Preetam Mohitram : « Les académies appelées à décloisonner les idées reçues sur le genre »

À partir du 5 juillet, filles et garçons, des adolescents en construction, cohabiteront dans les 12 académies. Et ce, en dépit des débats passionnés et des avis réfractaires venant entre autres de pédagogues sur la mixité. S’exprimant à son tour, Preetam Mohitram, président du Syndicat des recteurs et assistants-recteurs ds collèges d’État, en profite pour rappeler clairement que « ce n’est pas parce qu’on a 90 filles et 90 garçons dans une académie que l’on doit prendre pour acquis que la mixité est une réalité. » Recteur au collège John Kennedy, il parle aussi des académies comme étant une opportunité pour déconstruire les préjugés sur le genre.

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Comment est-ce que les académies ont été préparées pour aborder la mixité ?

La préparation s’est faite principalement à travers la communication, dont une sensibilisation de toutes les parties concernées. Pour l’instant, il y a deux niveaux de préparation. Dans un premier temps l’amélioration des infrastructures scolaires, la reconversion des salles de classe en des ateliers spécialisés (Design & Technology, Food & Nutrition, Dress & Textiles) et la construction de toilettes. Ces travaux sont en cours dans quelques établissements et ne gêneront pas le déroulement des cours après la rentrée. Dans un deuxième temps, l’accent est mis sur l’analyse des filières propres à chaque académie. Dans la forme, on est prêt pour la mixité. Mais dans le fond, il y a un travail de formation continue de profs, d’encadrement, d’intégration des élèves à faire. Les chefs d’établissements doivent désormais réfléchir et mettre en place des structures à l’école pour que cette notion de « mixité » soit mieux acceptée et comprise. Ce n’est pas parce qu’on a 90 filles et 90 garçons dans une école nationale, appelée académie, que l’on doit prendre pour acquis que la mixité est une réalité. Ce n’est que le début d’un long cheminement. Nous avons appris à travers les médias la réaction des uns, les appréhensions des sceptiques et la fierté de quelques parents dont leurs enfants viennent d’intégrer une académie. La mixité ne sera une réalité que lorsqu’elle sera généralisée. C’est à ce moment-là qu’on pourra considérer la mixité comme un véritable catalyseur d’inclusion à l’école.

Justement, pendant les débats qui ont suivi la présentation de la réforme dans l’éducation, des doutes avaient été émis par des éducateurs sur la mixité. Pourquoi est-ce que les responsables des collèges d’État dont les établissements accueillent des filles et de garçons n’avaient pas pris position sur la question ?

Je dirai d’emblée que certains doutes sont importants pour faire avancer les choses. Il ne faut pas les considérer comme des obstacles. Ces doutes enrichissent le débat. J’observe que notre jeune société a commencé petit à petit à se défaire de quelques préjugés trop longtemps enracinés dans des réflexes conservateurs. Les doutes dont vous parlez ne sont en fait que des peurs refoulées ou d’un refus systématique du nouveau dans un paysage éducatif qui peinait à se hisser au standard international. Il y a des doutes qui sont devenus des certitudes. Ces éducateurs ont-ils raison de remettre en question la mixité ? C’est la rentrée de juillet 2021 qui nous le dira. En tant que responsables de collège d’État, nous avons fait entendre notre voix par le passé pour permettre un meilleur débat. Les opinions étaient sans doute partagées. Depuis, beaucoup ont changé d’avis et les indécis se taisent. Je ne manquerai pas d’insister là-dessus, quand la réforme s’est installée pour devenir une réalité, on n’a eu d’autre choix que de mettre en œuvre les décisions politiques. Les discours ont changé pour dire : « Nous travaillons dans l’intérêt des enfants. » Cela étant dit, il faut reconnaître que chaque prise de position est nécessaire, elle permet à l’autorité de revoir sa copie, de chercher à négocier et d’élargir la consultation. Aujourd’hui, nous sommes à la croisée des chemins, à un moment où, au cœur même de la crise de la pandémie de la Covid-19, on assiste au quasi-aboutissement de la réforme éducative à Maurice.

