Sanjeev Ghurburrun (Mauritius Port Authority) : « Régulateur et acteur commercial ne font pas nécessairement bon ménage »

Sanjeev Ghurburrun, qui a succédé à Renganaden Maistry à la présidence de la Mauritius Ports Authority (MPA), a, dans une interview accordée au Mauricien, expliqué que le Premier ministre lui a confié le mandat de réformer cette compagnie. Il lance dans ce contexte un projet qui suscitera beaucoup d’intérêt dans le port, à savoir la séparation de la fonction de régulateur de celle des activités commerciales. Ainsi, la MPA deviendra un régulateur sous la Ports Act, et tout ce qui concerne le service commercial et l’investissement de la MPA sera placé sous la responsabilité d’une compagnie dont le gouvernement sera propriétaire, avec, pour objectif, de rentabiliser les activités portuaires. Il affirme disposer de jusqu’à décembre pour présenter un projet à Pravind Jugnauth.

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Sanjeev Ghurburrun, vous êtes directeur de Geroudis Law Firm, avocat, spécialiste en matière de copyright. Vous avez déjà fait une incursion dans la politique. Comment vous êtes-vous retrouvé à la présidence de la Mauritius Ports Authority ?

D’abord, je ne fais pas de politique active. Je suis un avocat et je pratique toujours comme avocat, j’ai été nommé président à temps partiel de la MPA. J’ai beaucoup pratiqué dans le domaine commercial. J’ai travaillé avec le secteur privé et avec des entreprises. En tant qu’avocat, nous sommes aussi appelés à faire la gestion des projets. Mon affectation à la présidence de la Mauritius Ports Authority s’inscrit dans le cadre d’un projet de réforme du secteur portuaire. Pour cela, le Premier ministre a cru bon de faire appel à quelqu’un en dehors du secteur portuaire afin de voir comment fonctionne le port et quelle stratégie adopter pour apporter des changements.

Quel est donc votre mandat ?

Mon mandat consiste à apporter des changements dans le port. J’ai passé un mois à comprendre comment fonctionne le port. Une fois que j’ai compris où le port se situe, il me faut maintenant voir quels sont les changements qui peuvent être apportés et comment procéder pour attendre cet objectif. Après 90 jours, je suis tenu de soumettre un rapport complet sur le port en tenant en considération les conséquences de la pandémie de Covid 19 qui a entraîné une hausse sensible des coûts d’opération. Il s’agira de savoir comment faire pour survivre et intégrer un monde en pleine mutation. Voilà mon programme.

Une fois ce rapport validé, nous nous engagerons dans la phase d’exécution. Il s’agira alors de déterminer quels sont les changements qui pourront être apportés immédiatement, à moyen terme, soit sur une période de deux ans, ce qui probablement concernera les achats d’équipements par le biais d’appels d’offres. Finalement, il nous faudra faire une projection sur le long terme, soit sur dix à quinze ans. Il s’agira de savoir comment évoluent les secteurs portuaires dans le monde, comment évoluent le trafic maritime et le commerce portuaire. Quel devrait être notre rôle dans la région ? Nous avons toujours rêvé d’être un “hub” pour l’océan Indien, mais il faut savoir quels sont les moyens dont nous disposons, quelles sont les ressources humaines qui devraient être mises à notre disposition pour atteindre cet objectif.

Vous succédez à Ramalingum Maistry, qui a été à la présidence de la MPA pendant de longues années. Comment vous situez-vous par rapport à sa présidence ?

J’ai rencontré M. Maistry. Il y a eu un “handing over”. Il a accompli sa mission dans le port en mettant l’accent sur le social. Il avait aussi une bonne compréhension de la situation portuaire. Nous sommes différents dans notre modèle et dans notre mandat. Son action était inscrite dans la continuité et, moi, j’ai pour mission d’apporter un renouveau. Je dois m’assurer que le port est plus structuré pour s’engager dans la voie de la réforme.

Quels ont été vos principaux constats depuis votre arrivée ?

La première chose que j’ai réalisée est que la fonction de régulateur et celle d’acteur commercial ne font pas nécessairement bon ménage. Ce n’est pas une situation idéale. Personnellement, je suis d’avis qu’il faut séparer ces deux fonctions. Il faut que la MPA soit un régulateur à temps plein. Son rôle consistera à octroyer les permis, décider quels sont les navires qui peuvent opérer, quels sont ceux qui ne peuvent le faire, définir les normes de sécurité qui doivent être mises en œuvre dans le port, déterminer les permis qui doivent être accordés et les critères qui doivent être appliqués en cas d’urgence.

