Naraindranath Gopee : « Le gouvernement travaille dans l’à-peu-près au cas par cas ! »

Notre invité de cette semaine est Naraindranath Gopee, président de Federation of Civil Service and Other Unions (FCSOU), qui regroupe les employés de la fonction publique. Dans l’interview réalisée par téléphone jeudi dernier, il propose son analyse de sujets marquants de l’actualité locale.

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« Je pose la question que tout le personnel de la Santé et beaucoup de Mauriciens se posent : que fait Mme Gaud au ministère de la Santé ? »
« On ne peut d’une part confiner le pays pour que les gens restent chez eux et, de l’autre, distribuer des WAP pour permettre aux personnes de circuler ! »
« La question est de savoir qui a donné l’instruction à l’ICAC et à la police de ne pas remettre les dossiers à l’Audit ? »

Comment se porte un président de centrale syndicale en période de confinement ?
–Mal ! Je suis doublement confiné. Non seulement j’habite dans une zone rouge, mais je n’ai pas obtenu le WAP spécial pour pouvoir sortir et aller faire mon travail au bureau, où sont tous les dossiers. J’ai fait une demande pour le WAP spécial, mais je ne l’ai pas encore obtenu, parce que le système a été très mal organisé.

Pour quelle raison ?
–Le WAP a été institué pour le deuxième confinement sans que les partenaires sociaux du gouvernement, comme les représentants des employés, n’aient été consultés. Tout ce qui concerne le WAP a été décidé unilatéralement, comme d’ailleurs la majeure partie des décisions prises par le gouvernement. Nous avons appris que le système existait et qu’il fallait faire une demande pour l’obtenir à la police ou ailleurs dans une grande confusion. On a l’impression que les WAP ont été distribués comme des petits biscuits. Je ne comprends pas que dans un pays qui a 500 000 travailleurs, plus de 400 000 WAP ont été distribués. Si plus de deux tiers des travailleurs ont obtenu un WAP, comment peut-on parler de confinement, même partiel ? À moins que le gouvernement n’ait sa propre définition du mot confinement, comme il a sa propre définition du mot organisation du travail ! On ne peut d’une part confiner le pays pour que les gens restent chez eux et en même temps distribuer des WAP pour permettre aux personnes de circuler ! Les représentants des employés, un des principaux partenaires du gouvernement, ne peuvent participer à aucune des décisions prises par le gouvernement. C’est le gouvernement qui décide sans écouter ou consulter. Il n’y a qu’un seul maître à bord, le Premier ministre, ou plutôt ses conseillers, qui lui disent quoi faire et quoi dire.

Est-ce qu’il existe une liste des employés du gouvernement qui doivent travailler en temps de confinement, comme il y en avait une pour les cas de cyclone ?
–Je ne suis pas au courant de l’existence d’une telle liste. D’après mes renseignements, seulement 24% des fonctionnaires ont obtenu un WAP. Je suis incapable de vous dire sur quels critères ces fonctionnaires ont été choisis. Le ministère du Service civil a fait sortir une circulaire pour le work from home basé sur les résultats de recherches faites par l’UNDP à travers la firme PriceWaterhouse à Maurice. Cette firme a remis un document au ministère, document dont un résumé a été montré aux syndicalistes de la Fonction publique sans qu’il ne leur soit remis une copie. C’est sur quelques recommandations de ce rapport que le ministère se base pour organiser le work from home de la fonction publique.

Si je vous ai bien suivi, le gouvernement a décidé de confiner sans un plan pour faire l’administration continuer à fonctionner ?
–Dans quel ministère est-ce que vous voyez qu’on est en train d’appliquer un plan préalable mûrement réfléchi, avec tous les partenaires, pour faire face à la situation ? Tout est fait au petit bonheur. Tout cela dénote l’irresponsabilité et l’incompétence des décideurs du service public. C’est après avoir décrété le confinement qu’on cherche des solutions pour tenter de faire fonctionner le système. Est-ce que 24% des fonctionnaires sont suffisants pour faire marcher le service qui est le poumon administratif du pays ? Le gouvernement travaille dans l’à-peu-près dans le fire fighting au cas par cas . Quand un problème surgit, on lui invente une solution et on sort une circulaire. La MRA avait demandé à son personnel de venir travailler, mais quand on a découvert un cas d’infection, on a demandé aux employés de rentrer chez eux en attendant de mettre en place un système de work from home !

Mais pourquoi n’y a-t-il que 24% de fonctionnaires au travail ? Est-ce qu’ils feraient de la résistance passive ?
–Mais pour que les fonctionnaires puissent aller travailler, il faut qu’ils obtiennent au moins un WAP, un roster, des instructions précises sur ce qu’il faut faire et des équipements nécessaires pour se protéger. Et le work from home doit être aussi organisé au lieu d’être improvisé. Nous sommes en pleine improvisation.

