Violence domestique : KDI et Caritas tendent la main aux victimes

Dans le cadre de la Journée internationale des droits des femmes, Caritas Île Maurice et le Kolektif Drwa Imin ont organisé un atelier de travail à l’intention des victimes de violences domestiques. Cette demi-journée de rencontre et de partage avait pour but de leur permettre de faire une pause, de s’exprimer sur leur vécu et de recevoir les outils nécessaires de la psychosociologue Mélanie Vigier de Latour-Bérenger pour faire face à la situation. Christiane Pasnin, responsable de Lakaz Lespwar de Solitude, avance que la mise en place d’un Shelter dans le nord est devenue une urgence, vu le nombre de femmes en détresse qui ne peuvent quitter la région.

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Statistics Mauritius affirme que le nombre de cas de violences domestiques est en baisse. Les Gender Statistics 2021 indiquent en effet que les cas rapportés sont passés de 2 116 en 2020 à 1 434 en 2021. La tendance démontre même qu’il y aurait une baisse depuis 2015, avec un pic en 2016, pour baisser à nouveau de 2017 à 2023.
Ces données, mises en avant par les autorités, laisse toutefois sceptiques ceux qui sont sur le terrain. La psychosociologue Mélanie Vigier de Latour-Bérenger, du Kolektif Drwa Imin (KDI), est de cet avis. Elle estime que les statistiques ne reflètent pas la réalité, car beaucoup de cas ne sont pas dénoncés pour diverses raisons. D’où la nécessité de sensibiliser davantage sur ce sujet, et surtout de donner les outils nécessaires aux victimes pour les aider à venir de l’avant.
La journée de travail, organisée en collaboration avec Lakaz Lespwar Caritas, à Solitude, avait justement pour but de réunir des victimes en vue de leur donner un espace de parole et de les accompagner pour faire face à la situation. Christiane Pasnin, la responsable, explique : « Cela fait quatre ans que nous accompagnons 10 à 12 femmes victimes de violences sous différentes formes : physique, émotionnelle, verbale, économique… La première aide que nous pouvons leur offrir, c’est de les écouter et de leur donner à manger. Parfois, elles ont besoin de vêtements. Mais nous sentons qu’il faut pouvoir faire plus. La mise en place d’un Shelter dans le nord est devenue une urgence de nos jours. »
Les centres d’accueil existants se trouvant à Coromandel ou à Moka, beaucoup de femmes ne peuvent en effet tout quitter pour s’y rendre. « Souvent, elles ont un petit boulot dans la région qui leur permet de vivre, ou alors les enfants sont à l’école dans la localité. Résultat : elles continuent de vivre avec leurs conjoints violents respectivement, faute d’endroit où aller. »

Secours de proximité

Pour cette raison, Caritas organise en ce moment une levée de fonds en vue de mettre sur pied une maison d’accueil pour les victimes habitant le nord. Statistics Mauritius relève que la violence domestique touche 86,7% de femmes et 13,3% d’hommes.
Invitées à s’exprimer sur leurs besoins, les victimes, parfois en larmes, évoquent la nécessité d’un lieu pour « respirer ». Elles témoignent également de leurs difficultés au quotidien : « Nous avons l’impression que l’État s’est lavé les mains avec nous. Il y a une Hotline, mais parfois, il n’y a personne au bout du fil. Ou encore, quand vous allez à la police, le policier vous dit de rentrer chez vous et qu’il parlera à votre époux pour qu’il arrête. Mais ce n’est jamais le cas. Parfois même, le mari a un ami qui travaille au poste de police et est déjà au courant que sa femme est venue porter plainte contre lui… »
Toutes se disent inquiètes pour leurs enfants ou qu’elles finissent comme ces victimes de féminicide. Raison pour laquelle elles refusent parfois de dénoncer ou de s’en aller. Si certaines reçoivent le soutien de la famille, pour d’autres, tel n’est pas le cas. Alors elles se retrouvent isolées. Les victimes parlent également de la nécessité de déstigmatiser la santé mentale et émotionnelle afin qu’elles puissent avoir l’aide nécessaire sans être jugées.
Mélanie Vigier de Latour s’appuie sur le modèle théorisé par la psychologue Lenore Walker pour faire comprendre le cycle de la violence. Celui-ci se décline en quatre phases. D’abord la tension : l’auteur de violences commence par émettre des paroles insultantes, blessantes, intimidantes. Puis vient la crise; il passe à l’acte et agresse physiquement. Troisièmement la justification. L’homme accuse alors sa partenaire d’être responsable de son acte. Et la lune de miel : il présente ses excuses et fait tout pour obtenir le pardon. La victime pense que c’est fini, jusqu’à ce qu’il recommence.
Elle invite également à ne pas juger les victimes qui sont toujours avec leurs maris violents, car plusieurs raisons peuvent expliquer cette situation. D’où la nécessité de leur venir en aide et de leur donner les outils nécessaires pour s’en sortir (voir encadré). Quant aux victimes, elles souhaitent que la loi soit appliquée comme il se doit et que les agresseurs aient l’occasion de faire un suivi thérapeutique.

