Constat d’échec – Extended Programme : Saint Mary’s West « crack » le système

Une nouvelle approche, avec une ouverture sur la formation technique pour l’ensemble des collèges catholiques

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Brian Pitchen (coordinateur) : « L’actuel programme est trop académique »

Dix-huit élèves sur 350 ont réussi les examens du National Certificate of Education (NCE) d’octobre 2022 en Extended Programme. Tel est le triste constat d’un échantillonnage réalisé dans 22 collèges. C’est aussi la situation que le ministère de l’Éducation cache en ne publiant pas les chiffres pour l‘Extended Programme. Au Collège Saint Mary’s West, à Petite-Rivière, l’objectif déclaré est de limiter les dégâts en prenant le taureau par les cornes pour « cracker » le système et introduire de nouveaux éléments répondant aux réalités des apprenants. L’accent est mis sur l’alphabétisation fonctionnelle et une ouverture sur le vocationnel afin de sortir du programme purement académique.

Depuis la publication des résultats du NCE en décembre dernier, de nombreuses questions jaillissent sur la performance des candidats de l’Extended Programme (EP). Ces derniers, qui prenaient part à cette épreuve académique pour la première fois, étaient en quelque sorte le baromètre de la réforme enclenchée en 2017. Mais à la surprise générale, le jour de la publication des résultats, la directrice du Mauritius Examinations Syndicate (MES), Brenda Thanacoody-Soborun, répondant à une question de Le-Mauricien, a indiqué que les chiffres ne seront pas révélés pour cette catégorie de candidat. Le prétexte étant que l’esprit même de la réforme est de ne pas faire de distinction entre les élèves de la filière régulière et ceux de l’EP.

Or, dans le milieu de l’éducation, tout le monde a fait valoir que ces chiffres étaient importants afin de savoir si ce système, qui consiste à diriger ceux qui ont échoué au Primary School Achievement Certificate (PSAC) vers l’EP était approprié ou pas. Surtout qu’il n’y avait aucune voie de sortie pour ceux qui ont expérimenté l’échec une nouvelle fois. Le passage à la formation technique dans les centres du Mauritius Institute of Training and Development (MITD), mis en avant par la vice-Première ministre et ministre de l’Éducation, Leela Devi Dookun-Luchoomun, s’est avéré être un leurre pour beaucoup. Ils ont une nouvelle fois été recalés, car ils n’avaient pas le niveau nécessaire pour intégrer de telles formations.

Devant le drame de ces milliers d’enfants, des éducateurs ont décidé de réagir, pour limiter la casse. C’est le cas de Brian Pitchen, facilitateur au Collège Saint Mary’s West et coordinateur national de l’EP pour le Service diocésain de l’éducation catholique (SeDEC). Il explique : « le NCE a donné les résultats que tout le monde imaginait dès le départ. En l’absence de statistiques, j’ai mené une petite enquête dans 22 collèges, confessionnels, privés et État confondus. Le constat est que sur 350 candidats, seuls 18 ont réussi le NCE. Je ne suis pas allé plus loin. Je crois que la tendance est claire. »

Il déplore que trois mois après ces examens, le ministère de l’Éducation et le MES n’ont pas encore rendu publiques les statistiques pour l’Extended Programme. Or, ces chiffres sont des outils qui devraient permettre aux éducateurs, pédagogues et décideurs d’évaluer la pertinence du programme et de proposer des solutions. « Nous ne demandons pas les chiffres pour critiquer. Il faut savoir, par exemple, dans quelle matière il y a eu plus de difficultés et pourquoi. Ou encore, dans quelle matière il y a eu de meilleures performances et pourquoi. Il serait intéressant de pouvoir analyser ces chiffres. Je ne comprends pas ce qu’il y a à cacher. C’est quand même louche », plaide Brian Pitchen.

Programme trop académique

« La triste vérité est que le programme n’est pas adapté au profil d’apprenants que nous avons en EP. Le programme est trop académique et centré sur les examens. Qui plus est, le même examen que les élèves de la filière régulière. Dès le départ, tout le monde savait que cela n’allait pas marcher, mais personne n’a voulu écouter. Le résultat est qu’il y a aujourd’hui des milliers d’enfants perdus dans la nature, parce qu’ils n’avaient même pas les bases nécessaires pour entrer au MITD », regrette-t-il.

Croire que des apprenants qui n’avaient pas le minimum requis pour l’examen de fin d’études du primaire allaient réussir, quatre ans plus tard, aux examens du secondaire, relève de l’irréalisme, même si quelques-uns ont pu passer. « C’est une mission impossible confiée aux enseignants. Le programme n’est pas adapté parce que c’est trop académique et trop rigide. Imaginez, un élève de Grade 7, dans la filière régulière, étudie une douzaine de matières, dont l’art, le computer et le design », poursuit-il. « L’élève de Grade 7 EP ne fait pas ces trois matières parce que l’accent est mis sur la littératie et la numératie. Or, ces matières, surtout l’art, sont importantes pour le développement intégral de l’enfant. Cela développe sa créativité », fait-il comprendre.