La dimension commerciale devrait se concentrer sur la promotion du port au niveau international et auprès des compagnies maritimes internationales. Elle consiste à faire du port un secteur profitable qui rapporte des devises étrangères pour le pays afin d’apporter une plus grande contribution à l’économie locale. Le port doit pouvoir fonctionner comme une entreprise. Il ne peut continuer à opérer comme un corps para-étatique.

Pour que le port puisse progresser et devenir plus performant, il devrait suivre l’exemple de l’aéroport qui dispose de la Civil Aviation Authority et d’Airports of Mauritius qui gère le complexe et les facilités aéroportuaires. C’est, à mon avis, un système qui devrait permettre au port de devenir un secteur profitable en s’assurant de la fourniture d’un service plus performant, plus productif et plus rentable.

                                                                                                                                                                                

Quel sera le rôle de la Cargo Handling Corporation Ltd ?

La Cargo Handling Corporation Ltd. doit être suffisamment efficiente et productive pour que Maurice puisse devenir un “hub” incontournable dans l’océan Indien. Pour revenir au positionnement de port de Port-Louis dans la région de l’océan Indien, il faut savoir qu’il y a une quinzaine de ports qui offrent un service varié dans l’océan Indien. Toute compagnie maritime qui décide de quitter Maurice ira dans un de ces 15 ports. En ce sens, ils sont nos principaux concurrents.

Nous recueillons actuellement des documentations sur chacun des 15 ports de manière à mieux connaître leur fonctionnement, les services qu’ils proposent, les infrastructures dont ils disposent, les coûts pratiqués, leur productivité, les problèmes auxquels ils sont confrontés. Il est important de savoir comme le port mauricien se situe par rapport à eux et de tirer les leçons nécessaires et redéfinir notre positionnement. Il est important de connaître nos forces et nos faiblesses avant d’envisager une collaboration et voir dans quel domaine on pourrait être plus compétitif. N’importe quelle entreprise aurait fait la même chose.

Je pense que la privatisation peut nous aider en ce sens. J’ai constaté que le port ne dispose pas d’une équipe de marketing, ni d’un service de vente, ni de département de recherche, nous ne savons pas ce que font nos concurrents. Nous ne disposons d’aucun service chargé d’aller à la recherche de nouveaux clients. C’est un manquement qu’il faut combler à tout prix. Il nous faut apporter plus de valeur ajoutée.

Vous pensez donc que le port ne dispose pas d’infrastructures appropriées afin qu’il puisse participer pleinement à la relance de l’économie post-Covid ?

Absolument. Il faut savoir que le secteur orienté vers l’exportation emploie une centaine de milliers de personnes et dépend largement de l’efficacité et de la capacité des services portuaires. Si nos services ne sont pas raisonnables, si le système est trop lent, cela risque de créer toute une chaîne de problèmes. Maurice étant aussi un pays importateur, tous les produits nécessaires au bon fonctionnement de l’économie passe par le port. C’est le cas également pour les matières premières du secteur manufacturier.

Comment améliorer l’efficience portuaire ?

Il est un fait que Maurice dépend entièrement des compagnies maritimes internationales au nombre d’une dizaine qui contrôlent le monde du transport maritime. Elles font la pluie et le beau temps. Ce sont elles qui décident de desservir le port qu’elles considèrent comme les plus efficients. Le défi surtout pour la Cargo Handling Corporation est d’arriver à un niveau de performance qui permette de satisfaire toutes les compagnies maritimes.

Certes, il y a une partie qui est structurelle, c’est-à-dire qu’il leur faut davantage d’équipements et d’espace et l’autre partie concerne les ressources humaines. Toutes les équipes doivent jouer le jeu. S’il y a un problème d’efficience, il faudrait que toutes les parties prenantes puissent mettre la tête ensemble et trouver une solution aux problèmes qui se présentent. Il existe une perception qu’il y a une résistance au changement, je suis convaincu qu’il y a la bonne volonté nécessaire pour trouver une solution à tous les problèmes qui pourraient surgir. Il faut que nous arrivions à bon port ensemble et que tous travaillent tous dans la bonne direction.

Comment comptez-vous procéder pour séparer la fonction régulatrice et la fonction commerciale des activités portuaires ?

