Pamplemousses : La vie d’un esclave en six étapes

Le Pamplemousses heritage slave trail vient de recevoir le label de l’Unesco pour désormais faire partie de la Route de l’esclave, cette entité qui développe des activités mémorielles, archéologiques, historiques et scientifiques à travers le monde, autour des sites qui ont été marqués par l’esclavage et la traite négrière. Particulièrement industrieux dans la deuxième moitié du XVIIIè siècle, le village de Pamplemousses permet encore aujourd’hui, d’imaginer certains aspects de la vie d’un esclave, de la monstrueuse humiliation du bain et de la vente jusqu’à la mise en terre dans le plus parfait anonymat ! De grands panneaux explicatifs, en anglais et en français, s’élèvent désormais dans ces lieux chargés du poids de l’histoire.

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L’inauguration du Pamplemousses heritage slave trail a donné lieu à toute la solennité qu’il se doit pour des sites de si triste mémoire… Voilà pourquoi des discours de différentes personnalités, du président du National heritage fund (NHF) au ministre de la culture en passant par une représentante de ministère de l’éducation et de l’Unesco à Maurice, ainsi bien sûr que la présidente du comité scientifique de la Route de l’esclave, Vijaya Teelock, ont précédé la visite guidée, animée par l’archéologue Jayshree Mungur, chef de l’équipe technique du NHF. Cette visite était proposée en guise de conclusion aux nombreux universitaires et chercheurs, qui avaient participé pendant cinq jours précédents à la History week, qui se déclinait en deux volets : le colloque History, Memory, Identity III et l’atelier de travail de deux jours sur les musées de l’esclavage.

Désormais ouvert au public, ce trail si particulier offre l’unique possibilité d’imaginer à partir de lieux précis ce qu’a pu être la vie d’un esclave dans un village mauricien. Le paysage culturel classé Unesco du Morne développe le volet du marronnage pour ceux, qui avaient réussi à fuir les sucreries et survivre malgré la crainte obsédante d’être à nouveau attrapés et asservis. Tant que le musée intercontinental de l’esclavage n’est pas achevé, ce qui prendra probablement quelques années, il n’y a sinon que les livres pour nous instruire sur ce volet crucial de notre histoire.

Les esclaves qui vivaient et travaillaient à Pamplemousses appartenaient à la Compagnie des Indes orientales ou au gouvernement français. Leur histoire est unique car ils étaient investis dans des activités particulièrement stratégiques, comme la fabrication de la poudre à canon, au moulin à poudre, ou encore l’entretien du Jardin de Pamplemousses depuis ses origines sous Labourdonnais, ou la construction d’infrastructures publiques telles que la route Pamplemousses/Port-Louis, réalisée par ceux que l’on appelait « Noirs de commune ». Aussi, il existait plusieurs camps dans le village, réservés aux différentes catégories d’esclaves.

La première étape du parcours commence par un anachronisme…  La belle structure en pierre de taille qu’on identifie comme le Bassin des esclaves a en effet été construite en 1786, plus de cinquante ans après l’Abolition, mais cette fontaine hors service depuis 1950, correspondrait néanmoins le lieu dans le camp des esclaves, où ils étaient lavés avant d’être vendus, à quelques dizaines de mètres de là, à l’ombre d’un arbre, à la place du bourg, deuxième étape du parcours.

L’anonymat de l’enclos funéraire

La troisième étape du parcours est le cimetière des esclaves, apparu sur les cartes à la fin du XVIIIè siècle, qui a certainement été créé suite aux épidémies de variole qui ont décimé la population en 1792. Le silence, l’effacement et l’absence sont les traits marquants de l’histoire de l’esclavage. Ici encore, ce que l’on appelle le cimetière des esclaves se caractérise par l’absence de registres et de traces écrites, même pour les esclaves baptisés, tandis qu’attenant à l’église, un autre cimetière, dit le Cimetière des blancs, dispose d’une quantité de registres impressionnante, en raison de son ancienneté.
Construite entre 1742 et 1756, l’église de Saint François d’Assise a été construite dans la sueur et le sang par des esclaves.

