ALLY YEAROO (PRÉSIDENT DE L’EDUCATION OFFICERS’ UNION): « Les classes de Upper V sont vides depuis le début du 2e trimestre »

Enseignant de physique dans le secondaire d’État depuis plus de 18 ans, et en poste actuellement au Collège Royal de Port-Louis, Ally Yearoo, sans langue de bois, met en lumière les différentes facettes  de  l’absentéisme des élèves prenant part aux examens du Higher School Certificate. Un problème qui, selon son constat, s’est amplifié et étendu à presque l’ensemble des collèges d’État, avec des variantes. Le président de l’Education Officers’ Union craint pour l’avenir de l’école mauricienne si le ministère de l’Education continue à ignorer le problème. À son avis, des actions fermes et rapides sont nécessaires afin de mettre un frein à cette habitude, qui ne cadre pas avec l’esprit de l’école. Ses propos risquent de provoquer beaucoup de remous au ministère.
Est-ce vrai que les élèves de Upper VI ont déjà déserté les classes alors que l’on n’avait pas encore entamé la moitié de l’année scolaire ?
Tenez-vous bien : chaque année, à partir de la troisième semaine du deuxième trimestre – soit presque au début du trimestre qui est le plus long du calendrier scolaire –, les classes de Upper VI commencent à se vider. Les élèves viennent rarement à l’école, pour ne pas dire qu’ils ne viennent plus.    Mardi dernier, je me suis retrouvé avec seulement… trois élèves pour ma classe de physique. En l’absence d’élèves en classe, le prof travaillera quatre périodes par jour, au lieu de huit, comme prévu dans son emploi du temps. Je tiens à préciser que je parle de la situation qui prévaut dans les collèges d’État, mais je crois que les grands collèges privés sont confrontés eux aussi au même phénomène. Le problème s’aggrave, car il s’est étendu à la Form V et commence à toucher les Lower Forms.  
De par votre fonction de président de syndicat et le fait d’avoir travaillé dans différents collèges d’État à travers le pays, cela vous permet-il d’avoir une idée globale du problème ? Quel est votre constat ?
C’est le même constat partout. Au départ, il n’y a que deux ou trois élèves qui commencent à s’absenter plusieurs fois par semaine. Puis cela fait boule de neige dans la classe. Les élèves vont revenir pour le “mock exams” en juillet et ne reviendront plus, sauf pour venir chercher le “time-table” pour les examens de fin d’année. On voit de temps en temps quelques élèves de science venir quand il y a des classes pour les travaux pratiques. Le taux d’absences est nettement plus élevé dans les National Colleges et les collèges régionaux, qui  jouissent d’une grande réputation, et dans ces établissements il y a 80% d’absences alors que, dans les autres, le taux tourne autour de 50%. On note aussi que l’absentéisme est beaucoup plus aigu chez les garçons que chez les filles.  
Le calendrier scolaire comprend 180 jours. Peut-on avoir une idée du nombre de jours de présence d’un élève de Upper ?
Il faut savoir qu’ils ne sont pas là pendant le troisième trimestre, qui compte 12 semaines de travail, soit 60 jours, et quand on additionne les autres jours d’absences au premier et au second trimestre, il n’est pas rare d’avoir de 80 à 100 jours d’absences. Et parfois même plus.
Pourquoi ne sont-ils pas à l’école ? Passeraient-ils la journée dans les leçons particulières ?  
Il y a plusieurs raisons à cette absence chronique. D’abord, chaque année, il y a des élèves qui  s’absentent dès le début avril pour aller prendre part aux examens de GCE “A” level de mai/juin, mais il s’agit d’un petit groupe – à-peu-près 10% d’élèves dans chaque Star College –, car ces examens de mai/juin requièrent un temps de préparation et ont  aussi un coût financier. Les parents doivent débourser une somme de pas moins de Rs 10 000 pour les frais d’examens, sans compter les dépenses pour les “crash courses” supplémentaires. En général, les élèves restent à la maison pour travailler seuls et iront prendre les leçons dans l’après-midi, parce que leurs enseignants sont à l’école. Parmi les personnes qui  dispensent les leçons en privé pendant la journée, il y a des retraités, des cadres du privé et, même, des fonctionnaires, qui occupent des postes à responsabilité. Il est rare que les enseignants utilisent leur “vacation leave” au premier et au second trimestres pour donner des leçons.  
Vous affirmez que les enseignants ne s’absentent pas pour donner des leçons à leurs élèves ?
Je ne mets ma main au feu pour personne, mais je voudrais souligner que le ministère n’autorise pas de “vacation leave” aux enseignants au troisième trimestre, sauf dans des cas exceptionnels. Il se peut que certaines brebis galeuses profitent du dernier trimestre pour épuiser le nombre de jours de “casual leave” auxquels elles ont droit. Certains ne sont pas non plus à l’école pour des raisons de maladie, mais dans ce cas, ils doivent présenter un certificat médical s’ils s’absentent plus de trois jours.  
Le programme d’études de HSC, qui s’échelonne sur deux ans, est-il déjà bouclé en avril pour que les élèves s’absentent avec l’accord de leurs parents ?