Il faudra, en premier lieu, avoir la bénédiction de mon ministère de tutelle, à savoir le bureau du Premier ministre. On se penchera ensuite sur le volet légal que demande ce changement. La Mauritius Port Authority a été créée aux termes de la Ports Act. Il faudra introduire les amendements appropriés afin que les activités régulatrices restent sous la loi et créer une entité légale qui régira toute la partie commerciale. Elle sera responsable de toute la question de la construction du quai, du “bunkering”, du pilotage des navires et des remorqueurs. Nous devons nous assurer que personne n’est lésé dans le cadre de cette transition.

Ma mission est de m’assurer que l’île Maurice acquiert la réputation d’un port qui respecte toutes les normes internationales. En tant qu’opérateur portuaire, il nous faut optimiser la valeur des services que nous proposons. Notre plus gros défi consistera à changer la culture qui a prévalu dans le port pendant longtemps. Je sais qu’en 2011, la MPA avait adopté un projet de “performance management system” qui n’a jamais été mis en œuvre. Je ne blâme personne mais il fait maintenant apporter les changements nécessaires dans le port mauricien afin qu’il puisse contribuer pleinement au développement économique du pays.

Dans le cadre de ce processus, avez-vous prévu des consultations avec le personnel portuaire ?

Nous avons déjà commencé à évoquer le principe avec les membres du personnel. La réforme est inévitable. Nous l’avons déjà annoncée, nous l’avons évoquée au niveau du conseil d’administration. Il faut nous réveiller et ne pas nous endormir sur nos lauriers. Il nous faut prendre conscience que nous ne sommes pas aussi compétitifs que nous le pensions. Nous devons tout mettre en œuvre pour devenir le meilleur port dans cette région.

Les gouvernements et ceux qui m’ont précédé ont doté le port d’infrastructures nécessaires, ont augmenté la profondeur au quai de conteneurs de manière à accueillir de gros bateaux. Cela nous a beaucoup aidés. Il s’agit maintenant de passer à une nouvelle étape : celle de mettre en œuvre la vision du Premier ministre de doter le pays d’un port moderne.

Avez-vous essayé de voir comment se présente la situation dans les ports d’autres pays ?

Je dois reconnaître que nous nous engageons dans un système de développement qui a déjà fait ses preuves dans les grands ports européens. Le système de corporatisation du volet commercial séparé de la régulation a déjà été introduit à Rotterdam depuis 2004. Évidemment, nous nous inspirerons de ce que les autres ont fait et nous l’adapterons à nos besoins.

Ensuite, le marché international du fret est de plus en plus automatisé et digitalisé. Beaucoup de personnes se demandent pourquoi Port-Louis n’accueille que quelque 2 000 navires annuellement alors que 34 000 navires passent à côté de Maurice tous les ans ? La vérité est qu’on ne connaît pas quels sont les 34 000 qui passent au large de Maurice. On ne leur a jamais demandé pourquoi ils utilisent cette route et quels sont leurs besoins. Quels sont les services qu’on peut leur proposer ? C’est pourquoi, une des premières choses à laquelle nous nous sommes attelés est d’établir une liste de facilités que le port est en mesure d’offrir. En même temps, il nous faudra savoir quels sont leurs besoins et dans quelle mesure on pourrait les satisfaire. C’est alors qu’on pourra se positionner pour leur offrir ce que d’autres ports ne peuvent proposer. Cela devrait prendre 12 à 18 mois et fait partie de notre projet de réforme.

Comme nous le savons, le “bunkering” a pris de l’ampleur chez nous. C’est un projet qui marche. Il faut savoir quels sont les domaines susceptibles d’apporter plus de valeur au port mauricien. Ce qui nous amène à décider quels sont les projets phares qui pourraient être développés à l’avenir. Devrons-nous mettre l’accent sur le transbordement des conteneurs ? Devrons-nous devenir un “petroleum hub” ? Devrons-nous nous engager davantage dans l’économie bleue ? Devrons-nous proposer des services auxiliaires comme la sécurité, l’informatisation ou le “policing” de notre zone économique ?

Est-ce tous ces projets ne font pas partie de la vocation du port ?

Personnellement, je ne pense pas qu’on doive se lancer dans tous les projets. Il nous faudrait choisir trois ou quatre choses dans lesquelles nous pourrons exceller au lieu de faire une dizaine de choses et disperser inutilement nous énergies. Le transbordement des conteneurs marche bien comme le “bunkering”. D’ailleurs notre plus grande réalisation durant la dernière année marquée par le Covid est que contrairement à l’aéroport, nous avons pu fonctionner. Le port de Maurice a montré qu’il est un port stable, sécurisé et durable.

