Francisco François (nouveau leader de l’OPR) : « Je suis honoré de succéder à Serge Clair »

Notre invité de ce dimanche est Francisco François, député et PPS de Rodrigues et, depuis dimanche dernier, le nouveau leader de l’Organisation du Peuple Rodriguais (OPR). Dans l’interview réalisée jeudi soir, le nouveau leader de l’OPR répond à nos questions sur l’actualité rodriguaise, tout en rendant un vibrant hommage à son prédécesseur, Serge Clair.

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Vous faites de la politique active depuis 1985, après vos études en géométrie et gestion de l’espace en Australie. Après avoir été Best Loser en 2010, vous avez été élu député de Rodrigues en 2014 et 2019. Qu’est-ce qui vous a poussé à faire de la politique active au sein de l’OPR ?

— Après avoir fait mes études universitaires en Australie, que mes parents n’auraient jamais pu financer, grâce à une bourse d’études, j’ai tenu en tant que patriote rodriguais à revenir dans mon île natale pour lui offrir mes compétences. Pendant mes études en Australie, mon cordon ombilical avec Rodrigues a été le journal Le Rodriguais, que Serge Clair me faisait parvenir chaque semaine. Je suis entré naturellement à l’OPR parce que mon ADN politique est dans ce parti, dont mon père a été un des membres fondateurs et militants de la première heure. L’OPR est pour moi non seulement une famille, mais aussi l’école qui m’a donné ma formation politique.

 Le problème c’est que les Rodriguais — beaucoup plus que les Mauriciens — considèrent que leur parti politique est leur famille et rejettent les autres, ceux qui n’en font pas partie. Ce qui fait que l’île est coupée en deux factions opposées au niveau politique et social…

— Cette mentalité a probablement existé dans le passé pour des raisons historiques, mais ce n’est plus le cas aujourd’hui. Dans mes messages, je ne cesse de mettre en avant l’ouverture et le savoir-vivre ensemble rodriguais qui dépasse les frontières de la politique partisane. On peut avoir des différences d’opinion et d’idées, mais il faut d’abord et avant tout penser rodriguais, à l’intérêt du pays et son développement : c’est ça la priorité des Rodriguais.

 Beaucoup de Rodriguais pensent qu’au fil des années, surtout des dernières années, Serge Clair n’était plus l’ « asset » de l’OPR, mais sa « liability » et que sa vision, un peu passéiste de la société, a éloigné les jeunes du parti…

— Je ne suis pas d’accord avec ce que vous venez de dire. Il y a un chemin, pas toujours facile, à emprunter pour diriger un pays, le développer et le faire avancer dans le temps. Il y a une éducation politique à faire pour inciter les Rodriguais à suivre le même chemin, faire les mêmes efforts et sacrifices. À garder la mobilisation nécessaire. L’OPR le fait depuis sa formation en 1976, mais je reconnais que, peut-être, au cours de ces dernières années, il y a eu un certain relâchement à ce niveau…

Surtout quand l’OPR est arrivé au pouvoir à l’Assemblée régionale…

—Il y a eu certainement l’usure du pouvoir, alors que nous étions concentrés sur la gestion du pays et les défis du développement. Et puis, les jeunes veulent des solutions rapides, immédiates, mais nous ne pouvons pas nous permettre de faire des choses qui ne sont valables qu’aujourd’hui, que pour le moment. Il faut réfléchir avant de décider aujourd’hui en s’assurant que cela ne va pas handicaper l’avenir.

Vous n’avez pas répondu sur la question de savoir si Serge Clair était devenu une « liability » pour l’OPR. Cela vous gêne de parler de lui ?

— Absolument pas. J’ai avec Serge Clair, une relation franche et sincère, de presque quarante ans, que ce soit dans les moments difficiles ou les moments de gloire. C’est vrai que l’âge et le temps ont des répercussions sur tout être humain. L’énergie est sans doute différente, mais l’expérience et le charisme acquis au fil des années de lutte pour l’autonomie demeurent. J’en profite pour rappeler une chose essentielle : en dépit de l’engagement des Rodriguais dans ce combat, sans le soutien du gouvernement MSM-MMM de sir Anerood Jugnauth et Paul Bérenger, Rodrigues n’aurait pas obtenu l’autonomie.

 Certains disent que si vous aviez été le leader du parti, l’OPR aurait facilement remporté les dernières élections…

— Il est tellement facile d’être wise after the event, surtout en politique ! Il y a, en politique, surtout à la veille d’une élection, des stratégies, des pronostics, des sensibilités à respecter qui entrent en jeu.

