À Olivia : deux mères lancent leur petit business et esquivent la précarité

Deux mères de famille ont relevé leurs manches pour monter leur très petite entreprise respectivement. Avec pour principal capital leur volonté, elles veulent offrir ce qu’il y a de mieux à leurs enfants.

Bessy Danbon voit peu à peu sa maison, construite à l’étage de celle de sa mère, prendre forme. Le toit en tôle a été posé. Elle ne cache pas sa fierté et encore moins la satisfaction de voir enfin le fruit de ses efforts. Tous les jours, sans exception depuis juillet dernier, elle confectionne elle-même un assortiment des boulettes de viande, chouchou, entre autres, et prépare des mines bouillies et frites qu’elle vend dès 9h dans son échoppe. Celle-ci n’est autre que la terrasse de la maison de sa mère, dans la cité CHA d’Olivia, et qu’elle a aménagée pour opérer son petit business. Les deux années passées dans les cuisines d’un restaurant très fréquenté à Saint Julien n’ont pas été vaines.

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Bessy a été aide-cuisinière. Elle raconte qu’en observant le chef à l’œuvre, elle a appris les astuces et les secrets de la cuisine chinoise. Aujourd’hui aux commandes de son petit business, elle applique les techniques apprises. Le succès semble au rendez-vous. Car depuis, ses bols de mines à Rs 50 et ses boulettes à Rs 10 ont conquis tout son quartier. Mais il n’y a pas que les saveurs des plats de Bessy qui attirent. En pratiquant des petits prix, Bessy a fidélisé des habitués. « Il y a des jeunes et des enfants qui viennent régulièrement acheter des mines. Zot aste lamwatie bol. Lerla zot pey zis Rs 25 », confie-t-elle. Cette stratégie est payante. Grâce à celle-ci, Bessy perçoit un revenu qui lui permet de construire une petite maison pour ses filles et elle. Et d’être indépendante financièrement…

« Mo’nn bien konn lamizer kan mo ti Rodrig… »

Plus loin, dans un autre quartier d’Olivia. Il est bientôt 15h. Maudeline Antonio ouvre sa petite tabagie en tôle bleu turquoise. Elle attend ses premiers clients. Située en bordure de route devant sa modeste maison, sa tabagie est devenue en peu de temps le point de ravitaillement des habitants des rues avoisinantes. « Les taxis aussi s’arrêtent ici. Le dispensaire n’est pas très loin. Ma rue est un lieu de passage pour beaucoup », nous dit-elle d’une voix enjouée. Maudeline Antonio est heureuse de parler de sa tabagie. Pour cause, ce petit business qu’elle a lancé il y a deux ans représente une porte de sortie pour elle, un rempart contre la précarité. Grâce à sa tabagie, Maudeline, mère d’un garçon de 11 ans, est devenue le principal pilier économique de son foyer.

« Mo mari enn sarpantie. Pa tou letan ki li ena travay. Avan mo ti pe travay kom fam-de-menaz. Kan mo mari pa travay, nou reveni pa ase. Aster mo pe resi debriye. Mo nepli dan sa sitiasion kot mo pe bizin demann mwa kouma mo pou fer pou mo pey mo bann faktir », confie-t-elle. « Mo’nn bien konn lamizer kan mo ti Rodrig… », dit-elle. D’origine rodriguaise, Maudeline a grandi au village d’île Michel et fait ses études secondaires au collège Maréchal avant de s’installer à Maurice il y a 15 ans, soit après le décès de sa mère. Pour gagner sa vie, elle travaille dans un supermarché puis devient employée de maison.

Cakes à l’orange, friandises…

Tout a commencé pour Maudeline Antonio quand elle a participé à une formation sur la pâtisserie suivie d’un stage dans les cuisines d’une chaîne de supermarchés. « Pour prendre part à cette formation, j’ai dû prendre la décision de quitter mon travail comme employée de maison. Ce n’était pas évident, car je ne savais pas si j’allais travailler après. L’idée derrière cette formation était de me préparer à une reconversion. J’aime beaucoup cuisiner et on m’a toujours fait des compliments pour mes plats pendant les repas familiaux. Mon entourage m’a encouragée à aller de l’avant avec la formation et c’est ce que j’ai fait sans regret. L’expérience auprès des professionnels était extraordinaire. J’ai appris des techniques intéressantes. Mais une fois la formation terminée, il me fallait concrétiser mes acquis. C’est là que j’ai décidé de faire une demande de permis pour opérer ma tabagie et vendre mes gâteaux. Cela a été un parcours du combattant. L’attente a été longue. Entre-temps, j’avais commencé à faire des gâteaux et pris des commandes. Et je me suis fait connaître de bouche à oreille. D’ailleurs, je suis assez populaire dans la région. Après de longues attentes, j’ai pu finalement décrocher mon permis et je me suis lancée », raconte Maudeline Antonio.