Quels sont les secteurs les plus touchés par ce que vous appelez l’à-peu-près et le fire fighting au sein de la Fonction publique ?
–J’ai envie de vous répondre que tous les secteurs sont touchés. Prenons la Santé : le skeleton staff n’existe pas puisque tout le personnel – docteurs, infirmiers, nurses, etc. – travaille selon le roster en vigueur avant le confinement. On n’a pas utilisé la méthode qui avait été mise en place lors du premier confinement, celle de petits groupes pouvant être remplacés par d’autres petits groupes en stand-by qui avait bien marché.

Pourquoi est-ce que le ministère de la Santé n’a pas appliqué les méthodes qui ont marché pendant le premier confinement ?
–Peut-être parce qu’à l’époque Mme Gaud ne participait pas à la prise de décisions nationales, comme c’est le cas aujourd’hui.

Qu’est-ce que vous êtes en train d’essayer de dire ?
–Je pose la question que tout le personnel de la Santé et beaucoup de Mauriciens se posent : que fait Mme Gaud au ministère de la Santé ? Comment peut-elle se permettre de faire des remarques sur le travail des employés du service de la santé, sur le fait qu’ils ne respecteraient pas les consignes et que des sanctions seraient prises contre eux ? C’est une manière de dire que ce sont les employés de la santé qui répandent le virus, en ne respectant pas les consignes, non ? Depuis cette déclaration, une infection, prevention and control squad a été a été créée – sur sa demande ? – pour aller surveiller le travail dans les hôpitaux ! Et pendant ce temps, les consignes sanitaires ne sont pas respectés dans les casualties des hôpitaux ! Qui a donné à Mme Gaud l’autorité de menacer les employés du gouvernement de sanctions ? Ce n’est pas possible. Pour moi, Gaud has to go ! Nous avons suffisamment de spécialistes à Maurice qui peuvent faire le travail qu’elle est censée faire !
Passons à un autre ministère : celui de l’Éducation. Que pensez-vous du fait qu’en dépit de beaucoup de demandes, notamment des députés de l’opposition, la ministre de l’Éducation ait décidé de maintenir les examens de la PSAC en pleine période de confinement ?

–J’ai été un des premiers à demander publiquement à la ministre de l’Éducation de renvoyer les examens locaux. Mais vous l’avez constaté, le gouvernement et ses ministres n’écoutent pas ce que les autres peuvent dire ou penser, ils font ce que eux ont décidé. Le problème c’est que, depuis quelque temps déjà, le gouvernement prend des décisions sans avoir réfléchi aux conséquences et aux répercussions possibles. Il faut aussi dire que des parents d’élèves ont beaucoup insisté pour que les examens aient lieu et aujourd’hui certains de ces parents protestent ! L’Éducation avait dit avoir pris toutes les précautions pour l’organisation de ces examens qui sont sous la responsabilité du Mauritius Examination Syndicate, qu’on n’a pas beaucoup entendu dans ce débat. Mais ce qu’on a constaté, c’est qu’il n’y a pas suffisamment de surveillants, que les sanitizers ne sont pas toujours disponibles et qu’il y a pas mal d’élèves qui, malgré les assurances de la ministre, ne sont pas allées prendre part à ces examens.

Tous ceux qui ont travaillé pour les examens se sont fait vacciner, c’est une mesure de précaution, non ?
–Les Mauriciens, dont les fonctionnaires de l’Éducation, ont hésité à se faire vacciner parce qu’au départ il y a eu trop de rumeurs contradictoires sur l’efficacité des vaccins. Et tout le monde le sait, les déclarations du comité national, dont on voit les membres tous les soirs à la télévision, ne sont pas prises comme des paroles d’Évangile. La vaccination a été imposée aux surveillants et certains ont refusé de le faire. Résultat : on a eu des classes où il n’y avait qu’un surveillant pour vingt élèves, alors qu’il y en a toujours eux deux. J’ai bien peur que l’insistance à maintenir les examens, dans des conditions que l’on sait, vont produire des résultats plus tard et il faudra bien que les responsabilités des uns et des autres soient établies. Et après ce qui s’est passé à l’école Philippe Rivalland – la découverte qu’une surveillante malade, habitant une zone rouge, avait été obligée d’aller travailler et était positive -, la ministre est venue déclarer que ce n’était qu’un petit incident !

