A 104 ANS RÉVOLUS : Renée Marie se souvient de ses vicissitudes passées

On peut dire que la vie n’a pas fait de cadeau à Renée Marie (née Sangaraille). Très tôt, au beau milieu de son adolescence, elle se trouve orpheline de père. Ce dernier, Paul Emmanuel Sangaraille, a perdu la vie en raison de sa profession de foi. La mère, Evana Sangaraille, gravement traumatisée par la mort tragique de son époux, n’est plus en mesure de s’occuper de ses enfants, particulièrement de son dernier-né, David, encore un nourrisson.
Peu de temps après, l’argent fait défaut, l’économie que le défunt père avait laissée, étant épuisée. C’est sur leurs genoux que Renée, 16 ans, et son cadet Jonathan, demandent à Dieu de les aider à trouver du lait pour le bébé. A peine la prière terminée, voilà que la voisine, Mme Chintamun, se pointe avec une casserole pleine de biberons et invite Renée à apporter un récipient pour recevoir du lait de vache. Le lait, mélangé d’eau, nourrira David jusqu’au sevrage.
L’enfant est ensuite nourri au fruit à pain bouilli finement écrasé. En somme, c’est le fruit à pain que va cueillir personnellement Renée, qui est la nourriture de base de la famille, soit la mère Eva et les cinq enfants — Léonne, Léa, Jonathan, David et Renée elle-même.
Lors d’une visite à la famille à Rivière-d-Rempart, les oncles Assone et Gabriel Moutou, frères de la mère, sont choqués par la misère dans laquelle vivent leur soeur et les enfants. Aussitôt la décision est prise de les emmener tous habiter sur leur propriété à Grand-Gaube. C’est ainsi que les enfants et leur maman seront installés dans la maison inoccupée de leur grand-mère. Malgré son jeune âge, Renée contribue toujours à la marmite familiale. Elle tricote et en vend les produits pour avoir de quoi nourrir la famille. On vit de plus modestement en ajoutant ce petit revenu à une pension du gouvernement que touche la maman.
La famille met le cap sur les Plaines Wilhems
Sur le conseil d’Alice et de Lydia Le Même, deux notables de la jeune Eglise adventiste mauricienne, la famille quittera Grand-Gaube pour emménager à Rose-Hill. Avec le soutien de la famille Mackay, Renée trouve de l’emploi dans le service Goutte de lait à la Child Welfare Clinic de Curepipe. Son travail consiste à donner le lait et à manger aux bébés. La famille déménage alors pour Curepipe.
Un jour Lady Twining qui est à la tête du service de Child Welfare vient visiter la clinique de Curepipe. Renée en profite pour lui faire part de sa situation. L’allocation qu’elle touche à la Goutte de lait ne lui suffit pas pour ses besoins et ceux de la famille à sa charge. « What do you want ? » lui demande Lady Twining. Et Renée de répondre qu’elle souhaite travailler à l’hôpital, mais que l’entrée lui est fermée vu qu’elle n’a pas de certificat de la sixième.
Un salaire mensuel de Rs 20
Lady Twining écrit sur-le-champ une lettre de recommandation en faveur de Renée à présenter au Dr Raffray au Bureau médical. Arrivée sur le lieu, elle tente de rencontrer Dr Raffray qui est quasiment injoignable, la Head Dresser ayant eu l’ordre formel de n’y laisser entrer personne. Comment faire pour que la lettre parvienne au Dr Raffray ?
Renée reste assise pendant des heures, puis profite du moment où la Head Dresser va prendre son thé pour grimper l’escalier et se diriger vers le bureau du Dr Raffray. Elle tombe sur le domestique qui lui fait comprendre qu’elle ne peut pas entrer. Elle montre alors la lettre de recommandation de Lady Twining et le domestique en informe Dr Raffray qui demande qu’on la fasse entrer.
Aussitôt le Dr Raffray remet à Renée un papier qu’elle doit présenter à la matrone de l’hôpital de Candos. Ce qu’elle fait le lendemain matin. La matrone, une Anglaise du nom de Dundee, prend connaissance de la lettre et invite Renée à revenir le lendemain en uniforme pour commencer le travail. Elle suivra trois mois de stage et réussira brillamment aux examens, après quoi elle sera mise à l’essai pendant vingt jours, puis embauchée contre un salaire mensuel de Rs 20. Aussitôt après, la famille retourne habiter à Rose-Hill qui est plus proche de l’hôpital Candos où travaille Renée.
En butte à des tabous dans le service hospitalier colonial
Ouvrons ici une parenthèse pour permettre à la centenaire d’évoquer deux situations auxquelles elle a dû faire face, l’une avant qu’elle n’embrasse sa carrière d’infirmière, l’autre au beau milieu de sa carrière. La première situation se présente alors qu’elle est affectée à la Childcare Clinic à Curepipe et est en quête d’un emploi comme infirmière à l’hôpital.
Avant de rencontrer Lady Twining dont la recommandation lui ouvrira la porte à sa carrière d’infirmière, Renée aura eu la chance d’obtenir une recommandation du Dr de Chazal pour entrer comme infirmière à l’hôpital. Les voisins de la famille ayant eu vent de la démarche de Renée de se joindre au service hospitalier, en informent la mère qui met son veto à toute l’affaire. C’est qu’à l’époque, la profession d’infirmière était considérée comme inconvenante, contraire aux moeurs pour une jeune fille, ou même pour une dame. Par deux fois, sa mère la dissuadera d’emprunter cette voie. Mais la troisième, ce sera la bonne, car elle arrivera à tromper la vigilance de sa merde.
La deuxième situation contrariante pour Renée se présente lorsqu’elle a son premier enfant, né de son mariage avec Elie Emmanuel Marie (de cette union naîtront quatre filles, Rosemay, Suzelle, Lylette et Frances). Selon les règlements en vigueur à l’époque, elle doit quitter le service hospitalier où il est requis des infirmières qu’elles soient célibataires. De ce fait, Renée Marie est placée devant une mise à la retraite prématurée.
La première Mauricienne mariée à occuper le poste d’infirmière
Mais comme son époux est en service dans l’armée coloniale britannique, il s’informe auprès de ses supérieurs en Angleterre pour savoir si cette pratique, soit interdire à la femme mariée de professer comme infirmière, est normale. On lui fait savoir que cela ne s’applique ni en Grande-Bretagne ni dans les colonies britanniques. Fort de ce précieux renseignement, l’époux fait appel aux autorités coloniales dans l’île et l’interdiction est enlevée sur-le-champ. De cette manière, Renée Marie devient la première Mauricienne mariée à occuper le poste d’infirmière dans le service public colonial.
Ainsi, la carrière dans le service médical et d’infirmière de Renée Marie dans la fonction publique se poursuivra jusqu’à son terme. Après avoir démarré à la Goutte de lait de la Child Welfare Clinic à Curepipe elle fera par la suite tous les hôpitaux de l’île, de Candos à Souillac en passant par Poudre-d’Or et Mahébourg. Lorsqu’elle prend sa retraite, elle est en service à l’hôpital de Candos où quelques décennies plus tôt elle commençait comme infirmière. Ce n’est pas la retraite définitive, car, ayant encore la capacité de servir les malades, elle pratique dans le privé, notamment aux cliniques mauricienne à Réduit et Bon Pasteur à Rose-Hill.

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