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Outils proposés par KDI

Pour les victimes
– Appeler à l’aide (voisins, police : 208-0034/35 ou 148; ministère :139)
– Fuir et se rendre à la police si sa vie est en danger
– Contacter un Shelter en cas d’urgence (SOS Femmes : 233-3054;Genderlinks : 434-0720/5770-9846; Chrysalide : 452-5509)
– Réduire l’alcool à la maison
– Partager ses souffrances avec ses proches, ses amis ou voir un thérapeute
– Dire ce qu’on ressent à son partenaire
– Chercher son autonomie financière
– Faire une liste des personnes que la police peut contacter en cas d’urgence
– Ne jamais oublier qu’on mérite le respect et que subir des violences n’est pas normal.

Pour les auteurs de violences
Le risque d’avoir un comportement agressif augmente dans une situation de crise, de stress et de difficultés. KDI conseil ainsi de
– Prendre conscience de la situation et s’arrêter pour respirer. Six grandes respirations permettront de se calmer
– Faire une activité qu’on aime chaque jour (se rappeler des belles expériences de la vie; marcher dans la nature; faire du sport, des activités et se déconnecter de tout de temps en temps; partager des moments en famille; pratiquer la relaxation, la méditation, la prière ou autre rituel qui vous convient)
– S’organiser et revoir ses priorités
– Communiquer avec les autres
– Être conscient de vos limites
– Faire attention aux signes d’alarme d’un comportement agressif (insultes, parler brutalement, être sur les nerfs…)
– Prévoir un plan d’urgence (un moyen de se calmer, par exemple aller prendre l’air, respirer profondément pendant cinq secondes, boire un verre d’eau, s’allonger et fermer les yeux)
– Prendre conscience de ce qui se passe en soi
– Demander de l’aide
– Prendre vos blessures et souffrances en considération
– Reconnaître que l’alcool et la drogue sont des facteurs à risques.

QUESTIONS À… | Mélanie Vigier de Latour-Bérenger
« L’État doit assumer ses responsabilités »

Selon vous, les statistiques ne reflètent pas la réalité. Qu’est-ce qui empêche des victimes de porter plainte ?
Ce qui freine les victimes de rapporter ce qu’elles subissent, c’est la peur, la honte, la pression sociale. Il y a cette phase lune de miel du cycle de la violence dont je parlais, et qui fait penser que l’auteur de violences ne va pas recommencer. L’absence d’autonomie financière ou celle d’un endroit où se réfugier sont aussi courantes. Ce n’est pas facile pour elles de payer un loyer et de subvenir aux besoins des enfants quand elles ne travaillent pas. Sans compter la pression de la famille.
On dit souvent qu’on se marie pour le meilleur et pour le pire. Ki dimounn pou dir ? Dan nou pena sa ! Parfois, c’est aussi le déni, un attachement particulier ou le syndrome de Stockholm, qui fait qu’une personne choisit de rester avec la personne qui l’agresse. Sans oublier les menaces physiques ou de garder les enfants.

On a souvent parlé du fait que les femmes ne soient pas bien accueillies lorsqu’elles vont porter plainte. Est-ce toujours le cas ?
Oui, cela existe toujours de nos jours. Des personnes ont témoigné que lorsqu’elles vont porter plainte, les policiers leur disent : « Ou bizin retourn ek ou mari, enn ti tap sa pa grav sa. » Il y a eu des formations pour les policiers, certes, mais il y a encore un gros besoin de prise en charge correct, d’écoute des personnes en situation de violence. Dans la société mauricienne, les violences sont encore beaucoup trop normalisées, minimisées et banalisées. Or, les recherches ont démontré que toute violence a des conséquences extrêmement importantes sur les victimes.