 Le fait brutal est qu’aux dernières élections, les Rodriguais, qui comme vous ont leur nombril attaché à l’OPR, ont voté contre le parti…

— Tout est dynamique dans la vie, plus encore en politique. Nous avons sans doute manqué de rapidité par rapport à certaines décisions à prendre. Mais je voudrais rappeler quelque chose : aux dernières élections, l’OPR, sans aucune alliance, a remporté trois des six régions et 46% des voix. Ce n’est qu’après les élections que plusieurs partis se sont mis ensemble pour revendiquer une majorité à l’assemblée.

Vous avez été surpris par votre nomination à la tête de l’OPR ou est-ce qu’elle était déjà programmée depuis longtemps ?

— Je suis un enfant de l’OPR, j’ai longuement cheminé avec Serge Clair et les militants de la grande famille de l’OPR. J’ai toujours été engagé à 200% pour mon parti, mais sans un consensus, sans une validation des membres, je n’aurais pas été choisi. Tout a été fait dans la transparence, en suivant des règles démocratiques comme toujours au sein de l’OPR. C’était le souhait de Serge Clair, des instances et des membres du parti. Je suis au service du parti et de Rodrigues, que je sers déjà en tant que député et PPS.

 Justement, le chef commissaire Johnson Roussety vous a repris le bureau que vous aviez en tant que PPS, dans le centre administratif, et la voiture que vous utilisiez. Il est évident que cela s’inscrit dans le cadre de l’affrontement politique politicienne entre l’OPR et l’alliance au pouvoir à l’Assemblée régionale. Mais est-ce que, quelque part, il n’est pas temps de revoir le statut des députés de Rodrigues par rapport à l’Assemblée régionale ? Est-ce qu’il n’y a pas double emploi et risque de conflit d’intérêts ?

— Pas du tout. Le rôle des uns et des autres est clairement défini par la loi. L’Assemblée nationale s’occupe des affaires du pays — de la République — dans la globalité, et l’Assemblée régionale des affaires locales de Rodrigues, sous le contrôle de l’Assemblée nationale. Les députés n’empiètent pas sur le travail de l’Assemblée régionale. Pour l’anecdote, je rappelle que Johnson Roussety a été deux fois candidat au poste de député, qu’il qualifie aujourd’hui d’inutile. Et que les deux fois il n’a pas tiré sa caution ! C’est une décision unilatérale et bancale qui a été, on le sait, une réaction à la grande foule rassemblée par l’OPR le 8 janvier à Pointe Coton. Le chef commissaire n’hésite pas à mélanger la politicaille et l’institutionnel.

Poussons plus loin la question : à quoi servent les députés de l’OPR au Parlement national sinon à soutenir le gouvernement et à voter pour toutes ses motions, dont les expulsions de députés de l’opposition ?

— Nous avons un principe : nous n’entrons pas dans les affaires politiques du gouvernement et des partis politiques mauriciens. Nous travaillons avec le gouvernement du jour, aussi longtemps que ce n’est pas contre les intérêts de Rodrigues. J’ai été élu haut la main, ainsi que mon colistier Buisson Léopold, alors que les candidats de l’autre côté ont été battus à plate couture, avec une telle marge qu’il n’y a pas eu de Best Loser ! Je vais assumer mes responsabilités en tant que PPS. Je suis là pour défendre les intérêts de Rodrigues au niveau national.

Vous est-il arrivé de ne pas soutenir une décision du gouvernement central ?

— C’est arrivé avec la loi Aimée, qui voulait créer des municipalités à Rodrigues, ce qui allait à l’encontre du concept de l’autonomie. Nous l’avons fait savoir au gouvernement de l’époque et cette partie du projet a été retirée.

Abordons la question de la proportionnelle, qui a suscité beaucoup de commentaires négatifs — et même des craintes — de la classe politique mauricienne. Avec l’expérience du temps, faudrait-il revoir la proportionnelle ?

— Au départ, en 2002, la proportionnelle paraissait une option valable. Par la suite, l’OPR a été victime de ce système qu’il faut revoir, pour ne pas dire qu’il faut carrément rejeter. Telle qu’elle est aujourd’hui à Rodrigues, la proportionnelle est source d’instabilité, comme le démontre la situation de l’actuelle majorité qui ne tient qu’a un demi-siège ! À la dernière session de l’Assemblée régionale, il était évident qu’il n’y a pas de gouvernement à Rodrigues : les commissaires ne parlent pas le même langage, ne préconisent pas la même politique. Ce n’est en tout cas pas le signe d’un gouvernement uni qui s’est fixé des objectifs pour faire avancer le pays !

 Mais il n’empêche que malgré tout, l’électeur de Rodrigues a préféré cette alliance que vous dites désunie à l’OPR !

