Du nord au sud – Cherté de la vie : séquelles de plus en plus implacables

Georges Ah Yan (conseiller à Mahébourg) « Des familles souffrent énormément de la perte du pouvoir d’achat »

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Jean-Yves L’Onflé (président du village de Tamarin) : « Si auparavant, nous pouvions offrir une boîte de produits à une famille, nous devons maintenant la partager en trois »

« Les habitants souffrent énormément. La classe moyenne a complètement dégringolé alors que ceux qui étaient pauvres se sont davantage appauvris. C’est vraiment difficile pour eux. » Tel est le constat de Georges Ah Yan, conseiller de village de Mahébourg et travailleur social. L’école, relève-t-il encore, n’est plus une priorité pour bien des familles, qui sont davantage préoccupées à trouver de quoi se nourrir. Même son de cloche chez Jean-Yves L’Onflé, président du village de Tamarin, qui confie ne plus pouvoir offrir une boîte de produits alimentaires aux familles nécessiteuses comme c’était le cas il y a quelque temps. « On doit maintenant la partager en trois », dit-il.

« J’ai l’habitude de donner aux familles dans le besoin des packs alimentaires que je recevais des entreprises. Mais celles-ci sont elles-mêmes dans le rouge », explique Georges Ah-Yan. S’appuyant sur quelques exemples de prix, il rappelle qu’une boîte de sardines coûte maintenant Rs 35.

« On y trouve quatre, parfois trois sardines dans une boîte. Mais si c’est pour une famille de cinq personnes, il faut deux boîtes, ce qui revient à Rs 70. Ensuite, il faut compter les oignons, qui se vendent à Rs 25 la livre. Une livre de pommes de terre est à Rs 25. Deux pommes de terre font une livre. Quant aux boîtes de thon, les prix affichés sont de Rs 62/Rs 58 ! Une personne qui a faim peut manger une boîte. Comment fait-on si on est une famille de quatre à cinq personnes ? » se demande-t-il.

Si l’école est obligatoire, pour beaucoup de familles, actuellement, poursuit Georges Ah-Yan, envoyer les enfants à l’école n’est plus une priorité. « Vous savez, quand une personne n’a pas faim, elle passe devant un marchand de biryani, cela ne l’intéressera pas. Par contre, quand le ventre d’une personne gargouille parce qu’il a faim, mais qu’elle n’a rien à manger, rien n’ira. Elle n’aura même pas envie de regarder la télé. C’est pourquoi beaucoup n’envoient plus leurs enfants à l’école. La priorité pour eux est de chercher à manger à gauche et à droite. »

Le conseiller de village estime que si Rs 80 milliards ont été puisées dans la Banque Centrale, « on n’aurait pu investir Rs 25 millions dans la subvention des produits de base ». Il ajoute : « Il n’y aurait alors pas autant de problèmes. Il faut compter au moins de Rs 240 pour acheter un sachet de lait. On ne parle pas d’acheter du fromage, etc. Même le beurre est hors de portée. »

Ayant pour coutume d’aider sa mère dans la boutique de celle-ci, le travailleur social témoigne encore : « Des clients nous demandent : Kot sa dilwil Rs 75-la ”. Je leur réponds ce que le fournisseur m’a dit quand je lui ai demandé où est l’huile qui coûte Rs 75 : Ou pe reve. L’huile qui provient d’Égypte, nous l’achetons à Rs 98 pour la vendre à Rs 108. Je comprends que ce soit cher, mais nous l’achetons cher, alors à combien peut-on la vendre ? »

Pire, pour Georges Ah Yan, c’est qu’il n’y a pas de travail. « Quand vous entendez dire qu’il y a plus de 50 000 travailleurs étrangers, forcément les Mauriciens n’auront pas de travail », dit-il.

