Doris Félicité et Chantal Espitalier-Noël : la lutte contre la détresse des femmes

— Les deux femmes multiplient les initiatives pour atténuer la misère et la détresse des femmes et des enfants du Crown Land de Paul et Virginie à Cité La Cure

- Publicité -

Doris Félicité et Chantal Espitalier-Noël. Ces noms ne vous disent peut-être pas encore grand-chose, mais ces deux femmes unissent leurs forces depuis un an en multipliant les initiatives pour atténuer la misère et la détresse des femmes et des enfants du Crown Land de Paul et Virginie à Cité La Cure, où la sexualité précoce des adolescentes aurait pris des proportions alarmantes. D’où leur décision de faire de la lutte contre les grossesses précoces leur cheval de bataille en fondant l’association FAM-UNIE, qui vise en outre à mettre fin à une situation qui enferme les femmes de tout âge dans un cycle de pauvreté et d’instabilité, tout en leur donnant les moyens de bâtir un avenir meilleur grâce à un programme complet d’aides et d’activités.

« La réalité est saisissante, voire insoutenable. Une frange de la capitale, indigente et exclue, vivant en marge de la société », avait fait ressortir Week-End dans ses colonnes le 24 octobre dernier pour dépeindre la misère qui imprègne les ruelles étroites qui serpentent entre les maisons rafistolées du Crown Land Paul et Virginie où résident environ 500 familles. Elles sont pour la plupart d’origine rodriguaise, à l’image de Doris Félicité, qui a pris ses quartiers avec son époux en 2003. « Certes, les mauvaises langues diront qu’on a eu tort de quitter Rodrigues et son cadre de vie relaxant, mais lorsqu’on voit la situation catastrophique de l’eau là-bas, il est difficile, voire quasiment impossible de travailler la terre », dit-elle. Et ce n’est pas faute d’avoir retenté sa chance en 2015. « Mon époux et moi avions décidé de retourner dans notre île natale pendant une année avant de retourner à Maurice en 2016 faute d’avoir pu trouver des emplois stables. »

Le centre NU BAZ LINITE abrite dans un conteneur modifié des séance de physcologie, de zumba et de yoga

Bien lui en a pris puisque son époux exerce comme chauffeur de poids lourd dans une grande entreprise depuis 2016. Doris Félicité, qui prend de l’emploi la même année comme vendeuse dans un magasin, décide contre toute attente de démissionner en juin 2018 pour se consacrer à servir son quartier et atténuer une partie de la pauvreté qui l’entoure. Le déclic ? « Il y avait urgence à agir. Lorsque je suis retourné à Maurice, je me suis rendue compte que la détresse et le mal-être auxquels étaient confrontés les femmes et les enfants du Crown Land avaient empiré. Enfants et parents se retrouvent ensemble 24 heures sur 24 dans un logement souvent exigu, sans espace pour s’isoler et pour terrain de jeux un quartier insécurisant et généralement démuni d’infrastructures ludiques et récréatives. J’ai été choquée de constater que de plus en plus de jeunes filles tombaient enceintes à l’adolescence, dont le cas d’une fille de 12 ans qui m’a fendu le cœur », soutient Doris Félicité, qui peut heureusement compter sur le soutien indéfectible de son mari.

« Un chemin semé d’embûches »

Commence alors sa campagne silencieuse en faveur des femmes et des enfants démunis et délaissés par la société. Forte de l’organisation et du support financier de quelques ONG, la Rodriguaise offre alors régulièrement des denrées alimentaires aux familles et des cadeaux aux enfants pour la fête de Noël. Sauf que le découragement commence à prendre le dessus lorsque Doris Félicité se rend compte que l’engagement social et humanitaire est un long un chemin semé d’embûches. « Mon travail a attiré l’attention de tout le quartier. Je recevais souvent des provisions pour 100 personnes alors que le quartier compte 500 habitants. Dimoun ti pe dir mo fer preferans. Les ONG ont alors commencé à se désengager. Monn retrouv mwa tou sel. »

