Drogues : S’en défaire ? Impossible !

Face à la montée des drogues dans la société, même les références de la prévention, s’avouent… vaincus.

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Maurice aborde ses 55 ans d’Indépendance et les 31 ans de son accession au statut de République aujourd’hui, avec en toile de fond un fléau qui a démontré son pouvoir dans la société : la drogue. Il sera difficile, voire impossible, de s’en défaire. Quand elles avaient commencé la bataille contre les ravages de l’opium, l’addiction au Brown sugar, la dépendance au gandia, il y a plus d’une trentaine d’années, les grandes figures de la lutte contre la toxicomanie ne s’attendaient pas à l’ampleur qu’elle prendrait. De bataille à la guerre, le combat contre la drogue a duré plus longtemps que prévu. Pire, l’ennemi a démontré sa suprématie! Le rêve d’un pays sans drogue ne deviendra pas une réalité de sitôt !
La drogue, à laquelle toutes les couches sociales sont confrontées, a fini par gangréner le pays. S’il y a encore deux décennies, des travailleurs sociaux aux champs d’actions variés mettaient en garde contre la rapidité avec laquelle les drogues étalaient leurs tentacules dans le pays, 20 ans plus tard, on ne peut que constater qu’ils avaient raison. La drogue a non seulement gagné chaque région de Maurice, s’est infiltrée chez les plus pauvres, la classe moyenne et les plus aisés, mais elle s’est  accrochée fermement là où elle s’est propagée. Elle est devenue une source de revenus faciles et représente une économie parallèle, souterraine, qui attire des jeunes en quête d’ascension fulgurante.
Cadress Rungen : « Mo bien soufer pou mo pei »
« Mo bien sagrin, mo bien soufer pou mo pei », confie Cadress Rungen. Figure incontournable dans la lutte contre la toxicomanie, à 65 ans, Cadress  Rungen fait partie des pionniers qui avaient déclaré la guerre contre les drogues à l’époque où ils n’avaient que leur volonté comme seule arme. Plus qu’un acteur dans la sphère sociale, il est une référence dont les observations comptent. Et les paroles de cet homme face à l’ampleur de la drogue, en terme de présence et ravages dans le pays, ne sont pas que des mots pour traduire une situation affligeante, mais, bel et bien, une inquiétude qui démontre que Maurice est arrivée à un point où elle ne peut plus se défaire du trafic de drogue. « C’est avec beaucoup de peine que je le dis, pou bien difisil pou aret ladrog dan Moris. Nous ne serons pas un drug free Mauritius. Je ne suis pas négatif, mais il nous faut être réaliste. Zordi ena dimounn anvi vnn ris enn sel kou, avek pouvwar larzan ek pouvwar proteksion », concède Cadress Rungen.
Danny Philippe : « Nous avons perdu la guerre  »
Quand avec d’autres « camarades » de terrain, Cadress Rungen s’était lancé dans la lutte contre la toxicomanie, il pensait qu’il s’engageait pour un certain temps seulement. « On croyait que notre combat allait durer quelques années, mais nous étions trop naïfs… », dit-il. Le combat dure depuis plusieurs décennies. Mais force est de reconnaître que la prévention sur le terrain et les plaidoyers ne sont plus ce qu’ils étaient. De son côté, Danny Philippe, autre figure reconnue pour sa longue contribution dans le domaine de la prévention, baisse les bras: « Nous avons perdu la guerre contre la drogue. Nous n’avons plus de moyens pour lutter contre le trafic ! » Et surtout, fait-il remarquer, il n’y a plus de travailleurs sociaux engagés, disposés à faire de la prévention de proximité.
Après que les bases ont été jetées pour l’ouverture de centres de réhabilitation, d’accueil, de transition, la mise en place des programmes de distribution de méthadone, d’échange de seringues… après de véritables pèlerinages à travers le pays pour sensibiliser sur les méfaits et dégâts causés par la drogue dans des familles, il y aurait comme un vide dans les actions.
La débrouille sans le CSR marchait bien
L’absence sur le terrain de ceux engagés dans la lutte contre la prolifération des drogues n’a pas été sans impact sur la consommation et le trafic de drogue. Entretemps, après les années 2000, la professionnalisation des organisations non-gouvernementales (ONG) a changé la donne. Si la structuration de leur fonctionnement pour mieux servir leurs bénéficiaires était une stratégie qui s’inscrivait dans une logique de développement, toutefois, le nouveau profil « corporate » des ONG allait aussi changer celui de leurs travailleurs sociaux. Formés, diplômés, ces derniers ne sont plus recrutés sur la base de la vocation. « Dans les années 80, nous n’avions pas de subsides, de CSR. Nou ti pe debrouye, nou ti kone kouma pou gagn se ki nou bizin. Les associations avaient la liberté de s’exprimer, elle n’avaient rien à craindre et n’avaient de compte à rendre à aucune instance. Au début, nous n’avions rien en main pour faire de la prévention. Nous ne savions même pas ce que signifiait la réhabilitation, la réduction de risques… Nous étions des jeunes, non seulement enthousiastes mais remplis de convictions. Nous croyions tellement dans notre combat que nous nous exposions. Le public entendait notre voix », rappelle Cadress Rungen.
Le terrain et les représailles font peur
« Aujourd’hui, dit Danny Philippe, le terrain peut faire peur… La prévention est un obstacle au trafic de drogues. Les représailles et menaces font partie des risques qui peuvent survenir sur le terrain ». Cadress Rungen ajoute: « C’est aussi pour cela qu’on entend toujours les mêmes personnes, deux ou trois d’entre elles qui dénoncent les ravages de la drogue. » Si la prévention auprès des jeunes était aussi active qu’autrefois, Danny Philippe se dit convaincu que « nou ti kapav in’nn redwir enn kantite zafer. » Rappelant que la plupart des soldats, les plus visibles du social, ont la soixantaine. « Nous nous sommes tournés vers d’autres activités, tout en continuant à faire de la prévention, mais nous ne sommes plus sur le terrain comme auparavant », dit-il.
« Situation alarmante, in’nn fatige dir sa ! »
Pour sa part, Cadress Rungen confie: « Je n’ai plus la même énergie, nous tous n’avons plus la même énergie. » Regardant en arrière, il explique qu’avec ses amis de combat, ils avaient trouvé une formule pour dire que la drogue était un fléau difficile à enrayer. « Nou ti dir ki ladrog enn vis ki pena tournavis », dit-il. Aujourd’hui, note-t-il, ce slogan tient toujours. « Bann dimounn ki ti ena pouvwar depi 1979 ziska zordi, ti ena bidze ek la lwa dan zot lame, zot tou ti pran nou pou bann adverser. Ki kantite pledoye nou’nn fer, ki kantite nou’nn kriye… », explique Cadress Rungen, déçu. Il y a eu des commissions mises sur pieds, rappelle-t-il. « Mais combien de trafiquants ont été arrêtés ? Aucun gouvernement, même si chacun a apporté sa contribution, n’a été en profondeur pour s’attaquer au démon de la drogue et ses multiples tentacules », se désole-t-il.
C’est avec un sentiment de tristesse que Dany Philippe dit regarder la drogue gagner du terrain. « La situation est alarmante! Nous le savons tous. In’nn fatige dir sa!  Mais on se retrouve encore à le rappeler », dit-il. Et d’espérer que le combat et le parcours des anciens militants du social encouragent les plus jeunes à se lancer sur le terrain, pas des plus lisses, pour reprendre la sensibilisation et l’accompagnement de proximité. « Parce que quand je regarde derrière moi, je ne vois personne qui a emboîté le pas à toutes ces personnes qui étaient sur les fronts », constate-t-il. C’est désormais auprès des enfants qu’il fait de la prévention.