Aussi y pratiquait-on la ségrégation raciale en séparant par une grille en fer, l’espace réservé aux blancs à l’avant près de l’autel et du chœur, de celui réservé aux non-Européens, noirs libérés et esclaves. Cette pratique a survécu à l’abolition, jusqu’au XXè siècle. Le Jardin de Pamplemousses doit aussi être considéré sous l’angle de l’esclavage, puisque Labourdonnais y a créé, en 1736, le premier jardin potager dans ce qui s’appelait alors le Domaine de Mon Plaisir. En 1767, Poivre en fait un jardin botanique. Des centaines d’esclaves y travaillaient en tant que jardiniers, charretiers, défricheurs, etc. Nous sont, entre autres, parvenues l’histoire de Charles Rama et celle de René qui ont tous deux été émancipés, en reconnaissance des services qu’ils ont rendus à la France.

Pour la sixième et dernière étape du parcours, il faut reprendre la route pour atteindre le Moulin à poudre, qui était à partir de 1775, le seul endroit au monde de l’empire français, où l’on fabriquait de la poudre à canon pour les navires de guerre, de commerce et de traite. Ce lieu s’est doté de nouveaux bâtiments sous le gouvernorat anglais, pour devenir une prison pour des détenus sri-lankais, puis un orphelinat et une léproserie… Un budget de 70 millions a été voté l’an dernier pour poursuivre la restauration de cet endroit ainsi que les recherches qui avaient donné lieu à des fouilles archéologiques en 2016, mais bizarrement, ce site est toujours la propriété du Ministère de la santé, qui a visiblement d’autres priorités.

History, Memory, Identity II

Le deuxième tome de l’ouvrage History, Memory and Identity — Comparative perspectives est paru la semaine dernière parmi les nouvelles publications du centre Nelson Mandela. Dirigé par Edward Alpers, Stéphan Karghoo et Vijaya Teelock, l’ouvrage recueille les textes en anglais ou en français, de dix chercheurs, spécialistes de l’esclavage, qui éclairent plusieurs aspects de l’histoire de la traite et de l’esclavage, à Maurice et dans l’océan indien. Stéphan Karghoo expose brièvement les débuts du projet généalogique permettant de remonter aux origines d’une famille mauricienne, dont des ancêtres ont subi l’esclavage. Relire ce texte donne la mesure du chemin parcouru depuis, lorsque l’on va sur le site du centre Nelson Mandela, découvrir différentes histoires familiales ainsi reconstituées. Beaucoup de Mauriciens se montrent intéressés par de telles démarches pour mieux imaginer l’histoire de leurs ancêtres, mais ils sont malheureusement nombreux aussi à refuser de partager ce type d’informations, pourtant très utiles aux chercheurs.

L’historien d’Aapravasi Ghat, Satyendra Peerthum parle ici des origines, de la vie et des descendants d’esclaves libérés, originaires du Mozambique, vivant à Maurice entre 1856 et 1883, tandis que le professeur émérite sud-africain Chris Saunders retrace l’histoire d’Africains libérés de la colonie du Cap. L’historienne d’origine zimbabwéenne Sandra Rowoldt Shell raconte quant à elle l’histoire singulière d’un groupe de plus de soixante enfants Oromos, d’origine éthiopienne, asservis sur le continent, qui ont ensuite été embarqués pour un voyage vers le Cap, en changeant de bateau à Maurice. Même s’ils ont finalement été libérés, les vies de ces jeunes Oromos ont été irréversiblement bouleversées depuis leur capture en Éthiopie, jusqu’à leur arrivée en 1890 en Afrique-du-Sud dans trois wagons ferroviaires. Le professeur Preben Kaarsholm de l’université danoise de Roskilde a pour sa part partagé le fruit de ses réflexions sur les mutations de la servitude, en étudiant la condition des immigrants indiens, des esclaves libérés et des travailleurs engagés dans les années 1870 à Durban.

Le directeur de recherche à l’université de Toamasina, Chaplain Toto, y fournit un de ses premiers exposés sur les descendants et l’héritage culturel makoa à Tamatave. Edward Alpers s’étend sur les différents héritages musicaux de l’esclavage et de l’engagisme dans les Mascareignes, tandis que Stéphan Karghoo et Jayshree Mungur se penchent particulièrement sur le sega comme legs culturel et ferment d’unité à Maurice. Ce recueil de conférences se conclut sur une analyse signée Jimmy Harmon (directeur adjoint au Service diocésain de l’Éducation Catholique), du discours sur les affranchis prononcé par Sir Virgil Naz à l’intention des Créoles, le 6 octobre 1888 sous le titre : « Cultivez la terre ».

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