ARET KOKIN NU LAVENIR : ayons le courage de croire dans ce « NOUS »! (I)

CARINA GOUNDEN

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Voilà trois ans que je me suis engagée corps et âme dans un combat qui m’a amenée à découvrir ce que mon pays recèle de meilleur et de pire. Ces combats coûtent beaucoup aux individus qui les portent. Difficile de regarder ailleurs après avoir pris connaissance de l’ampleur de la pourriture dans laquelle nous vivons. Il faut tenir ! Nous scandons « Aret Kokin Nu Laplaz ». Mais au-delà, ce que nous crions de toutes nos forces c’est « Aret Kokin Nu Lavenir », et c’est ce qui fait que, malgré les difficultés, les sacrifices, tous ces individus tiennent. Ces combats dépassent souvent leur raison d’être première. À travers cet article, j’en profite aussi pour remercier tous ceux qui s’affairent depuis des années dans les combats pour la préservation de l’environnement. La conscientisation sans relâche.

Ils ont gagné un peu de temps pour ceux de ma génération. Parler d’écologie il y a 15 ans, équivaut à passer pour un illuminé en effet.
Bien sûr qu’il s’agit de sauver ces dernières plages d’une destruction programmée, d’accaparements qui laissent ces familles mauriciennes dans l’incompréhension, la colère, une frustration grandissante. « Kot mo pou ale mwa, partou pe gagn pouse. » Bien sûr qu’il faut rappeler ces promesses électorales pour protéger ces régions côtières, ces lagons déjà lourdement dévastés. Ces promesses jamais respectées. Bien sûr qu’il faut battre le pavé pour éveiller les consciences aux urgences écologiques. Bien sûr qu’il faut tenir pour convoquer l’espoir, nourrir le renouveau dont notre pays a bien besoin. Nous ne sommes pas « n’importe qui », comme certains pédants se plaisent à faire croire.

Non, car un citoyen n’est pas n’importe qui. Si son vote est courtisé, son avis, ses interventions devraient être traitées avec un peu plus de respect de la part des institutions et il a droit d’interdire le « n’importe quoi ». La condescendance n’est rien face à la science. Même si nos moyens ne sont pas énormes, nous avons la décence d’aller demander à la science et de fournir des rapports scientifiques valables. Ce qui n’est pas le cas lorsque certains promoteurs proposent des projets sur des sites écologiquement sensibles et soumettent des rapports EIA qu’on peut qualifier d’amateurs. Vous ne me croyez pas ? J’invite les connaisseurs à aller jeter un œil sur celui du projet de West Coast Leisure Ltd à Bel-Ombre (Beau Champ). Un cas d’école !

On m’a récemment dit : « Mamzel, mo respekte ou langazman, mo apresye ki ou defann ou bann prinsip, mem si mo pa touzour dakor avek bann kote inpe tro radikal. » Pourtant, je ne me définis pas comme étant particulièrement « radicale ». Il s’agit d’un homme politique qui a une longue carrière, qui connaît bien les rouages du système actuel, les défaillances aussi. Si le fait de m’alourdir de l’étiquette « radicale » lui donne meilleure conscience dans son inaction, son silence, grand bien lui fasse. De la même manière, je ne me considère pas étant plus « écolo » que d’autres. Ce n’est pas une mode, pardi ! Mais le monde dans lequel nous évoluons, les urgences qui nous guettent, nous commandent de changer nos pratiques.
Une autre personne m’a exprimé une interrogation des plus intéressantes. La question en elle-même porte la réponse. Je me permets de partager pour nourrir la réflexion. Lui, il connaît l’hôtellerie telle que nous la pratiquons depuis des années. Or l’heure est à la remise en question.

Le secteur touristique va mal, quoi que certains en disent. Les indicateurs ne sont pas ceux qu’on a envie de voir. Et je dis « nous », car le tourisme est l’affaire de tout le monde sur notre petite île. Mon interlocuteur exprime deux choses : « Nous ne savons plus comment séduire les enfants de nos clients » et « nous ne savons pas non plus comment attirer les enfants de nos employés ». Tu m’étonnes qu’on vive une crise ! L’un évoque ce qu’il nomme ma « radicalité » et l’autre exprime le fait qu’il ne comprenait pas ma génération, finalement. Je ne vais pas m’avancer à la définir là, car elle se construit cette génération. Mais nous pouvons voir se préciser les contours d’une conscience écologique nouvelle qui grandit. À cela s’ajoutent des combats de toujours, des reproductions sociales, qui nourrissent des inégalités criardes et des frustrations profondes. Au milieu de tout ceci, il y a l’industrie précieuse et vitale du tourisme. Certains avaient mis en garde contre des pratiques qui mettraient en péril cette industrie qui nous est si chère.

