(Parricide) Une jeune femme se confie : Le jour où je n’ai pas tué mon père

Le 24 mai dernier, la nouvelle qu’elle avait tué son père avait vite fait le tour du pays. Mais pour cette jeune femme de 25 ans, ce jour-là, le temps s’était arrêté. Persuadée d’avoir provoqué la mort de son père, violent, en voulant se protéger, c’est en cellule qu’elle apprendra qu’il est décédé de cause naturelle. Fille-mère à 16 ans, femme battue par un compagnon violent, aujourd’hui elle veut se donner la chance de se reconstruire et d’offrir un foyer stable à ses deux enfants. Sa liberté a coûté Rs 31 000 à ses proches qui se sont mobilisés pour elle. Ce prix, dit-elle, est une fortune quand on est pauvre.

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Quand, à la prison de Beau-Bassin, où elle était “on remand”, on lui avait annoncé que ses proches avaient pu réunir l’argent pour s’acquitter de sa caution, Natacha (nom modifié), qui se trouvait dans l’enceinte du centre pénitencier, s’est mise à genoux. “Mo’nn lev mo lame o-siel telma mo ti soulaze”, confie la jeune femme. Mais aujourd’hui, elle ne sait plus à quel saint se vouer pour trouver du travail afin de rembourser cette somme.  Depuis qu’elle a retrouvé la liberté en juin dernier, la jeune femme multiplie des recherches et se déplace pour tenter sa chance. Jusqu’ici, ses efforts n’ont rien donné. “Les gens ne savent pas qui je suis. Donc, je ne crois pas que c’est à cause de ce qui m’est arrivé que je ne trouve pas du travail. Enfin, c’est ce que je pense ”, dit Natacha, quelque peu exaspérée. Elle poursuit: “J’ai besoin de travailler. J’ai des dettes à payer.” Ses dettes comprennent surtout l’argent qui a servi à payer sa caution. Quand elle s’est retrouvée derrière les barreaux, Natacha ne disposait pas des Rs 31 000 nécessaires pour payer sa caution. “C’est beaucoup d’argent. Nou enn bann dimounn pov”, dit-elle. Sa tante s’est démenée pour réunir cette somme. Et cela lui a pris du temps. Maintenant, il faut rembourser les emprunts effectués auprès de différentes personnes. C’est aussi cela le prix de sa liberté. Natacha en est consciente. Pour son entourage qui nous confiait, il y a quelque temps, que “se mobiliser pour la sortir de là vaut la peine, car elle est une fille bien. Tou le-zour nou trouv li al travay”. Avant le jour fatidique du 24 mai, cette dernière travaillait dans une usine. “Mais on m’a demandé de ne pas reprendre le travail. On m’a fait comprendre qu’il fallait attendre la fin de l’affaire en cour. Moi, j’ai toujours travaillé, je ne pourrais pas rester au chômage”, confie Natacha. Si elle a peu fréquenté l’école, elle a surtout connu le travail à l’usine. A 16 ans, elle y était déjà.

“Je pensais que ma famille m’avait oubliée”

Il y a encore quelques semaines, elle appréhendait son retour dans la cité qui l’a vue grandir. Elle craignait le regard de ceux qui, dit-elle, “inn koz enn kantite koze”, depuis le drame familial. Elle avait peur d’affronter les préjugés. Quand elle est rentrée chez elle, après deux semaines en détention provisoire à la prison de Beau-Bassin, Natacha avait baissé les yeux, non parce qu’elle avait honte, mais parce qu’elle était tétanisée par l’émotion. Elle était envahie par un sentiment de tristesse: après la mort, dans des circonstances tragiques, de son père, ensuite un moment  bonheur, celui de revoir les siens, à la fois. Elle voulait retrouver sa maison et par-dessus tout ses enfants qui sont ses repères. “Ma fille aînée, qui a 9 ans, ne savait pas où j’étais pendant ces seize jours-là. On lui a dit que j’étais au chevet de ma mère malade. Je pensais beaucoup à elle et à mon fils”, raconte Natacha. Elle était aussi rassurée de savoir que les personnes qui lui sont chères, comme sa tante et sa meilleure amie, ne l’avaient pas abandonnée. “Parce qu’en cellule, on se pose des questions. Je pensais que ma famille m’avait oubliée”, dit-elle. Mais au fil des jours, la jeune mère a surmonté ses appréhensions, d’autant que dans le quartier personne ne lui a jeté la pierre comme elle craignait tant!

