Directeur d’hôtel – Raj Rajkoomar, visionnaire atypique

Avec la présence de nombreux étudiants étrangers qui travaillent dans les opérations des hôtels de luxe, Maurice devrait-elle craindre pour son hospitalité légendaire acquise grâce à ces hommes et femmes qui ont oeuvré pour l’industrie du tourisme ? Alors que plusieurs répondraient oui, Raj Rajkoomar, directeur de l’administration à l’hôtel Maritim, pense le contraire. Il l’explique plus bas. Il encourage même les jeunes qui se tournent de plus en plus vers les bateaux de croisière à se préparer pour une carrière sur les navires de luxe. Mais attention, avec son approche qui semble aller à contresens, Raj Rajkoomar est loin d’être naïf ! Bien au contraire, l’homme est un visionnaire. L’expérience étant une condition obligatoire pour toutes recrues de bateaux de croisière, il a appliqué une stratégie qui conduit les jeunes mauriciens à travailler d’abord dans les opérations hôtelières, avant de prendre la mer. Croyant fermement dans le potentiel humain, cet ancien étudiant du collège Royal de Curepipe s’est spécialisé dans les ressources humaines et la gestion hôtelière en Angleterre, avant d’intégrer de plain-pied un secteur dont il est passionné.

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Après une trentaine d’années dans le secteur du tourisme, plus particulièrement les hôtels, Raj Rajkoomar n’est pas près de tirer sa révérence. Bien au contraire, l’homme dont le portable n’arrête jamais de sonner souhaite rester au-devant de la scène pour partager sa longue expérience avec la relève. Tandis que beaucoup ont adopté l’attitude défaitiste ou sont très critiques à l’égard des jeunes adultes qui sont projetés dans le monde de l’emploi, Raj Rajkoomar, lui, est optimiste quant à la participation de la génération montante dans le tourisme. À 61 ans, il voudrait, dit-il, continuer à être une courroie de transmission du savoir-faire mauricien dans ce secteur, tout en s’adaptant aux outils, programmes et autres concepts qui font progresser la qualité des services et prestations. Et c’est justement cet aspect de sa profession que Raj Rajkoomar souhaiterait renforcer. Avec la position qu’il occupe au sein de l’hôtel Maritim, ses expositions dans le cadre de sa profession et ses passages précédemment dans d’autres établissements de renom à Maurice, en Angleterre et en France, ce dernier est bien placé pour observer les facteurs qui influent sur le tourisme pour le rendre dynamique. Et comprendre les segments à consolider.

« L’île Maurice comme knowledge hub pour la région océan Indien et les pays d’Afrique a été bien pensé », dit d’emblée le directeur d’administration du Maritim, tout en jetant un regard sur des jeunes qui assurent le service à l’hôtel, au moment de notre entretien. « Ils, dit Raj Rajkoomar en parlant de ces derniers, viennent de Madagascar, d’Inde, du Nigéria, entre autres. En devenant un centre du savoir, le pays permet certes à tous ces jeunes étrangers d’étudier et de travailler en alternance, parce que cela fait aussi partie de leur parcours de vie et d’apprentissage, mais nous donne aussi la possibilité, à nous hôteliers, de palier le manque de main-d’oeuvre dont nous faisons face. Mais, d’autre part, je vois en cela une opportunité pour nous de participer à la formation de ces jeunes de la région. En leur offrant un cadre professionnel dans des établissements hôteliers qui ont une solide réputation et qui sont des acteurs clés de l’économie du pays, nous continuons à consolider notre position dans la région comme référence en matière de savoir-faire et d’hospitalité, à l’instar de Lausanne en Suisse. »

« C’est le service qui est noté »

Le secteur du tourisme est la principale source en devises étrangères pour Maurice, rappelle-t-il. L’après-Covid étant une phase de relance économique cruciale, l’hôtellerie n’a pas le droit de stagner. La présence de personnel (jeune) étranger dans certains départements des opérations, notamment la restauration, la cuisine et le housekeeping, avance Raj Rajkoomar, ne fait pas de l’ombre à l’hospitalité légendaire mauricienne. « Il faut reconnaître un fait, le client d’un hôtel paye pour obtenir un service à la hauteur de ses attentes durant son séjour. Au final, c’est le service qui sera noté et non l’origine du personnel. Les reviews en attestent. Cependant, le Mauricien de manière générale est resté fidèle à son authenticité, son sens de l’accueil envers le visiteur étranger, et ce, sans rien attendre en échange. Nous avons des retours en ce sens qui nous confortent dans ce que j’avance. »

« Mais une campagne nationale pour sensibiliser les Mauriciens qui, de par leurs activités sociales ou professionnelles, ne sont pas connectés au monde du tourisme, sur l’importance de ce secteur, est nécessaire. Pourquoi ? Parce qu’il y a une érosion des valeurs. Ce n’est pas uniquement une problématique mauricienne, mais universelle. Et la stabilité sociale est une des raisons qui encouragent les visiteurs, voire les investisseurs, à venir chez nous. Il ne faut pas oublier que Maurice reste le plan B de l’investissement pour de nombreux étrangers et la stabilité sociale est pour eux un indicateur décisif », explique le directeur d’administration du Maritim.

