Arianne Navarre-Marie (leader adjoint du MMM) : « Nous nous attendons à ce que la Grande-Bretagne joue le jeu »

Bien que n’ayant pas personnellement connu les Chagos, Arianne Navarre-Marie fait partie d’une famille de sept enfants dont les parents sont Chagossiens. « Mon père est né à Six Îles et ma mère à Diego Garcia », raconte-t-elle. Aujourd’hui, elle est le seul membre de la famille Navarre à avoir choisi de rester à Maurice, tous les autres, y compris sa mère, étant en Grande-Bretagne, détenteurs de passeports britanniques. « Mon père est décédé en novembre 2014 à Londres alors que j’étais en pleine campagne électorale », dit-elle.

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Arianne Navarre-Marie s’est engagée dans les activités sociales depuis l’âge de 15 ans à Roche-Bois. Alors qu’elle était encore au collège, elle aidait les plus jeunes à apprendre leurs leçons et à faire du sport. « Parmi ceux qui faisaient partie de notre groupe se trouvait un certain Joseph Reginald Topize, qui par la suite est devenu Kaya », raconte elle. Par la suite, elle devait découvrir le MMM à travers Sylvio Michel et l’Organisation fraternelle.

C’est ainsi qu’elle est devenue, en 1982, la plus jeune élue d’alors. Dans l’interview qu’elle a accordée au Mauricien, elle évoque les Chagos, mais également le MMM et la question des femmes.

Vous avez toujours été proche de la communauté chagossienne. Qu’avez-vous ressenti après l’avis consultatif donné en faveur de Maurice par la Cour internationale de Justice lundi ?
Le fait est que je suis née de parents chagossiens. Mon père est né aux Six Îles alors que maman, elle, est native de Diego Garcia. J’ai eu une pensée d’abord pour les natifs des Chagos, pour ceux et celles qui se sont battus pendant plusieurs années. Et évidemment, j’ai eu une pensée spéciale pour mon père, décédé en novembre 2014. Il faisait partie du voyage des Chagossiens dans l’archipel en 2006. J’ai appris qu’il s’était évanoui en foulant le sol chagossien, lui, un homme si fort. Je vous rappelle qu’il était travailleur du port. Depuis ce voyage, il ne s’est jamais remis. Et à partir de là, il a commencé à souffrir d’une longue maladie. Je dirais que, comme beaucoup de natifs, il est mort de chagrin.

J’ai aussi eu une pensée pour toute la longue lutte menée depuis les années 1970 par des Chagossiennes, dont certaines sont décédées aujourd’hui. Une lutte héroïque menée par les frères Michel et le MMM, et aujourd’hui par Olivier Bancoult, à Maurice, et d’autres en Angleterre, en l’occurrence Ingrid Permal, à un certain moment. Même ceux qui vivent en Angleterre n’ont pas hésité à braver le froid pour participer à des manifestations devant le Parlement britannique. Chapeau à sir Anerood Jugnauth pour ce coup-là ! Ce moment est historique.

Il est un fait que depuis 1982, les gouvernements successifs ont essayé, d’une manière ou d’une autre, de faire avancer le dossier, y compris l’initiative prise par Paul Bérenger et dont on parle très peu ou même pas du tout.

De quelle initiative parlez-vous ?
Celle consistant à faire en sorte que les îles des Chagos nous soient restituées comme les trois îles qui ont été rendues aux Seychelles. Et concernant Diego Garcia, il avait introduit le concept “we agree to disagree”.

L’initiative avait été présentée par Paul Bérenger en personne au président des États-Unis, George Bush, mais entre-temps, il y a eu les tristes attentats du 11 septembre. Après l’opinion émise par la CIJ, comme l’a souligné le leader du MMM lors de sa conférence de presse cette semaine, il faudra que Maurice retrouve sa souveraineté sur tout le territoire chagossien sans remettre en cause la base militaire américaine. D’ailleurs, elle n’est pas remise en question par aucune des puissances régionales comme l’Inde ou l’Afrique du Sud.

Pensez-vous que les Chagossiens ont raison de placer leurs espoirs dans cette opinion de la CIJ ?
Les Chagossiens doivent sentir qu’ils peuvent rentrer chez eux à n’importe quel moment. Ils doivent être libres d’y retourner quand ils le veulent. Mais ce jugement, quoiqu’historique, n’est qu’une étape. Comme il n’est pas contraignant, nous nous attendons à ce que la Grande-Bretagne joue le jeu. Dans le cas contraire, ce sera encore une bataille pour aller au Conseil de sécurité des Nations unies et/ou à l’Assemblée générale des Nations unies où un fort lobbying doit se faire de façon plus soutenue, à commencer par nos pays de peuplement et d’autres pays amis.