“Au cimetière, je lui ai demandé de veiller  sur moi”

“Mo ti kontan li; De toute sa vie il ne m’a offert qu’un cadeau. Un soir, je suis rentrée du travail, avec l’aide de mon oncle, il a installé des toilettes dans ma maison. Il en avait assez que j’utilise les siennes. Il disait que je le dérangeais. Il avait fait un sacré désordre dans ma maison pour faire ces travaux”, confie Natacha en évoquant son père. “Il a quand même fait partie de ma vie. Li ti mo papa”, dit-elle. Pourtant sa relation avec cet homme, connu pour son extrême violence lorsqu’il était sous l’emprise de l’alcool ,n’a pas été au beau fixe. Sa disparition, affirme-t-elle, laisse un vide. “J’étais mal en point. J’étais persuadée que je l’avais tué. Ce n’est qu’une fois que le médecin légiste m’a parlé et que j’ai appris que mon père est décédé de cause naturelle, que j’ai commencé à mieux accepter le fait qu’il n’est pas mort à cause de moi. Mais cela reste une épreuve difficile. J’en tremble encore”, concède Natacha. Au cimetière, où elle s’est rendue, deux jours après sa libération, Natacha s’est retrouvée face à la tombe de son père. Elle lui a parlé et dit ce qu’elle avait sur le coeur. Ce moment-là, contrairement au jour des funérailles où elle s’était présentée dans la maison familiale escortée par la police, était plus intime. “Je lui ai demandé pardon et de veiller sur moi”, confie Natacha.

“J’avais économisé pour construire une pièce”

Elle aurait préféré avoir gardé l’image d’un père bienveillant et aimant. Les moments de répit, sans scandales ni violence ont été éphémères. C’était les rares fois où père et fille pouvaient communiquer sans anicroche. Le 24 mai dernier, la communication, raconte Natacha, était impossible. Comme les fois où il l’aurait, dit-elle, pourchassée et agressée en lui donnant de coups après que le ton est monté de plusieurs crans entre eux. Et quand il ne s’en prenait pas à elle, il saccageait sa maison, affirme Natacha. “Ce jour-là, il m’a reproché d’avoir donné accès chez moi à des proches pour utiliser une corde à linge.” Natacha a construit sa maison au-dessus de celle où vivait son père. “J’avais économisé sou par sou pour construire une pièce. Je suis la seule de ses enfants à avoir vécu avec lui”, dit-elle. Elle explique qu’elle aurait essayé de lui rappeler que cette discussion avait déjà eu lieu et qu’il n’était pas nécessaire de la soulever à nouveau. L’altercation, qui se passait à l’extérieur de leur maison, aurait attiré l’attention d’autres proches. Mais l’homme ne se serait pas pour autant calmé. “Il a été cherché un couteau et a voulu s’en prendre à moi. Je me suis protégée en le repoussant. Et il est tombé “ 

Pour Natacha, l’alcool a détruit ses parents. “Ma mère est presque mourante. Elle s’accroche à la vie. Mais elle n’est plus que l’ombre d’elle-même à cause de l’alcool. Elle m’a abandonnée à mon père quand je n’avais que 3 ans”, raconte-t-elle. Sa femme partie, le père de Natacha aurait davantage sombré dans l’alcool. Grandissant dans une cellule familiale fragilisée, elle n’a que 15 ans quand elle tombe enceinte. “J’étais en Form III, à l’époque. J’étais tombée éperdument amoureuse du père de mon bébé. Le mien était furieux. J’ai dû abandonner le collège. Il avait insisté pour officialiser ma relation avec le père de mon enfant”, confie Natacha, dont le cas avait été rapporté aux services de l’enfance. Le père de son enfant, qui était alors adulte, échappe à la justice. “J’ai appris à mes dépens qu’il était violent”, explique Natacha qui devient maman à 16 ans. Avec son bébé, elle s’installe chez son compagnon. Mais les coups pleuvent: “Il prenait aussi mon salaire. Car trois mois après la naissance ce ma fille, j’ai trouvé du travail. Un jour, je n’en pouvais plus, j’ai pris mon enfant et je suis retournée chez mon père. Je ne savais pas où aller.” Les conflits entre père et fille sont récurrents. “Tant qu’il était sobre, ça pouvait aller à la maison. Mais dès qu’il buvait, il ressassait le passé et la situation tournait au vinaigre. Je me souviendrai toujours du soir où il m’avait mise à la porte. J’avais été chercher de l’aide à la police. Mais parce que j’avais 18 ans alors, un policier m’avait dit que j’étais majeure et que mon père avait le droit de me mettre à la porte!” 

Natacha a construit sa vie de femme et de mère dans une ambiance tendue. Lorsqu’elle épouse le père de son benjamin, elle pensait avoir trouvé enfin la stabilité recherchée et une épaule sur laquelle s’appuyer. Son couple bat de l’aile et se sépare. Pendant son incarcération, elle prend la décision de donner une deuxième chance à son mari afin de consolider son foyer. Et donner une famille, celle qu’elle n’a pas eue, à ses deux enfants.

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