Pour financer la construction de son local, elle a utilisé l’argent qu’elle épargnait au sein d’un groupe. Dans sa tabagie, dit-elle, il y a des cakes à l’orange qu’elle prépare, aussi bien que des croquettes, des snacks et friandises classiques. Mais il y a également ses faratas accompagnés de curry, ses best-sellers, dit-elle. « J’en fais une trentaine tous les jours », explique Maudeline. Cette dernière fait aussi des plats à la minute et sur commande, notamment les incontournables mines et boulettes.

« Pena ler kot dimounn pa vinn aste minn »

Quand Bessy Danbon débarque chez sa mère avec ses deux filles, collégiennes, à Olivia, il y a un peu plus d’un an, elle venait de faire un trait sur son foyer. « Mon trajet pour aller au travail avait changé. Je devais prendre deux bus pour me rendre au travail. Mon employeur était réticent à me rembourser le surplus. Je ne pouvais pas payer mon transport de ma poche. J’ai quitté le restaurant pour me mettre à chercher du travail. Mais en vain. Entre-temps, c’est ma mère qui me soutenait pour l’éducation de mes filles lorsque l’école a repris en présentiel et de son côté ma sœur m’aidait financièrement. Mais je voulais absolument trouver du travail », raconte Bessy. Après des recherches qui se sont soldées en échec, cette dernière décide de tenter un essai.

« Comme je maîtrise les plats en sauce, je me suis alors dis que j’allais tester mes mines, et que si cela marchait, je continuerais. On m’a dit : Kifer to pa vann legim plito ? Sa ki pe marse. Mais je ne voyais pas l’intérêt de vendre des légumes, car beaucoup de personnes le font déjà dans la région alors que ce n’était pas le cas pour la vente de nourriture », confie Bessy Danbon. Un autre problème se pose : la cuisine chez sa mère est trop petite, comme la maison d’ailleurs. Celle-ci est composée de deux pièces seulement et la mère de Bessy partage déjà la maisonnée avec ses autres enfants, sa belle-fille et ses petits enfants. « J’ai demandé à mon frère de fermer la terrasse de la maison et à partir de là j’ai installé un four à gaz et aménagé l’espace pour être à l’aise pour cuisiner », explique Bessy Danbon. « Pena ler kot dimounn pa vinn aste minn ek boulet. Parfwa zot vini 8h gramatin, 9h aswar. Me mo pa ouver », dit-elle.

« Je travaille sans relâche pour mes filles »

Dans quelque temps, Bessy et ses deux filles emménageront dans leur deux-pièces. « Cette maison, je l’ai fait construire petit à petit. J’ai eu la chance d’avoir été aidée par mon ami Westley, mes voisins et mes proches. Je travaille sans relâche pour que je puisse enfin vivre en toute quiétude dans une maison avec mes filles. Elles me reprochent souvent de ne pas me poser, faire une sortie avec elles. Mais je ne peux pas me permettre de ne pas travailler. Aller faire du shopping, tout cela ne m’intéresse pas pour l’instant. Je voudrais leur donner toutes les chances possibles pour réussir dans leur éducation, là où moi j’ai échoué », confie Bessy avec une pointe de regret dans la voix. Après deux échecs aux examens de fin de cycle du primaire, elle abandonne les bancs de l’école à 13 ans pour enchaîner de petits boulots.

De son côté, Maudeline ne fermera pas sa tabagie avant 19h. En étant son propre chef, elle apprécie, dit-elle, la liberté d’organiser sa journée comme elle l’entend. C’est-à-dire s’occuper de sa maison, préparer la vente de nourriture… Chaque après-midi, lorsqu’il rentre du travail, son époux prend la relève. « Ce qui me donne le temps de préparer le dîner », dit-elle. Et c’est l’esprit tranquille, confie-t-elle encore, qu’elle s’acquitte de ses tâches. « Mo nepli gagn traka pou kone kouma pou pey mo bann bill, mo loan… »

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