Propriétaire d’un restaurant à Mahébourg, Georges Ah Yan ne brosse pas un tableau rose. « Les touristes ne viennent plus avec la formule All Inclusive pratiquée par les hôtels. La clientèle a chuté de 30 à 40%. C’est devenu très difficile. Sans compter que les prix des ingrédients ont explosé. Une livre d’ourites se vend à Rs 175, une livre de calamar à Rs 300. Et le poisson coûte plus cher… Comment travaillerons-nous ? D’une part, il n’y a pas beaucoup de clients, et d’autre part, les produits sont coûteux », fait-il comprendre.

Jean-Yves L’Onflé confie recevoir des plaintes chaque jour d’habitants de la région Ouest peinant à joindre les deux bouts. « La vie est devenue extrêmement chère et les prix continuent de prendre l’ascenseur de jour en jour », lâche-t-il. À Tamarin, dit-il, trois métiers sont répandus : bonnes de maison, pêcheurs et sauniers dans les salines.

« Les pêcheurs, par exemple, ne peuvent travailler quand le temps est mauvais, et l’allocation qu’ils reçoivent du gouvernement est loin de suffire. Ils ont une famille à nourrir. Il y a des familles qui ont cinq à six enfants. Il leur faut chaque jour trouver pour chacun du pain pour aller à l’école. Il faut qu’ils aient de quoi mettre dans ces pains. C’est très compliqué pour eux en ce moment », explique-t-il.

Quant aux agentes d’entretien de particuliers, elles ne touchent que très peu. « Ce que nous faisons alors au niveau du conseil, c’est que nous utilisons nos contacts pour trouver des sponsors, surtout au niveau alimentaire. Nous essayons tant bien que mal de les soulager, mais ce n’est pas tous les mois non plus que nous parvenons à les aider. Les sponsors se font plus rares. Si on a une boîte de produits en don, par exemple, on doit la partager entre plusieurs familles. Si on pouvait auparavant donner une boîte de produits à une famille pour un mois, on doit maintenant la partager en trois », poursuit-il.
Cette incapacité à pourvoir ce dont ils ont besoin à leurs enfants fait que certains sont irréguliers à l’école. « Il y a le matériel scolaire à acheter. Parfois, nous essayons de leur en acheter avec nos propres moyens. »

Parmi les solutions possibles pour les habitants : la création d’emplois dans l’hôtellerie. D’après un sondage que Jean-Yves L’Onflé a mené dernièrement, il ressort que beaucoup de jeunes s’intéressent à la pâtisserie. « Toutefois, souvent, ils n’ont pas les moyens pour suivre des cours. S’ils pouvaient avoir des cours gratuitement… Même lorsque dans certains cas, les hôtels offrent des cours gratuitement, les bénéficiaires doivent encore trouver de l’argent pour payer le transport. Ce n’est pas évident quand les parents ont six enfants et n’ont pas un travail stable », dit-il.

Le conseil du village tente tant bien que mal d’aider ces familles en détresse. « Nous cherchons du travail pour les jeunes et pour leurs parents. Nous avons trouvé de l’emploi pour huit jeunes. Certains parents travaillent jusqu’à midi. Nous essayons de trouver un autre boulot pour eux », fait-il comprendre .

Le conseil de village de Tamarin a invité la Miss Universe Mauritius 2022, Alexandrine Belle-Etoile, à faire une démonstration de maquillage aux femmes du village. « Ce qui nous a touchés, c’est qu’il y a des femmes mariées et avec leurs difficultés et problèmes, elles n’ont jamais l’occasion de se maquiller. Elles n’avaient pas les moyens de s’acheter du maquillage et se sont négligées pendant toutes ces années. Ce n’est qu’après dix ans qu’elles ont pu se maquiller et retrouver confiance en elles. Une femme nous a même dit : Pa ti kone si mo ankor zoli ! »

Pour la Journée de la Femme, le conseil avait offert des roses aux femmes du village. « Certaines, les larmes ont yeux, ont confié n’avoir jamais reçu de rose depuis leur mariage, car leurs maris n’en ont pas les moyens », laisse-t-il entendre.

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