À l ‘école, l’enseignant fonctionne dans un cadre bien précis et doit respecter les réglements de l’école. Il doit suivre le rythme du programme établi par son département. Mais ces règlements peuvent aussi être des contraintes. Or, dans une leçon privée,  l’enseignant est libre de couvrir le programme d’études dans le temps qu’il souhaite et organise son  cours comme il le désire. Cette manière de faire plait aux élèves, qui disent qu’ils travaillent beaucoup plus dans les leçons particulières qu’à l’école, même s’ils se retrouvent les après-midi et les samedis dans une classe de 30 personnes fréquentant différents établissements. Quand on dit aux élèves que l’école leur apporte plus et qu’ils ne doivent pas s’absenter, ils répondent : « Ayo monsieur, inn fini fer tou dan leçon. Nou pa apran nanrien anplis dan lekol, perdi letan dan lekol… ».
Est-il normal que les jeunes boudent l’école alors que l’État injecte plus de Rs 6 milliards dans le budget de l’éducation secondaire ?
Cette situation n’est évidemment pas normale, et l’école va mal… Vous avez parfaitement raison de soulever les efforts de l’État pour permettre aux enfants d’avoir accès à l’éducation secondaire. Enseignants et recteurs ont tiré la sonnette d’alarme à plusieurs reprises. Dans plusieurs réunions d’un   Technical Comittee l’an dernier concernant spécifiquement ce problème, les enseignants ont fait des propositions au ministère. Mais rien n’a été fait. Et il n’est pas étonnant que nous nous retrouvions dans la même situation cette année.  
Comment contrer ce mal ? Que préconisez-vous comme solutions ?
Que le ministère ne vienne surtout pas dire qu’il faut entreprendre d’abord une étude avant d’adopter des mesures. Le ministère connaît déjà l’ampleur du problème et les syndicats des recteurs aussi bien que ceux des enseignants ont suggéré plusieurs solutions pour éradiquer ce mal. Il suffit de courage et de bonne volonté pour passer à l’action. Je vous donne les principales propositions de mon syndicat : 1) il est temps d’avoir une législation pour le contrôle de présence des élèves car l’Education Act, qui date de…  1959, fait complètement abstraction de cet aspect important de la vie de l’école. Et c’est bien pour cette raison que les recteurs des collèges d’État ne peuvent prendre des sanctions contre un élève pour absences fréquentes. 2) Il faut une loi pour, d’une part, interdire les leçons particulières pendant les heures d’école et, de l’autre, pour mettre de l’ordre dans l’ensemble du système de leçons particulières. 3) Donner plus de pouvoirs aux chefs d’établissements pour prendre des décisions, sans qu’il y ait par la suite ingérence politique pour casser ses décisions. 4) Il est important aussi d’avoir un “pool” de remplaçants quand les enseignants sont “on vacation leave” et “on casual leave”. Faute de planification, des élèves se retrouvent souvent sans prof pendant plusieurs jours pour plusieurs matières lorsque leurs enseignants  sont “on vacation leave” au premier et au second trimestres. Ce n’est pas totalement faux lorsque des enfants disent quelquefois à leurs parents : « Pena profeser dan classe. » Mais ils trouvent là une raison de ne pas venir à l ‘école.
Que risque-t-il de se passer si le ministère ne réagit pas ?
La situation est déjà très grave. Si on ne prend pas des mesures concrètes immédiatement, l’école n’aura plus la valeur qu’elle mérite aux yeux des jeunes. Les élèves au secondaire se tourneront de plus en plus tôt vers les leçons particulières et délaisseront l’école. Il ne faut pas en arriver là, car l’école a un grand rôle à jouer dans la société. Par ailleurs, les profs sont déjà démotivés et découragés devant des classes vides, et  ils le seront davantage si le problème s’accentue.
Êtes-vous toujours heureux dans votre profession ?
Je suis dans l’enseignement depuis 18 ans et je dois admettre que la situation à l’école n’est plus pareille  qu’à mes débuts. Nous faisons face aujourd’hui au problème du comportement des élèves et à l’indiscipline. La direction de l’école aussi a beaucoup changé, et les recteurs n’ont pas la liberté de prendre des décisions. Tout est centralisé au niveau du ministère et cette manière de faire nuit à la gestion quotidienne. Je suis un peu déçu de ce que l’école est aujourd’hui, mais j’aime toujours mon métier. Je rêve d’une école où les élèves sont présents tout au long de l’année pour apprendre des choses pour sa vie future. Les jeunes doivent comprendre que l’école n’est pas faite que pour l’apprentissage des matières académiques, mais qu’ils y sont aussi pour leur développement global. Cela m’attriste de voir que des élèves refusent de participer aux activités non-académiques, comme le sport. L’école irait mieux s’il y avait des consultations régulièrement entre le ministère et les Stakeholders. Le ministère prend souvent des décisions qui ne correspondent pas aux réalités de l’école. À titre d’exemple, on a introduit l’Entrepreneurship Education alors que les profs n’ont pas les compétences dans ce domaine spécifique. Si l’Activity Period est un échec dans beaucoup de collèges d’État, c’est à cause d’un manque de planification.

- Publicité -
EN CONTINU

l'édition du jour

- Publicité -