Geetanee Napal : « financement politique : ce qui est légal n’est pas forcément éthique »

« Un projet de loi place des limites mais il faut aussi tenir compte des implications éthiques. Ce qui est légal n’est pas forcément éthique ». C’est ainsi que se prononce Geetanee Napal, Associate Professor à l’Université de Maurice et spécialiste en matière d’éthique depuis plus de vingt ans, sur le financement politique. En ce qu’il s’agit de la campagne électorale, elle estime que « les promesses faites doivent être honorées. L’éthique joue un rôle fondamental dans ce contexte car il y va de la réputation des candidats et de leurs partis respectifs ».

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Vous êtes Associate Professor à l’Université de Maurice où vous enseignez l’éthique. En cette année électorale, comment la notion de Free and Fair Elections retentit-elle en vous ?
L’éthique est une discipline académique qui nous offre un ensemble de concepts de moralité. En milieu politique, l’éthique s’intéresserait entre autres à la conduite des détenteurs du pouvoir. Ces derniers sont appelés à faire des choix et prendre des décisions pour le bien-être de la communauté.
En tant que discipline philosophique, l’éthique porte sur des jugements moraux et étudie ce qui est moralement juste ou injuste allant jusqu’à remettre en question la justification rationnelle des jugements légaux. L’éthique demeure un concept important et un instrument d’apprentissage vital à tous les domaines. Même en politique, l’électorat s’attend à ce que les stratégies clés incorporent des valeurs morales.
À Maurice, il y a des réalités que nous ne pouvons pas ignorer. Analysé d’un point de vue éthique, le financement des campagnes politiques pourrait incontestablement être associé à la corruption. Ce n’est un secret pour personne que les entreprises privées font des dons aux partis politiques.
Le budget des entreprises privées fait même provision pour cette activité considérée comme légitime. Cela dit, comment garantir que ces transactions ne donneront pas lieu à davantage d’injustice ou de préjugés à la suite des conflits d’intérêts découlant du lien établi entre bailleurs de fonds et la classe politique ? C’est un fait que le financement des campagnes politiques constitue une poche de corruption conséquente. Il est peu probable que les bailleurs de fonds, en général des chefs d’entreprise, fassent des dons sans vouloir créer un réseau qui leur bénéficierait dans le milieu des affaires.

Qu’est-ce que vous inspire le projet de loi sur le financement des partis politiques ?

Le Premier ministre a eu recours à une approche démocratique, offrant au public la possibilité de commenter sur un projet de loi à ce sujet. Le financement des partis politiques a toujours été un aspect dominant de notre système électoral, comme dans tant d’autres pays. Dans une démocratie, il est important de désigner un moyen de financer les campagnes politiques sans pour autant encourager des conséquences indésirables, tels le favoritisme et l’injustice qui en découlent car il y a aussi une perception que le bailleur de fonds jouira systématiquement de privilèges considérables. Si c’est le cas, un cadre juridique approprié devrait fixer des limites.
Même les contributions qui sont approuvées par la loi constituent une source de préoccupation majeure. Le secteur privé peut respecter les provisions légales, ce qui fait qu’on ne peut remettre en question légalement. Mais l’éthique va plus loin. Si une compagnie décide de contribuer financièrement – ce n’est pas une petite somme d’argent – l’éthique va plus loin en questionnant l’intention derrière ce financement.
Les bailleurs de fonds pourraient s’attendre à un traitement de faveur quand il s’agit de l’allocation de permis ou de contrats. Le processus électoral devrait discipliner les hommes politiques pour qu’ils représentent les intérêts des citoyens de manière juste. Les électeurs pourraient pénaliser les candidats qui semblent trop attachés à des intérêts particuliers.
Les contributions approuvées par la loi pourraient avoir un effet corrupteur si elles ne sont pas divulguées publiquement et si la faveur ou l’avantage accordé en échange de la contribution du bailleur de fonds n’est pas clairement défini aux yeux des électeurs. Si les intérêts des bailleurs de fonds entrent en conflit avec ceux du grand public, cela risque de porter atteinte aux valeurs démocratiques.
En principe, le gouvernement établit des limites et détermine ce qui constitue des dons approuvés par la loi. Un projet de loi place de telles limites mais il faut aussi tenir compte des implications éthiques. Ce qui est légal n’est pas forcément éthique.