La Vision 2020 avait prévenu qu’il fallait mettre une limite [“green ceiling”] afin de protéger l’« attractiveness » de la destination : pas plus de 9 000 chambres d’hôtel. Aller au-delà serait destructeur pour le tourisme et finirait par demander trop de sacrifices aux locaux. Aujourd’hui en 2019, soit à la veille de 2020, nous sommes à plus de 13 500 chambres, soit à 150% de la capacité maximale et le gouvernement persiste à annoncer de nouveaux hôtels. Doit-on s’étonner que les touristes trouvent Maurice moins attirante ? Devons-nous être choqués de découvrir que le secteur de l’hôtellerie est l’un des plus endettés, Rs 38 milliards selon la Banque de Maurice ? Devons-nous nous étonner qu’un ministre ait jugé qu’il avait le droit de déproclamer une plage publique pour mettre un autre hôtel et d’invoquer en plus l’intérêt national ? Si cela ne ressemble pas à une frénésie, à une folie, je ne sais pas ce que c’est. Ils ont fait fi de toutes les mises en garde. Que ce soient nos dirigeants, ou les acteurs du secteur concernés. « An equally appealing feature is the harmonious coexistence of diverse cultures which make up the Mauritian nation. Over-development would destroy this appeal, threaten the ecology of the lagoons, and deprive Mauritians of a proper share of their own beaches. » Cela vous parle, car on le vit actuellement, à la veille de 2020.
N’oublions pas le Tourism Development Plan for Mauritius de 2002. Ce document ose affirmer à son tour qu’on peut faire du tourisme sans blinder nos plages, donnant ainsi une réelle priorité à la protection de l’environnement, la préservation des atouts authentiques de la destination.

« Opportunities exist to develop a different product from the beach hotels by promoting small scale, high quality « countryside » resorts in a parkland setting. Allowing the coastline to become developed with hotels is considered to be detrimental and counter to the overall Tourism Development Plan objective of raising the quality of the Mauritius product. The Ministry of Tourism should take the lead role in establishing this zone, with the Leisure Unit undertaking day to day management responsibility. »

La National Development Strategy reprendra ces recommandations parlant de la région sud. « The South Coast Heritage Zone (covering an extensive area from Blue Bay to Baie du Cap, inclusive of Surinam, Souillac and Bel Ombre) […] incorporate[s] strategies to protect the natural environment. It is proposed that within the South Coast Heritage Zone, the existing coastline is preserved and that only limited tourism development should be permitted in and around existing centres, where inward investment can contribute to development clustering and thereby sustain local economies. »
Ils ont choisi de contourner ces documents. Permettez-moi de demander : « Qui a finalement agi contre le développement ? Qui tue tranquillement la poule aux œufs d’or ? » Je vous invite à aller consulter tous ces travaux.

Il y a aussi un constat, une revendication. Si le développement touristique de l’île a créé des emplois et a distribué des revenus, il n’a toutefois pas réduit les inégalités sociales. Aujourd’hui, au contraire, il semble que le secteur tel qu’il est tenu, est au centre de bien des frustrations. Si le succès de notre destination a longtemps résidé aussi dans la stabilité politique du pays, Maurice n’est toutefois pas à l’abri de troubles intérieurs. La destination n’est d’ailleurs plus si « safe ». C’est peut-être l’envers du décor dans le fait d’avoir aseptisé le tourisme, misant sur une relation de service et de client, des cadres de vacances certes, mais à la fois tellement déconnectés de l’île et des gens qui l’habitent, mettant ainsi de côté l’aspect humain de l’activité, l’échange, le partage qui rendent une destination mémorable au-delà de tout. Nous construisons des modèles où les échanges et les relations sont faussées, voire perverties. Pourquoi les mêmes touristes revenaient avant ? Beaucoup disent, « pour les Mauriciens » et bien sûr parce que l’île était plutôt bien conservée il y a encore quelques années. Le dépaysement promis était au rendez-vous ! Il me semble qu’on a un peu piétiné ces atouts, pour ne pas dire détruit, dans certains coins.

L’hôtellerie est devenue le cadre de base. L’image qu’on placarde pour attirer les touristes. La plage nivelée au râteau par le petit employé qui doit aussi à l’occasion rappeler à ses compatriotes, qu’ils n’ont pas à être là. Et encore un peu l’île Maurice devenait un grand Resort. À tel point que les ministres du Tourisme finissent par se prendre pour les ministres des hôtels. C’est une dérive annoncée pourtant et on a foncé tête baissée dedans. Aujourd’hui, nous ne pouvons presque plus parler de préservation de notre environnement, car nous sommes déjà à la phase de sauvetage. C’est dire l’ampleur des dégâts.
Se reprendre en mains maintenant, pallier les grossières erreurs, les bavures, gérer aussi les frustrations d’un peuple qui commence à sérieusement grincer des dents, car il est indéniable que le secteur du tourisme est aussi pointé du doigt; il vient confirmer la reproduction sociale qui nous colle à la peau depuis l’industrie sucrière, au textile pour se répliquer dans celui du tourisme.

Le tourisme, nous n’avons cessé de le répéter, est l’affaire de tous. Mais encore faudrait-il que les profits soient aussi l’affaire de tous. Il y a là, une opportunité de non seulement remettre Maurice sur les podiums comme étant une destination désirable, mais aussi une chance de réellement démocratiser des secteurs qui ont longtemps été l’apanage d’une petite poignée. Une véritable démocratisation de l’économie est aussi un ingrédient central pour la pérennité de la paix sur notre petit territoire. Ceci est une nécessité pour contrecarrer aussi ceux qui instrumentalisent volontiers le « noir » et le « blanc » quand cela les arrange.

À suivre

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