Plusieurs cas de féminicides ont eu lieu récemment. Comment réagissez-vous à cette violence extrême ?
Toute violence a un impact qui peut être extrême. Les recherches démontrent que la vie des victimes est toujours à risques. Mais dans beaucoup de cas, quand elles quittent leur partenaire, leur vie est encore plus à risques. En tant que citoyenne, je condamne toute sorte de violence. Que ce soit une claque, une humiliation ou un meurtre. Il y a toujours des impacts importants, que ce soit pour la victime, pour les enfants ou pour l’entourage.

La loi a été revue en 2004, mais elle ne protège toujours pas suffisamment…
Tout à fait. Déjà, il y a des manquements. Nous avons envoyé une recommandation l’année dernière pour que la violence verbale, psychologique et émotionnelle, figure dans la loi. C’est bien que la loi ait été revue en 2004, élargissant ainsi les types de violences. Malheureusement, elle ne protège pas suffisamment les victimes.
Le Protection Order peut être super-compliqué. La personne, parfois, n’a pas tous ses papiers; il peut y avoir des menaces. Cela demande beaucoup d’énergie et de mobilisation pour l’obtenir, et en cas de récidive, il faut avoir le papier sur soi pour montrer qu’il y a eu Breach of Protection Order. Il y a aussi l’application de la loi. Toute plainte doit être prise au sérieux. Il y a aussi une méconnaissance des ordres de protection.

Qu’en est-il de la prise en charge ?
Tout officier qui travaille avec les personnes victimes doit être formé. L’État doit investir dans l’aide financière des victimes pour leur autonomie. L’État doit investir dans les Shelters. Or, valeur du jour, ce sont les Ong qui gèrent les Shelters. En gros, l’État doit assumer ses responsabilités. Il faut protéger les victimes. L’impact de la violence domestique sur les enfants doit être pris en considération. Le rôle de l’État est de protéger et de soutenir les citoyens. Tous les citoyens.


TÉMOIGNAGE
Sara : « Ma mère ne m’a pas soutenue »
« J’ai été victime de violence domestique quelque temps après mon premier mariage. Quand je me suis confiée à ma mère, lui disant que je voulais me séparer de mon époux, elle m’a dit : “Dan nou pena sa. To bizin reste.” Ma mère ne m’a pas soutenue. Un jour, mon mari a menacé de me tuer. J’ai couru dans la rue avec ma robe de chambre. Les gens me regardaient et disaient : “Ki li gayne, li fol ?” Je suis restée en robe de chambre pendant toute la journée à la cour pour avoir un Protection Order. Ce jour-là, il y avait 15 femmes comme moi qui attendaient.
Quelques années plus tard, j’ai rencontré quelqu’un, j’ai voulu refaire ma vie. Mais une fois de plus, je me suis retrouvée dans la spirale de la violence. Violence physique, insultes; il vérifie mon portable… Il n’est arrivé de vouloir en finir. Je m’étais scarifiée le bras. Mais une amie m’a dit : “Pense à tes enfants. Que vont-ils devenir ?” Aujourd’hui, si je tiens le coup, c’est pour mes enfants. Il m’est arrivé de rester une semaine sans manger… J’ai dû voler pour nourrir mes enfants. Des bananes, des brèdes mouroum, dans des champs…
Heureusement que je me suis tournée vers Lakaz Lespwar. Je n’ai jamais eu l’occasion de leur dire merci pour tout ce qu’ils font pour moi. Il n’est pas facile de trouver une maison et d’être indépendante, financièrement. J’ai commencé un petit business, cela me permet de survivre. »


Les différents types de violence
Si la violence physique est le plus souvent médiatisée, la violence verbale, psychologique et émotionnelle, pèse de tout son poids. Selon Mélanie Vigier de Latour-Bérenger, c’est un moyen pour l’auteur de violence d’avoir un contrôle sur sa victime. On parle également de plus en plus aujourd’hui de violence sexuelle. La psychosociologue fait ressortir : « Souvent, on croit que la relation sexuelle est un devoir. Or, en couple ou pas, il faut toujours avoir le consentement. Le viol conjugal existe. »

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