Votre observation de la présente campagne électorale et de la situation politique ?
Je ne suis pas fan des campagnes électorales. Aussi simpliste que cela puisse paraître, l’électorat devrait pouvoir voter pour le parti ou les candidats de son choix, sans subir de pression. Des campagnes constituant de la propagande sont loin de représenter la formule parfaite pour garantir les votes du public.
Les promesses faites doivent être honorées. L’éthique joue un rôle fondamental dans ce contexte car il y va de la réputation des candidats et de leurs partis respectifs. Le but est non seulement de faire son marketing au cours d’une campagne électorale, mais d’inspirer confiance.
L’idéal est un procédé qui garantirait la crédibilité des individus concernés comme celle de leur parti. Il faut surtout respecter la confiance du public. Toute promesse électorale comporte un élément de moralité. L’électorat a des attentes et une fois une promesse faite, l’homme politique envoie un signal au destinataire qui s’attendra à ce que cette promesse soit réalisée.
Au cas contraire, la confiance du public sera bafouée, ce qui impactera la crédibilité du candidat. L’exercice du pouvoir politique au niveau des campagnes électorales exige une intégrité morale, si l’homme politique tient à préserver son image.

La femme et les élections, cela vous inspire quoi ?
Ayant enseigné l’éthique pendant plus de vingt ans, je dirais qu’éthique ne rime pas avec politique. Notre système cautionne une culture de faveurs pour ne pas dire une culture de corruption qui, au fil du temps, est devenue un mode de vie qui profite à l’élite minoritaire.
Néanmoins, je n’approuve pas la discrimination contre la femme. Le rôle de la femme est remarquable dans diverses professions, mais la politique demeure un domaine largement dominé par les hommes. Cette tendance est universelle. Si nous voulons promouvoir l’égalité des genres, il faut peut-être formuler une stratégie qui motiverait la femme à intégrer la politique. Mais vu la tournure des événements à ce jour, la femme est-elle désirable dans ce milieu ?

Le Counting le jour des élections ? Êtes-vous pour ou contre ?
Le facteur temps est délicat. Est-ce une stratégie pour éviter la fraude électorale et la manipulation des bulletins de vote ? Aussi longtemps que cela se fait de manière honnête, sans tricherie, cela devrait aller. Cependant, c’est une tâche qui demande de la concentration et implique de longues heures.

Quelles sont les priorités à traiter par le prochain gouvernement ?
Combattre les fléaux les plus dangereux – drogue, corruption et démantèlement des réseaux pertinents – demeure une priorité. En parallèle, il faut autonomiser davantage les corps paraétatiques ; s’assurer qu’il y ait des responsables qualifiés à la tête des institutions ; vérifier l’authenticité des qualifications des détenteurs de postes importants ; revoir leurs attributions en misant sur l’éthique et le travail bien fait ; souligner l’importance du professionnalisme—compétences, efficacité, efficience; sanctionner le favoritisme et l’abus de pouvoir qui semblent automatiquement découler de la culture mauricienne.
Le leadership éthique, l’humilité, le respect sont des attributs nécessaires pour maintenir un niveau de motivation satisfaisant en entreprise. Pour conclure, éduquer la masse en matière d’éthique est une priorité. Au niveau institutionnel, il est indispensable de faire la distinction entre éducation et instruction. Sans éducation de base, nous continuerons à tourner en rond. Il s’agit là d’éducation en matière d’éthique : l’éthique dans l’absolu et non à titre individuel où les décisionnaires principaux se considèrent une exception à la règle qu’ils appliquent aux autres.
La population doit connaître ses droits. Il faut promouvoir l’éducation axée sur le caractère moral, la manière d’être, les vertus essentielles dans un cadre professionnel—honnêteté, justice, courtoisie, respect, les bonnes manières en général. L’arrogance du pouvoir a remplacé ces qualités, ce qui a tendance à démotiver le personnel, à l’exception de ceux qui jouissent de la sécurité de se sentir proche du pouvoir.

(Propos recueillis par Sharon Leung Ah Fat)

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