Quel devrait être leur rôle dans la suite des événements ?
Malgré certaines nuances dans leurs revendications, les Chagossiens se doivent d’être unis. Déjà, on sait que beaucoup de natifs ne sont plus de ce monde. La vigilance est de mise.

Avez-vous connu les Chagos personnellement ?
J’ai connu les Chagos à travers ce qui m’a été raconté par mes parents. C’est idyllique ! On raconte qu’on y vivait bien. On y mangeait bien. On y mangeait frais. Tout le monde se connaissait. Et pendant les fêtes à Maurice, lorsque les Chagossiens se rencontraient, ils parlaient à voix basse des îles fermées. Je n’y comprenais rien jusqu’au jour où le dernier groupe d’exilés qui était resté plusieurs jours dans le port débarqua aux Dockers Flats. J’ai appris à mieux les connaître en faisant du social et en essayant d’intégrer les enfants à l’école primaire et en m’occupant de leur scolarité après les heures de classe.

Dans votre subconscient, quelle idée vous faites-vous de l’archipel ?
Pour moi, c’est le paradis sur terre. C’est la nature dans toute sa splendeur.

Certains jeunes Chagossiens disent ne pas vouloir aller vivre aux Chagos. Qu’en pensez-vous ?
Il est un peu normal que ceux qui ont quitté l’archipel très jeune, ou qui n’y ont jamais mis les pieds, ne désirent pas aller passer leur vie aux Chagos. Pour eux, les Chagos n’ont pas encore les facilités qu’offrent Maurice et la Grande-Bretagne. Certains jeunes aiment leur vie trépidante. Mais cela ne veut pas dire qu’ils ne souhaitent pas faire le va-et-vient entre les Chagos et Maurice, étant donné que c’est là que leurs parents ont vécu. Ce sera une façon d’assumer leur devoir de mémoire en quelque sorte.

L’autre événement qui a dominé cette semaine a été le jugement du Judicial Committee du Privy Council, qui a blanchi le Premier ministre, Pravind Jugnauth…
Nous comprenons le calvaire qu’a enduré la famille du Premier ministre, particulièrement ses enfants et son épouse, pendant ces années. Cela a dû être très pénible pour les enfants surtout. Le MMM n’a jamais jubilé sur les malheurs des autres, et ne le fera jamais. Le Privy Council a donné sa décision que nous respectons bien sûr.

Sur le plan politique, le scandale MedPoint reste le scandale MedPoint, avec tous les détails que nous connaissons, que ce soit l’évaluation, la surévaluation, les démarches pour que le paiement soit effectué très vite afin d’éviter la “capital gains tax”, etc. Cela, la population est loin de l’oublier.

La Journée internationale des Femmes sera célébrée cette semaine. Quels sont les défis auxquels les femmes ont à faire face aujourd’hui ?
Les droits de femmes sont des droits humains. Aujourd’hui, bien entendu, il y a de nouveaux défis à relever. La parité est toujours d’actualité mais n’est pas une fin en soi. Il faut atteindre la parité dans les instances de prise de décision pour changer les choses et parvenir à l’égalité des chances, à l’accès aux services et à l’emploi pour un salaire égal.

Dans la perspective des prochaines élections, la place de la femme en politique à Maurice est à l’ordre du jour. Qu’en pensez-vous ?
Malheureusement, sur le plan de la représentativité des femmes en politique, nous sommes loin de la parité. Le pays a besoin des femmes pour faire avancer les choses. Nous avons tellement de femmes capables qui pourraient contribuer à faire avancer les choses, mais nous sommes encore loin du compte. Il est vrai aussi que certaines d’entre elles ne nous ont pas fait honneur. Mais il ne faut pas généraliser.

Comment se porte le MMM pour ses 50 ans ?
Le MMM fêtera ses 50 ans en septembre de cette année. Ce parti qui a débuté par le Club des étudiants a par la suite évolué en parti politique. Les valeurs pour lesquelles le parti avait pris naissance n’ont pas pris une seule ride et sont toujours d’actualité, soit l’unité nationale, raison première de notre existence après la triste bagarre raciale en 1969, la démocratie, le développement dans la justice sociale, la bonne gouvernance et la transparence.

Le leader, Paul Bérenger, est un homme respecté pour son sérieux et sa capacité au travail, sa maîtrise des dossiers et le fait qu’il ne traîne aucune casserole politique. Même ses plus farouches adversaires le reconnaissent. Je suis fière d’appartenir à ce parti qu’est le MMM avec un “leadership” capable. Personne ne peut nous pointer du doigt.