Que pensez-vous de la proposition du leader de l’opposition de débattre d’une motion sur la situation sanitaire, proposition qui a été rejetée par le Speaker ?
–C’était une bonne initiative de demander au gouvernement d’organiser un débat national pour aider à trouver des solutions nationales pendant cette période de crise sanitaire et économique. Comme d’habitude, le gouvernement a rejeté, avec arrogance, cette demande. Pourtant, c’était une proposition positive de l’opposition pour aider le pays dans cette période extrêmement difficile. C’était l’occasion de mettre de côté nos divergences, de mettre tout le monde on board : employeurs, employés, secteur privé, ONG, forces vives pour un débat national sur un sujet qui concerne tous les Mauriciens. Mais le gouvernement a décidé autrement et continue sur la ligne qui nous a menés là où nous sommes aujourd’hui. Il a déclaré que nous étions Covid-safe – après avoir dit que nous étions Covid-free –, alors que ce n’était pas le cas. La confusion qui s’est installée dans le pays est la preuve de cette mauvaise gestion. C’est en janvier, comme les Seychelles l’ont fait, qu’il fallait vacciner la population afin de pouvoir ouvrir les frontières en mai ou juin. On a commencé à vacciner avec retard et vu le contexte international, on ne sait pas encore où nous allons avoir les vaccins nécessaires pour la deuxième dose. C’est un pays qui est géré dans l’à-peu-près dans le contexte dramatique que nous vivons.

Vous êtes loin d’être tendre avec le gouvernement, c’est le moins que l’on puisse dire !
— Parce que, pour moi, et pour de nombreux Mauriciens, le pays est anba-lao depuis que Pravind Jugnauth est devenu PM. Il ne lui aura pas fallu longtemps pour montrer son incompétence et sa volonté de placer ses protégés à des postes de responsabilité. Parfois en ne respectant pas la loi. Exemple flagrant : on a nommé à la direction des Governement Information Services un non-fonctionnaire sous contrat. C’est lui qui « drafte » toutes les informations, dont celles du comité national Covid que la MBC diffuse tous les soirs. Voulez-vous un autre exemple de l’arrogance du gouvernement ? Des ministres qui ne portent pas de masques au Parlement et n’ont même pas une remarque du Premier ministre, alors que des citoyens sont verbalisés pour le même délit. Nous sommes aujourd’hui dans une impasse à cause des mauvaises décisions prises et le gouvernement essaye de faire croire que tout est parfait et qu’il maîtrise la situation ! Comment peut-il dire cela alors que de mars à avril, nous sommes passés de 5 cas de Covid à plus de 550 au moment où nous parlons !

Que pensez-vous du fait que le directeur de l’Audit n’a pas pu avoir accès, dans le cadre de son travail, à certains dossiers de la police et de l’ICAC ?
–C’est encore un exemple de la manière dont fonctionne le gouvernement. Le directeur de l’Audit occupe un poste constitutionnel, alors que l’ICAC est un organisme créé par une loi. Et aujourd’hui le directeur de l’ICAC est en train de « challenge » l’autorité du directeur de l’Audit avec le soutien du gouvernement ! C’est fait exprès : quand le bureau l’Audit réclame des dossiers sensibles dans un ministère, comme la loi lui donne le droit, on lui répond que ces dossiers sont avec l’ICAC, qui refuse de les donner. La question est de savoir qui a donné l’instruction à l’ICAC et à la police de ne pas remettre les dossiers à l’Audit.

Ce rapport du directeur de l’Audit démontre que beaucoup de fonctionnaires ne suivent pas les procédures et les règlements…
–Ce sont les chefs qui donnent les instructions à leurs subalternes et c’est à eux d’assumer leurs responsabilités. Tous les ans, le directeur de l’Audit écrit qu’il dénonce de mauvaises gestions dans les ministères et corps para-étatiques et que rien ne change. C’est à se demander s’il ne faut pas fermer ce bureau dont le travail est saboté tous les ans. La faiblesse du rapport réside dans le fait que les recommandations ne sont pas mises en pratique, qu’on en parle pendant une semaine avant de l’oublier, jusqu’au prochain rapport. Il faudrait que le Public Account Commitee ne soit pas limité aux parlementaires sous le contrôle du Speaker, mais devienne une institution légale, indépendante avec des membres du gouvernement et de l’opposition, mais aussi du secteur privé, des syndicats et des ONG, car les finances de l’État ne sont pas la propriété du gouvernement du jour, mais celui de la nation, et doivent être transparentes. Cette autorité doit aussi pouvoir convoquer les chefs de départements des ministères et des corps para-étatiques et même les ministres pour des explications et sanctionner s’il le faut.