Quid du Mauritius Freeport ?

Le port franc concerne surtout le secteur privé. La MPA a mis des terres à la disposition des entrepreneurs pour qu’ils puissent faire du stockage. Certains sont en train de développer des infrastructures dans la région aéroportuaire. Toutefois le défi que nous aurons à relever dans le port franc est la question de sécurité. Nous comptons introduire un système de “smart policing” en utilisant davantage la technologie.

Vous pourriez empêcher la disparition de conteneurs alors ?

Les conteneurs qui ont disparu ne tombaient pas sous la responsabilité de la MPA. Je sais qu’une enquête est en cours. La CHCL m’a informé que les drones ainsi qu’un système GPS seront également utilisés par les services de sécurité afin de mieux suivre les conteneurs.

Dans la pratique, comment voyez-vous ce volet commercial de certaines activités portuaires ?

Je le vois un peu comme une compagnie privée gouvernementale avec pour principal actionnaire le gouvernement. Il est évident que le conseil d’administration et la direction devront comprendre des professionnels. Actuellement, trois membres du secteur privé choisis par le Premier ministre siègent sur le “board” de la MPA. La corporatisation des services commerciaux permettra à la MPA de mieux servir ses clients et d’optimiser ses services au bénéfice de ses actionnaires, c’est-à-dire de gouvernement.

Est-ce que les projets portuaires engagés avancent normalement ?

Nous envisageons d’appliquer des projets sur différentes bases. Tous les projets devront avoir un retour sur l’investissement, quitte à avoir moins de projets. Je ne compte pas encourager des projets pour lesquels les revenus sont incertains parce que nous utilisons l’argent public.

Il y a des projets qui figurent déjà dans le Master Plan portuaire. Qu’est-ce qui se passera ?

Le Master Plan a été bouleversé par le Covid-19. Personne ne sait si les projets envisagés avant la pandémie sont encore valables aujourd’hui. Par exemple, s’il fallait construire un deuxième bâtiment, je réfléchirais à deux fois en tenant en considération le fait qu’une bonne partie du personnel peut “work from home”. Le contexte économique a changé. Il se pourrait qu’il y ait moins de navires et, par conséquent, moins de “hubs”. Ensuite, le coût du fret ne devrait pas baisser avant deux ou trois ans en raison des problèmes internationaux.

Afin de nous adapter à la nouvelle situation, il nous faut être beaucoup plus productifs et performants qu’auparavant. Le contrat conclu avec le syndicat n’est plus adapté avec le monde actuel. Il faudra voir comment le corriger. Il y a des projets figurant dans le Master Plan comme un “island breakwater”, une extension à Fort-William. Nous comptons toutefois évaluer l’intérêt des clients éventuels avant de lancer le projet. Il s’agit de nous assurer que le projet sera définitivement rentable avant d’aller de l’avant.

Comment expliquez-vous que certains équipements et grues sont sous-utilisés ?

Il y a un contrat avec les syndicats selon lequel il y a sept grues, mais que nous ne pouvons utiliser que cinq. Je ne comprends pas cette logique. Actuellement, on peut utiliser juste quatre grues au lieu de sept ou huit. Je vais essayer de comprendre comment cela fonctionne. Espérons qu’on pourra résoudre ces problèmes de bonne foi parce que tout ça n’est pas logique.

Ou en sommes-nous avec les bateaux de croisière ?

D’après mes renseignements, tous les passagers sont dans une situation de “wait and see”. Les voyageurs veulent avoir des garanties qu’ils ne seront pas bloqués en mer. Les spécialistes estiment que cet aspect de l’industrie touristique ne retrouvera pas sa vitesse de croisière avant la deuxième partie de 2022, peut-être début 2023.

Pour Maurice, les croisières ont une dimension économique intéressante parce que les touristes de croisière ne lésinent pas sur les moyens. Le terminal de croisière est en bonne voie. Il y a eu un petit retard en raison du Covid. Il devrait être livré en février de l’année prochaine. Nous envisageons de créer un service de marketing avec la MTPA et l’AHRIM pour aller à la recherche de clients. L’APIOI, sous la présidence de M. Maistry, travaille sur un projet régional. J’ai d’ailleurs demandé à M. Maistry de rester à la présidence de cette organisation encore quelque temps.

Vous êtes confiant de pouvoir donner un nouveau souffle au secteur portuaire ?

C’est une opportunité pour tous ceux travaillant dans le port de revoir leur motivation et leur carrière. C’est donc un défi pour les employés, c’est un défi pour le pays.

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