« Le tourisme apporte un changement dans sa vie »

Raj Rajkoomar poursuit : « Il y a certes des mécontentements dans la société et les Mauriciens font face à des défis qui ne leur donnent pas toujours envie de sourire ! Cela ne se passe pas uniquement à Maurice. Actuellement, les Français sont dans la rue pour contester la nouvelle loi sur l’âge de la retraite. Tous les Mauriciens doivent réaliser que si le tourisme se porte bien, le PIB du pays augmentera et nous en serons tous gagnants. La communauté doit sentir que le tourisme apporte un changement sa vie. » Convaincu des retombées positives d’un partenariat solide entre le secteur touristique, le secteur public et la communauté, Raj Rajkoomar pense plus loin.

Conscient, comme tout le monde que le pays est grandement touché par l’érosion des plages et que l’insalubrité est devenue un fléau auquel il est urgent de s’attaquer, il est d’avis que l’introduction d’une taxe d’environ 5 euros aux visiteurs avec pour unique but de préserver et entretenir l’environnement devrait contribuer à améliorer celui-ci. « On n’a pas donné assez de priorité à l’environnement. Avec une taxe qui servira à une bonne cause, il ne fait aucun doute que les touristes vont y participer. 5 euros, ce n’est pas une somme conséquente. Cette pratique est en cours dans de nombreux pays. Cette taxe générera un fonds qui servira uniquement à assurer sans condition que les plages et l’environnement restent propres. Par ricochet, ce projet peut générer la création d’emploi », explique notre invité.

« Flexible sur le

port des signes »

Continuant sur sa lancée, Raj Rajkoomar rappelle que « le soleil et les plages de Maurice ne sont plus des atouts et les premiers arguments de promotion pour la vente de notre destination » sur le marché international. Les Seychelles et les Maldives se positionnent toujours comme nos premiers concurrents sur le terrain soleil-plage. Tandis que des pays européens, à l’instar de l’Espagne ou la Croatie, sont devenus depuis ces dernières années des destinations plage. « Mais l’hospitalité authentique et spontanée ne se trouve pas partout. Il nous faut à tout prix garder le vrai sens de l’hospitalité, c’est un de nos grands défis dans le tourisme. L’hospitalité s’apprend. Et c’est ce que nous transmettons aux jeunes étudiants étrangers en stage dans notre hôtel », précise l’hôtelier.

L’authenticité ne s’arrête pas à la gentillesse, au dévouement et la courtoisie. Mais elle s’accorde aussi à l’apparence. Pour Raj Rajkoomar, la culture qui enrichit le mauricianisme doit transparaître librement lorsqu’elle est un choix. Il s’explique : « Je ne suis pas contre les signes visibles de la culture à laquelle appartient un membre du personnel. Je dirai même que j’en suis farouchement favorable. Si une dame veut se couvrir la tête parce qu’elle est de foi islamique, porter le tika ou le sindoor, parce qu’elle est hindoue, et que le mercredi des Cendres ceux de foi catholique ont le front marqué parce qu’ils ont été à l’église…, on doit les laisser entièrement libres. On doit rester flexibles sur ce point. Cette diversité, c’est notre richesse et notre force. Le visiteur sait apprécier cela. S’il veut comprendre la signification de tel ou tel signe, il posera des questions à l’employé et il apprendra ainsi comment fonctionne notre société multiculturelle ! »

L’hôtel d’abord, ensuite les bateaux

Et quid de la place des jeunes mauriciens dans le département des opérations ? Répondant à cette question qui ne cesse de faire débat, Raj Rajkoomar met les pendules à l’heure. « Ils sont toujours présents et ont leur place dans l’hôtellerie. Et je crois dans la relève avec eux. Mais les hôteliers sont confrontés à une réalité, les jeunes ne se bousculent plus depuis longtemps pour travailler dans ce secteur. Avec les alternatifs dans le monde de l’emploi, il y a un désintérêt pour les hôtels. Par ailleurs, le manque aigu de main-d’œuvre dans le secteur du tourisme est aussi un signe de développement dans le pays, lequel offre une palette de perspectives, ce qui est bien pour la population. Mais il faut garder un équilibre dans les différents secteurs. Aussi, beaucoup est dit sur le salaire, qu’il est bas dans l’hôtellerie. Une augmentation de salaire ne sera toujours pas suffisante face au coût de la vie ! »

« Les jeunes sont tous attirés par les croisières. Ce qui est compréhensible, et ce, pour des raisons financières. Mais il faut savoir que pour travailler sur des bateaux de croisière, l’expérience est une des conditions sine qua non. Le travail sur un navire de luxe et un hôtel est loin d’être identique. Et pour trouver un moyen d’adresser cette question, j’ai donc pris le parti d’encourager les jeunes à partir pour les bateaux de croisière. Je leur donne d’abord l’occasion de travailler à l’hôtel pendant deux ans pour acquérir de l’expérience avant qu’ils ne partent au moment voulu. C’est une win-win situation », explique ce dernier. Ils partiront formés par l’hôtel, lequel, du coup, devient aussi à travers eux une référence en matière d’apprentissage.

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