Les académies ont là une occasion de déconstruire les stéréotypes du genre. Votre opinion ?

Vous avez bien dit une « occasion ». Il fallait la saisir et la transformer en une aubaine pour les raisons suivantes. Quand nous savons combien il est difficile aux filles surtout et aux garçons de vivre une vraie intégration au sein des institutions (éducatives et professionnelles) et par extension dans la société, nous devons nous donner la chance de considérer les académies comme un moyen d’intégration sociale et d’inclusion. Trop de personnes souffrent en silence. Trop de personnes sont victimes de leur environnement et de tortionnaires homophobes, narcissiques, voire communautaristes. C’est lorsqu’on est des victimes qui s’ignorent que l’on se transforme en « bourreaux », au grand dam de ces élèves innocents qui ont tous le droit de revendiquer leur identité sexuelle, bien sûr dans le respect du contexte social et culturel. Une profonde connaissance du monde des ados permettrait aux adultes de mieux les protéger contre le racket et le harcèlement scolaire, voire la violence pédagogique. Quant à la déconstruction des stéréotypes du genre, notre société est trop complexe pour l’aborder sans tabou et sans pudibonderie. L’école a sa réalité. Nous vivons au quotidien des « drames » dont les enfants ou ados sont victimes. Certains ne comprennent pas ce qui se passe, d’autres se découvrent à l’école, s’interrogent sur les relations humaines, entre autres. N’est-il pas temps de considérer les académies comme une nouvelle fenêtre ouverte sur l’épineuse question du genre ? L’école n’est surtout pas le lieu pour une victime de complexes et de préjugés. Mais un lieu pour en parler, pour apprendre à respecter l’autre, pour comprendre que les différences, si elles sont bien comprises et acceptées, elles peuvent nous unir au lieu de nous diviser. Les académies seront donc appelées à ouvrir le dialogue et à décloisonner les idées reçues sur le genre. C’est à ce moment-là qu’on donnera une autre dimension à la notion de « mixité ».

Néanmoins, est-ce que le programme d’études à ce stade où l’apprenant/e est engagé/e dans un système compétitif fait réellement de la place à l’éducation sur l’égalité des genres ?

Le cursus scolaire accorde désormais une place importante à l’égalité des genres. De Grade 10 à 13, les élèves réfléchissent sur de tels sujets. Placés dans un environnement mixte, filles et garçons pourront échanger leur point de vue et accorderont une place certainement à l’égalité des genres. Nous savons qu’avec l’évolution de la société, beaucoup de décisions étaient prises dans le temps, à l’insu des filles. Être témoins des discours de leurs camarades de sexes opposés leur permettrait de mieux comprendre leur raisonnement, leur façon de penser, leur attitude. L’éducation sur l’égalité des genres s’apprend en permanence. C’est lorsqu’ils sont plongés dans un environnement où les codes sont communs qu’ils vont comprendre la nécessité du respect mutuel sur tous les plans. En principe, le programme d’études ne fait que leur donner les éléments rudimentaires pour s’autodiscipliner, se responsabiliser et devenir des apprenants autonomes. Le climat compétitif endémique à une classe mixte ne pourra qu’élargir l’horizon intellectuel des élèves sur l’importance de l’égalité des genres. Ainsi, ils pourront mieux la respecter, la valoriser et la défendre dans la vie active.

Quel impact pourrait avoir la mixité sur la performance de filles, sachant que les statistiques démontrent toujours qu’elles excellent plus que les garçons aux différents examens ?

L’impact sera positif. Je dirai aussi que la performance des garçons aussi s’en trouvera améliorée progressivement. Filles et garçons sont tout aussi compétents, les uns les autres. Ce qui compte, c’est le degré d’application, l’assiduité, la détermination, la rigueur et surtout la patience, considérée plus comme étant une qualité, pour aspirer à l’excellence.

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