— Ça, c’était hier. Quand aujourd’hui vous marchez dans les rues de Rodrigues et que vous parlez aux Rodriguais, vous vous rendez compte à quel point ils regrettent leur vote. Mais qu’ils se rassurent, l’OPR va reprendre le pouvoir à l’Assemblée régionale aux prochaines élections.

 Pourquoi attendre ? Avec la faible majorité dont dispose l’alliance qui forme le gouvernement régional, il suffirait qu’un de ses élus change de camp — en jouant au transfuge — pour que l’OPR prenne le pouvoir avec une opération Viré Mam !

— Ce n’est pas dans la pratique de l’OPR d’aller acheter des voix. Nous n’allons pas mettre en jeu notre réputation de plus grand parti de Rodrigues avec des valeurs juste pour arriver au pouvoir grâce à un transfuge. Nous arriverons au pouvoir uniquement par les élections.

Quel est le principal reproche que vous faites à l’actuel gouvernement régional ?

— Il y en a tellement ! Que par exemple l’on fasse exactement ce qu’il nous a accusé d’avoir fait. Pour régler en partie le problème de manque d’eau à Rodrigues, nous avions préconisé le dessalement de l’eau de mer. Nous avons été diabolisés pour cela. On a annoncé aux Rodriguais que grâce à cette mesure de l’OPR, ils allaient perdre leurs cheveux et leurs dents, que tous les tuyaux allaient rouiller ! Des Rodriguais se sont laissé convaincre par cette campagne mensongère et ont voté contre nous.. Et aujourd’hui, que fait le gouvernement actuel ? Il préconise la mesure qu’il avait diabolisée : le dessalement de l’eau de mer !

Quelle est la solution à ce problème de manque d’eau à Rodrigues, un des principaux problèmes de l’île ?

— Je me peux m’empêcher de sourire quand je lis dans la presse mauricienne que dans certains endroits on manifeste parce que l’eau n’a pas coulé pendant une journée. Chez nous l’eau ne coule qu’une fois tous les deux mois ! Il faut tout d’abord souligner que le Rodriguais a développé une résilience, doublée d’inventivité pour faire face à ce problème. Avec le changement climatique, les pluies tombent plus dans la mer que sur la terre, et nous n’avons pas assez de réservoirs pour capter et distribuer la pluie qui tombe sur l’île. Il faut donc, comme nous l’avions préconisé il y a des années, avoir recours au dessalement de l’eau de mer, tout en soutenant les efforts des Rodriguais pour faire du captage en lui donnant des facilités — ou des subventions — pour construire des réservoirs chez lui. Nous allons améliorer la situation, apporter des mesures palliatives, mais nous n’allons pas pouvoir la résoudre à 100% dans les prochaines années.

Et l’agriculture ?

— Vous avez raison, il n’y a pas que le problème de l’eau. Il faut améliorer les conditions dans tous les domaines, développer un mindset qui nous permette d’être plus productifs. Il faut une conscientisation, une redéfinition de l’agriculture qui doit se faire en tenant compte des nouvelles technologies, mais aussi, et c’est important, avec une meilleure utilisation de nos terres agricoles. Il nous faut établir un cadastre des terres agricoles et légiférer pour protéger le peu de terrains encore disponibles. Avec les gouvernements précédents — dont l’OPR —, nous avons perdu des terrains agricoles. De manière générale, il faut améliorer l’agriculture, l’éducation, le logement, l’accès au travail, bref, tous les besoins de base qui sont aussi les droits humains des personnes.

Il y a de plus en plus de jeunes — en tout cas ceux qui en ont les moyens — qui quittent Rodrigues pour aller chercher du travail ailleurs, dont à Maurice…

— Vu l’étroitesse de Rodrigues, il faut que nous devenions, surtout les plus jeunes, des citoyens du monde sans renier d’où nous venons. Il faut observer, apprendre et rapporter au pays, pas en copiant systématiquement, mais en adaptant les nouvelles connaissances à nos besoins pour transformer le pays, le moderniser. Il faut bien se mettre en tête que c’est au Rodriguais de le faire, parce que personne ne le fera à sa place. Paradoxalement, il faut partir de Rodrigues pour se rendre compte de son charme, de ses qualités, de son importance dans nos vies. Je pense que la jeune génération qui quitte Rodrigues pour aller travailler à Maurice ou ailleurs s’en rend compte. Car ils sont de plus en plus nombreux à non seulement revenir le plus souvent possible, mais à économiser pour faire construite leur maison à Rodrigues. C’est un signe encourageant.

 Il y a donc un avenir à Rodrigues pour les jeunes ?

