cette pandémie de COVID-19, comment l’avez-vous vécue ?
On a eu des cas importés ayant provoqué des cas de transmissions locales du Coronavirus. Heureusement que nos frontliners ont pu faire le travail avec des sacrifices et des difficultés matin et soir. Ce n’est pas chic qu’on en fait de la récupération politique sur la gestion de ce virus. Je n’ai jamais pensé que le monde allait vivre une telle propagation de virus.
Maintenant on vient tout mettre sur le dos de la COVID-19. C’est maintenant qu’on va subir les répercussions de cette pandémie. L’économie visiblement souffrira davantage. Cela m’attriste de voir des salariés perdre leur emploi. Quand le chômage augmente, les crimes augmentent aussi. Les attaques, les vols ou encore la violence prennent l’ascenseur. Nimport kiler dimounn rant dan ou lakaz touy ou, ou kokin ou. Le respect de la société et de son prochain s’évapore.

Qu’en pensez-vous des
pétitions électorales qui traînent devant la Cour
suprême ?
Tout ce qui peut arriver c’est que dans certaines circonscriptions on peut avoir un Recount. La majorité restera la majorité et le pays continuera à souffrir socialement et économiquement. Pravind Jugnauth continuera à s’appuyer sur les groupes socioculturels pour tenir la baraque. Définitivement cela ne lui fera pas de bien.
Sur le plan politique, on impute les deux défaites électorales successives du Parti travailliste à l’incapacité du parti de se réinventer ? Êtes-vous d’accord ?
Let’s face it. Navin Ramgoolam a subi une campagne intense de la part des Jugnauth après la défaite de 2014, surtout avec les coffres-forts. Tous les leaders politiques, que ce soit SAJ, Paul Bérenger, dans le passé sir Gaëtan Duval ou encore sir Seewoosagur Ramgoolam ont reçu de l’argent dans le cadre des élections. Tel a été le cas pour Navin Ramgoolam aussi. Mais si on avait été à la maison d’un autre leader (il cite le nom évidemment), on aurait peut-être obtenu enn pake larzan osi. Je n’ai aucun doute que c’est l’argent du parti. Cela a été la pratique politique que c’est le leader qui ramasse l’argent du parti. Navin Ramgoolam a perdu en 2014 et en 2019.
Quand un leader perd deux élections de suite, il faut un changement de leadership. Malheureusement le castéisme prévaut toujours à Maurice. Moi je crois que Pravind Jugnauth est arrivé à cette position grâce à son père. SAJ avait une personnalité et un bagage politique malgré tout. Mais le fils est arrivé au poste de PM après un deal Papa-Piti. Mais Navin Ramgoolam n’a pas hérité du poste de leader de son père. Si Ramgoolam en 2019 avait dit qu’il irait à la présidence si le Ptr remportait les élections et qu’il avait légué le parti à quelqu’un d’autre, l’on n’en serait peut-être pas dans cette présente situation politique.
Je pense et c’est mon opinion que Navin Ramgoolam doit se retirer. Je n’engage personne dans cette affirmation, même pas mon fils qui est député du Ptr. Shakeel et moi nous avons des opinions politiques différentes mais nous nous respectons. Même sur les questions de droit. Je ne suis pas d’accord que Ramgoolam reste. Pas seulement lui, il y en a d’autres qui doivent accepter qu’ils doivent se retirer. Cédez la place aux jeunes compétents. Malheureusement ma voix traîne dans le désert.

Quelle est votre analyse de l’affaire Kistnen jusqu’ici ?
Je suis l’affaire avec la Legal Team de la famille Kistnen et aussi à travers la presse. Heureusement qu’on a ces jeunes avocats très capables. J’apprécie leur travail. S’ils n’avaient pas pris position comme ils l’ont fait, cette affaire de corps calciné retrouvé dans un champ de cannes à Telfair serait restée un cas de suicide comme la police l’avait ainsi conclu. Et de manière outrancièrement hâtive!
Je trouve bizarre qu’un policier ait écouté quelqu’un ayant des informations sérieuses durant quatre heures dans un poste de police et qu’il n’y ait aucune entrée officielle dans le Diary Book pour enregistrer sa version. Récemment, on a appris que le policier a déclaré qu’il avait demandé à la personne qui avait donné ces informations de revenir. A-t-on fait un effort pour le rappeler ?
Concernant cette version, j’ai mon opinion. Il y a trop de brebis galeuses dans la force policière. S’il n’y avait pas eu cette enquête judiciaire comment aurait-on su qu’il y eut des connivences alléguées entourant des contrats alloués à la State Trading Corporation, notamment sur les Emergency Procurements des équipements sanitaires ou encore sur les contrats du District Council de Moka entre autres? Je suis content que la magistrate du côté du tribunal de Moka ait réclamé que l’on produise tous les documents liés à ces appels d’offres.
Soopramanien Kistnen savait trop de choses et had to be silenced. Who got him silenced, and who have silenced him remains to be found out? On sait maintenant qu’il s’agit d’un meurtre mais on ne sait pas pour l’heure pourquoi on l’a tué. Trouverons-nous les coupables qui l’ont tué ? I can tell you as from now. We shall never find out… Parce que ceux qui ont eu cette responsabilité de les trouver ne font pas leur travail. On a vu les Kistnen Papers. Les pétitions électorales peuvent être amendées. Si on peut prouver les Kistnen Papers, certaines personnes pourront être poursuivies pour faux affidavit.