L’ex-directeur de la Santé, le Dr Gajadhur, préconise un total lockdown de deux semaines pour stopper le virus qui circule grâce aux déplacements de ceux qui en sont atteints. Qu’en pensez-vous ?
–Je suis entièrement d’accord avec le Dr Gajadhur, qui a fait toute sa carrière dans le système médical mauricien qu’il connaît sur le bout des doigts. Il faut faire un total lockdown, mais en ayant prévu la population pour qu’elle ait le temps de se préparer, et ne se retrouve, un soir, devant le fait accompli.

Vous qui habitez dans une zone rouge, comment expliquez-vous que certaines soient passées au jaune ?
–Je ne sais pas à partir de quelles études scientifiques la décision de décréter ou de modifier des zones ont été prises. Comment peut-on savoir qu’une zone n’est plus dangereuse du jour au lendemain ? On dirait que les zones passant du rouge au jaune coïncident avec les endroits où se trouvent des supermarchés et des usines. On dit que le gouvernement a agi sur la pression de Business Mauritius, de la MEPZA et du MCCI pour faire passer une zone du rouge au jaune. Nous allons subir les répercussions de cette décision du gouvernement un peu plus tard. Tout comme nous allons subir les conséquences d’avoir maintenu les examens du PSAC !

Le budget national sera présenté le mois prochain et le ministre des Finances a déjà dit que la situation économique est dramatique…
–Qui en est responsable sinon lui-même avec ses mesures pour puiser dans les réserves de la Banque de Maurice, mesures soutenues par le gouvernement ? Et je ne parle pas des contrats qui ont été attribués aux proches du pouvoir, dans le cadre de contrat de fourniture d’équipement et de médicaments ! Pour des proches du gouvernement et du MSM, la pandémie a été surtout une occasion de se faire de l’argent. On a vu la danse des veyer séké. Aussitôt que la Covid a été déclarée, ils se sont mis en quête de contrats qu’ils ont facilement obtenus. On a eu une petite idée des profits qu’ils ont pu faire pendant la Covid, protégés par un ministre qui a été obligé de démissionner. Le gouvernement a préféré confier l’importation de médicaments à des quincailliers, des bijoutiers ou des marchands de poisson au lieu de contacter les personnes compétentes, comme les médecins que ma fédération représente. Le ministre des Finances a déclaré qu’il faut diminuer le recurrent expenditure des ministères et département du gouvernement de 25%. L’année dernière, il avait dit qu’il fallait faire une diminution de 10% qui avait été ensuite doublée. Si l’on ajoute les 20% de l’année dernière et les 25% de cette année, cela fait 45% et les ministères vont se retrouver avec seulement 55% du budget qui leur a été imparti. Comment est-ce que la Fonction publique va pouvoir fonctionner dans ces conditions ?
Est-ce qu’en tant que président de la FSOU vous allez faire campagne pour que le rapport du PRB soit payé en dépit de la situation économique dramatique ?
–Ma réponse à cette question n’engage que moi, pas les autres centrales syndicales. De 2016 à 2021, année où le rapport du PRB doit être publié et payé, les fonctionnaires ont eu en termes d’increments chaque année un minium de Rs 300, ce qui fait Rs1500 pour cinq ans. À cela il faut ajouter Rs 1650 pour la compensation sur le coût de la vie. À cela il faut encore ajouter la somme de Rs 1000 payée par le gouvernement over and above. Tout cela fait Rs 4500 que chaque fonctionnaire a déjà touché. C’est sur cette somme que le PRB va ajouter un ou deux pour cent. À partir de là, je pense qu’au lieu de demander un rapport du PRB, qui est totalement dépassé puisque ne concernant pas la Covid, il faut en demander un nouveau dans les prochaines années. Ce rapport devra prendre en considération les réalités des ministères, les problèmes existants, organiser des réunions de travail avec les stakeholders pour fournir un document pour organiser l’avenir de la fonction publique.

Vous pensez que cette proposition sera soutenue par les autres centrales syndicales, vos propres syndiqués ?
–Je vous répète que je parle en mon nom personnel. Nous serons obligés d’aller vers une nouvelle forme de PRB qui actuellement dit la même chose, dans les grandes lignes depuis 1987. La fonction publique et les fonctionnaires doivent évoluer.

J’espère que cet avis est partagé. Que souhaitez-vous dire pour terminer cette interview ?
–Que le gouvernement doit créer une plate-forme où toutes les instances politiques, les fonctionnaires, le secteur privé, les ONG et les forces vives soient représentés pour travailler sur les solutions pour sortir de la triple crise que nous subissons : sanitaire, économique et bientôt sociale. Le PM a dit qu’il faut maryé piké. Il ne suffit pas de le dire, il faut le faire. Avant que le situation, qui est déjà grave, ne devienne incontrôlable.

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