Après 55 ans d’indépendance
Parité hommes/femmes, encore au statut de défi

Au registre de la parité hommes/femmes, la société mauricienne doit encore marquer des points. Au bout de 55 ans d’Indépendance, l’égalité des genres dépend encore de la volonté politique des hommes qui détiennent le pouvoir décisionnel. En 2023, le discours du progrès socio-économique accompli par la femme n’est pas pour l’instant celui que souhaite tenir Pouba Essoo, activiste féministe des années 1970/1980. Si elle ne remet pas en question le développement qu’a connu la Mauricienne en cinq décennies, elle explique toutefois que le système patriarcal n’a pas bougé d’un iota depuis l’Indépendance. Et s’en indigne.
« L’inégalité, les injustices, la discrimination tirent leur source de là. Le système patriarcal règne encore, malgré les développements socio-économique et politique, » insiste-t-elle. Le démantèlement du système patriarcal, selon elle, doit se faire par le biais de la politique. Précisément, lorsque le pays sera dirigé par un chef du gouvernement de conviction féministe. Et que les femmes qui adhéreront à la politique en seront autant convaincues. Depuis presque toujours, rappelle-t-elle, les discours sur la parité homme-femme n’ont pas été traduits par des actes. « Il y a eu des lois, entre autres, la Sex Discrimination Act, qui ont été introduites, mais l’amendement de la Constitution pour éliminer la sous-représentation des femmes en politique est nécessaire. Les hommes politiques ont peur d’amender la loi, ce qui rend leurs discours hypocrites. On en a assez des grands discours! », dit Pouba Essoo.
Néamoins, le pays reconnaît-elle, en le comparant à ceux du continent africain, voire à l’Inde, a fait de grands pas sur la question des droits des femmes et celles-ci occupent des places-clés dans les différentes sphères économiques et sociales. Elle demeure résolument optimiste quant à la relève sur la cause des femmes. Membre active de la nouvelle plateforme Fam ape Zwenn, Pouba Essoo est d’avis que cette initiative a rassemblé de nombreuses femmes dans divers milieux  professionnels, qui sont prêtes à encourager le renforcement des capacités économiques, émotionnelles, sociales de leurs paires.

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