Et, en parallèle, on voit un ancien commissaire de police être accusé provisoirement…
J’ai connu plusieurs commissaires de police durant ma longue carrière. Mais jamais je n’aurai cru qu’un commissaire de police allait être interrogé Under Warning et faire face à une charge provisoire où il est accusé. C’est humiliant pour la force policière.
ous savez combien de fois j’ai demandé aux policiers d’être indépendants. La loi vous le permet aussi bien que la Constitution. Le commissaire de police est responsable du day to day work. J’ai archi répété cela que ce soit à Monsieur Jangi et ses hommes. Malheureusement on vit une perversion de toutes les institutions du pays.
À l’ICAC c’est pareil. Je défendais l’ICAC auparavant. Je ne critique pas les officiers mais les responsables semblent recevoir orders from above. Le mot « Independent » doit être retiré. Seulement les adversaires politiques sont attaqués par l’ICAC et la police. Vous consignez une déposition contre un membre de l’opposition, la police agit instantanément. On l’a vu avec les cas des internautes. Mais quand il s’agit du pouvoir ou les protégés du système, il en est tout autre. L’accusateur devient accusé.

Quelle est votre opinion sur l’affaire Angus Road, qui a visiblement perturbé le Premier ministre et ses acquisitions de terres ?
La police ou l’ICAC aurait dû aller voir du côté de Bel Air Sugar Estate et tenter d’identifier si ces reçus de cash transactions sont vrais ou faux. Comment ça se fait que l’acheteur de ces terres ne détient pas les originaux ? If he has paid, he should be holding the originals. La police et l’ICAC auraient dû fouiller de ce côté-là. Pourquoi n’ont-ils pas fait cela ?
J’ai écouté les explications du Premier ministre, je ne suis pas d’accord. I do not agree and beg to differ. Une enquête approfondie doit être menée dans toute cette affaire d’Angus Road. Les institutions censées de trouver la vérité sont en train de faillir devant leurs responsabilités. Would I have had the same treatment at ICAC ? No ! Ils m’auraient trainé par le collet devant l’ICAC ou la police parce que je suis quelqu’un d’ordinaire. Puisque l’ICAC ne fait pas son travail, pourquoi ne pas demander un Writ of Mandamus qu’on dépose devant la Cour, et obliger à l’ICAC de report progress ? J’aurais fait cela. There is too much political will to stop the inquiry. Si je n’étais pas si vieux j’aurais quitté le pays tant on a atteint un niveau élevé de pourrissement.

Qu’en faites-vous du sentiment de nombreux Mauriciens dégoûtés par la manière dont le pays est géré ?
Stand and fight ! J’ai dit à Shakeel de ne pas décevoir les personnes qui ont placé leur confiance en lui. Il faut combattre ces gens corrompus dans tous les secteurs du pays, dans toutes les institutions du pays. Il y a quatre ans à subir. Il faut pousser ce gouvernement à la sortie à la prochaine occasion. Mais cela dépend de qui va les remplacer.
Si Ramgoolam aime ce pays, he should think of rejuvenating the party. Paul Bérenger, si j’ai bien compris, ne participera pas aux prochaines élections. Des jeunes compétents peuvent revigorer le Ptr, le MMM ou encore le PMSD. Ces trois, s’ils présentent une bonne équipe, peuvent faire l’affaire. Pour l’heure, nous devons accepter Arvin Boolell. Shakeel will shoulder him.

Et vous, que comptez-vous faire ?
Je poursuivrai autant que possible mes activités professionnelles. Je ne courberai pas devant menaces ou intimidations. I am a free speaker and I will continue to speak my mind. Dieu m’a donné suffisamment et je suis reconnaissant pour cela.

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