— Oui, en sortant des sentiers battus, en apprenant à innover et à être créatifs dans le cadre du développement de l’île. Mais attention : il ne faut pas développer pour développer en ne faisant pas attention, en ne veillant pas à ne pas perdre nos caractéristiques, notre authenticité et apprendre à tirer les leçons et faiblesses de ce qui se fait à Maurice. Nous n’avons pas envie de devenir comme Maurice en ce qui concerne le développement, c’est ça qui fait notre différence au sein de la République. Nous ne voulons pas que les influences de Maurice viennent dominer notre mode de vie, notre culture.

 Quand vous dites influences étrangères, est-ce que vous pensez à la drogue qui commence à pénétrer — ou faire des ravages — à Rodrigues ?

— Il faut renforcer le contrôle. Nous devons être une société où chacun se sent bien, en sécurité et protégé des marchands de la mort. Ce genre d’industrie n’a pas de place à Rodrigues. Je sais que, déjà, certains Rodriguais se sont laissé séduire, mais nous devons être très vigilants et empêcher la drogue de se répandre dans l’île. Des mesures ont été prises, mais il faut en prendre d’autres. Par exemple, mettre des scanners à l’aéroport, parce que c’est par là que la drogue entre à Rodrigues. Il faut renforcer le contrôle à tous les niveaux.

Changeons de sujet. Vous êtes député national, vous n’avez pas pu ne pas entendre cette rumeur sur de possibles élections générales anticipées ?

— Dès que vous avez fait le serment comme nouveau député pour un mandat, vous devez vous déjà vous préparer pour les prochaines élections. Avant, il fallait préparer des dossiers d’informations à emporter, aujourd’hui tout est sur un laptop, c’est plus pratique !

Être à la fois leader de l’OPR et député PPS de Rodrigues, ce n’est trop de travail pour un seul homme ?

— Le leader du parti peut être, selon les circonstances, ministre, simple député ou leader de l’opposition, comme cela s’est déjà produit dans le passé. Il faut qu’un leader de parti à Rodrigues soit à l’Assemblée nationale ou à l’Assemblée régionale. Il y a eu, il y a encore, une demande pour que le leader de l’OPR pose sa candidature comme futur chef commissaire aux prochaines élections. C’est une option qui est à l’étude, mais aucune décision n’a encore été prise. Quand nous arriverons au pont, nous déciderons s’il faut le traverser ou non. Mais je peux vous dire que la situation politique est actuellement favorable à l’OPR et que nous avons de très grandes chances de remporter les prochaines élections des députés et à l’Assemblée régionale.

Devenir leader de l’OPR, c’est la consécration de votre parcours politique ?

— Ce n’est que le commencement d’une autre étape de mon engagement politique et sacerdotal.

On note que vous utilisez des termes religieux dans votre discours politique…

— C’est vrai, parce que je suis aussi guidé par ma foi chrétienne qui prône le partage et la charité, préconise de se mettre au service de l’autre et de se sacrifier pour servir son pays. En tant que nouveau leader de l’OPR, je suis garant du grand héritage laissé par ses premiers militants, mais j’accueille aussi le renouveau avec les plus jeunes, avec qui nous allons travailler sur un nouveau projet de société pour Rodrigues, pour remplacer le précédent, tout en mettant l’accent sur le concept de Rodinnovation, l’ajout des mots Rodrigues et innovation.

Est-il facile d’entrer dans les souliers de Serge Clair comme leader del’OPR ?

— Serge Clair est unique en lui-même, c’est un leader hors du commun…

On croirait entendre un Nord-Coréen admirateur de Kim Jung Un flattant son leader !

— Il ne faut pas exagérer tout de même ! Cela fait plus de 37 ans que je connais Serge Clair, qui a planté en 1976 un arbuste qui s’appelait l’OPR. Il l’a fait grandir et se fortifier contre marées et cyclones pour devenir un grand arbre avec des racines profondément enfouies dans le sol. La mission de la relève de l’OPR est de continuer à faire pousser l’arbre avec la réunification et la réconciliation du peuple de Rodrigues pour son devenir. Je n’ai pas l’intention d’entrer dans les souliers de Serge Clair, mais de continuer dans la voie qu’il a tracée en 1976 en tenant compte de l’évolution de la situation d’aujourd’hui. Comment oublier tout ce qu’il a apporté pas seulement pour l’OPR, mais aussi pour Rodrigues et les Rodriguais ? Je suis honoré d’avoir été choisi pour lui succéder et j’espère que je serai à la hauteur de la tâche. J’aimerais terminer en soulignant que cette importante transition politique au sien de l’OPR s’est déroulée en toute démocratie, en toute transparence, en respectant les valeurs de l’OPR, le plus grand parti de Rodrigues.

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