Autre exemple : l’élève qui monte en Grade 9 EP doit choisir ses filières. Dans les options élaborées par le ministère de l’Éducation, il doit par exemple choisir entre Art et PE, qui sont dans la même catégorie. « Cela ne fait pas de sens, car comme je l’ai dit, les deux sont importants pour le développement de l’enfant. Qui plus est, l’élève de la filière régulière a, lui, l’opportunité de faire les deux. La question qui se pose également dans ce contexte, c’est de savoir si l’élève de l’EP 9+ passe son NCE, s’il aura suffisamment d’options puisqu’il n’a pas fait toutes les matières », se demande-t-il encore.

Ouverture sur le monde technique

Le SeDEC a réuni ses facilitateurs pour discuter et trouver des solutions à cette situation. Brian Pitchen, qui assure la coordination auprès des collèges catholiques, souligne : « nous avons mis en place un projet pilote qui consiste, d’une part, à renforcer l’alphabétisation et, d’autre part, à permettre une ouverture sur la filière technique. On ne peut dire à un jeune d’aller dans la filière technique si on ne l’a pas préparé à cela. Rien dans l’actuel système ne permet de découvrir les différentes formations techniques et de faire son choix. »

Pour cela, un partenariat a déjà initié avec Caritas depuis l’année dernière. « Caritas a une expérience et a déjà fait ses preuves dans l’alphabétisation fonctionnelle. Nos enseignants seront formés à cette méthode, qui sera appliquée de paire avec le School Readiness Programme. Ensuite, nous voulons donner un aperçu de la formation technique. Pour cela, nous travaillerons avec le Collège Technique Saint-Gabriel. Il faudra voir comment garder les élèves de l’EP dans le système, tout en leur donnant une ouverture sur le monde technique », indique-t-il.

L’idée d’inclure des Short Courses approuvés par la MQA est aussi émise afin de permettre aux jeunes de sortir du programme, avec certaines connaissances, voire un prérequis, pour entrer par la suite dans une formation technique. Un troisième aspect viendra se greffer au projet : la collaboration avec le réseau ANFEN, qui encadre les jeunes hors du système à travers une pédagogie alternative. « L’ANFEN est un réseau de 20 écoles à travers l’île. Ils ont développé et maîtrisé l’expérience nécessaire. L’idée est de permettre à nos élèves d’avoir une immersion dans cette pédagogie. Nous travaillons encore sur une formule pour cela », rassure-t-il.

Dans cette perspective le gouvernement, à travers la National Social Inclusion Foundation (NSIF) avait mis en place un Fortified Leaning Environment (FLE) Programme à l’intention des élèves vulnérables du primaire et du secondaire. Ce qui implique également l’EP. Selon l’appel d’offres du NSIF, ce sont des Ong qui devaient être recrutées pour ce travail dans les écoles et les collèges.

Interrogé à ce sujet, Brian Pitchen indique que le FLE n’est pas une formule adaptée. « L’éducateur vient à l’école une ou deux fois par semaine pour un travail axé sur la littératie et la numératie. Ce n’est pas un travail dans la durée. À mon avis, c’est quelque chose qui aurait dû être constant. D’ailleurs, chez nous, cela fait longtemps qu’on ne les a pas vus », fait-il ;comprendre.

Au final, l’idée est de pouvoir « cracker » le système de l’intérieur, puisqu’il n’y a pas d’alternatives pour le moment. Pour cela, des discussions devront également être engagées avec le ministère de l’Éducation. Brian Pitchen est d’avis qu’il est temps que tous les Stakeholders se mettent autour d’une table pour trouver des solutions, car il s’agit de l’avenir des enfants de la république.

Et qu’en est-il de l’examen du NCE au bout de quatre ans ? Brian Pitchen se dit en faveur d’un autre modèle d’évaluation, ou alors d’un examen bilingue avec des papiers en anglais et français, ou anglais et kreol morisien. « À part les langues, on évalue les candidats pour leurs connaissances dans les matières, pas leurs capacités linguistiques à répondre aux questions. Donc, pourquoi pas un questionnaire de science en kreol morisien par exemple ? On le faisait déjà pour Prevokbek et cela a marché. »

Tout cela nécessite une Policy Decision, ajoute Brian Pitchen. Le SeDEC engagera des discussions avec le ministère de l’Éducation à ce sujet, car il n’est pas question de rester les bras croisés devant ce système imposé, qui cause beaucoup de tort aux enfants.

 

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