Qu’importe, Doris Félicité maintient, en dépit des obstacles, sa détermination à œuvrer pour le quartier où sont nés ses trois enfants, car derrière le décor peu engageant de Paul & Virginie, elle perçoit des jeunes pétris de talent. Du coup, elle décide d’ouvrir en mars 2020 un atelier de musique qui vise à permettre aux enfants d’utiliser cet art pour faire face à leur propre marginalisation. Une dizaine d’enfants issus du Crown Land se sont d’ailleurs illustrés le 23 octobre au Caudan Arts Center à l’occasion du festival Étoiles Filantes, un concert à but pédagogique durant lequel sont interprétées diverses musiques du monde par les jeunes talents de demain.

Les enfants du crown land jouant de la ravanne sous les yeux de leurs mamans

La rencontre, en décembre 2020, entre Doris Félicité et Chantal Espitalier-Noël, lors d’une soirée chez un ami qu’elles ont en commun, donnera finalement un coup d’accélérateur aux projets sociaux dans le quartier. « Cette dévotion pour son rôle m’a particulièrement touchée, d’autant que j’avais moi-même envie de m’engager pour aider les femmes démunies à sortir de leur marasme. En tant que life-coach qui consiste à aider une personne à clarifier ses objectifs et à trouver ses propres solutions sur le plan personnel, professionnel ou familial, je ne pouvais rester insensible au combat que mène Doris. »

NU BAZ LINITE

inauguré

C’est une rencontre qui tombe à pic, puisque les deux femmes vont s’emparer des problèmes auxquels sont confrontées les femmes et les jeunes filles du quartier : logement insalubre, mauvaise alimentation, violence, alcoolisme, maltraitance et le silence autour des grossesses précoces. « À l’instar de Doris, j’ai été stupéfaite de voir le nombre de jeunes filles tomber enceintes durant leur scolarité. Elles courent le risque de s’exposer à des sanctions sociales importantes, qui ont pour conséquences l’isolement, la perte d’estime de soi et la dépression. J’ai eu le malheur de perdre ma mère à l’âge de neuf ans. Sans l’amour, mes expériences de vie n’ont pas été forcement positives. Les séances de thérapie et de spiritualité m’ont guérie de ces blessures », soutient Chantal Espitalier-Noël.

Les deux femmes ne perdent pas de temps et mettent en place des actions afin d’éviter à ces jeunes filles l’ensemble des complications liées à une grossesse précoce. Le point fort du projet demeure l’inauguration le 30 novembre dernier du centre NU BAZ LINITE aménagé au cœur du Crown Land dans un conteneur modifié. Il abrite des séances de thérapie psychologique, d’informatique, de yoga et de zumba. « Certes, j’ai déboursé de ma poche pour qu’une société spécialisée nous fournisse le conteneur et l’aménage pour nous, mais grâce à mes nombreux contacts, j’ai déjà eu la garantie que des donateurs et de très grandes entreprises vont investir massivement dans nos projets », souligne Chantal Espitalier-Noël, qui compte bien renouveler sa démarche de l’an dernier pendant la fête de Noel. « Nous avions aménagé dans de nombreux supermarchés des sapins décorés avec les noms des enfants du quartier. Les gens qui faisaient leur shopping avaient l’occasion de choisir au hasard un nom afin d’offrir à chaque enfant un cadeau pour Noël. »

Et à Doris Félicité de conclure après la première séance de yoga, organisée dans le centre NU BAZ LINITE vendredi : « Oui, ma démarche est fort louable, mais elle me permet également de m’évader de la routine quotidienne. Donc, je ne compte pas abandonner de sitôt, mais je demande aux gens qui promettent maisons en béton, monts et merveilles à la veille des élections de se réveiller. »

- Publicité -
EN CONTINU

l'édition du jour

- Publicité -