Le leader du MMM insiste sur le fait que le parti se présentera seul aux élections. Est-ce un rêve ou une réalité ?
Ce ne sera pas la première fois que le MMM se présentera seul aux élections générales. Nous l’avons fait une première fois en 1976 où nous avons remporté la majorité des sièges. Et le PTr et le PMSD s’étaient empressés de faire une coalition post-électorale et de fausser le jeu démocratique.

Il y a eu beaucoup de départs du MMM ces dernières années. Comment avez-vous vécu ces séparations ?
Les départs des camarades du parti ne sont pas toujours agréables pour la plupart car ce sont des personnes avec lesquelles nous avons passé beaucoup de temps, souvent plus qu’avec nos propres familles. On a connu leurs proches, leurs enfants qui sont un peu les nôtres, puis un beau jour c’est la séparation pour plusieurs raisons, certains parce qu’ils voulaient à tout prix être Premiers ministres, d’autres voulaient être le leader du parti, d’autres encore n’arrivaient pas à s’adapter aux structures du parti et ceux qui se croient des militants de première grade à cause de leurs qualifications académiques, et j’en passe. Mais, c’est la vie. Chacun choisit sa voie.

Mais je me réjouis qu’il y ait pas mal de nouvelles recrues au MMM : des jeunes et des femmes, des cadres, des syndicalistes, des professionnels, des travailleurs, des entrepreneurs, qui nous ont rejoints récemment. Et c’est bon signe. Vous avez eu l’occasion de voir des jeunes prendre la parole lors du congrès anniversaire organisé au Plaza en septembre dernier. Vous aurez l’occasion de voir d’autres jeunes pour la Journée internationale des Femmes. Et vous verrez de nouvelles militantes et de nouveaux militants en d’autres occasions.

Votre candidature pour les prochaines élections est-elle assurée ?
Jusqu’à preuve du contraire, je serai candidate aux prochaines élections générales. J’ai été élue une première fois en 1982, à Savanne/Rivière-Noire. Et ensuite, à partir de 1995 dans la circonscription numéro 1, Port-Louis Ouest /Grande-Rivière-Nord-Ouest. J’y suis restée jusqu’en 2014 avant d’être mutée au numéro 4 pour faire de la place à une candidate du PTr.

Depuis janvier 2015, je suis retournée à mes anciennes amours. Car je m’y sens chez moi. Au départ, c’était une circonscription de la classe ouvrière, des travailleurs du port, des ouvrières de la zone franche, des pêcheurs. Mais au fil des années, il y a eu une transformation de cette circonscription en termes de population avec l’annexion de Pointe-aux-Sables et de nouveaux morcellements accueillant des Mauriciens de la classe moyenne, dont le pouvoir d’achat se rétrécit comme une peau de chagrin de jour en jour.

Ce qui est intéressant, c’est que ceux qui ont grimpé à l’échelle sociale servent de “role models” aux autres et ils n’hésitent pas à aller vers le bas afin d’aider ces derniers pour les hisser vers le haut. C’est une magnifique leçon de solidarité et de coexistence ! Et c’est pourquoi je me dis qu’au lieu de créer des ghettos, la NHDC devrait se pencher sur des types de logement qui accueilleraient un mélange de familles dites aisées et d’autres familles dites défavorisées… Ce sera une véritable leçon de vie. Je ne crois pas que cela relève de l’utopie.

Est-il possible d’avoir suffisamment de femmes candidates pour les élections générales ?
Je sais que le leader se met en quatre pour y arriver. Je ne sais pas s’il va y arriver vu le nombre d’hommes qui étaient déjà là, qui ne sont pas moins compétents et qui souhaiteraient se porter candidats. Mais j’espère que nous y arriverons. Une législation dans ce sens nous faciliterait sa tâche.

Quels sont les nouveaux défis à relever à Maurice en ce qui concerne les femmes ?
Il est un fait que le MMM est le parti politique qui peut se vanter d’être le premier à sensibiliser tout un chacun au concept du féminisme à Maurice. Je me souviens encore d’une première manifestation des femmes à La Place du Quai en 1976 ou 1977. Pour la première fois de ma vie, j’ai vu des femmes de toutes les communautés et de toutes les couches sociales, des villes, des villages se côtoyer. C’était fantastique ! Des femmes professionnelles, des avocates et des employées de maison, des femmes artistes. Il ne faut pas oublier le rôle des militantes pendant la détention des hommes en 1971 comme prisonniers politiques.

Ces manifestations de femmes réclamant la libération des détenus avaient attiré l’attention de la Fédération internationale des droits de l’homme qui avait réclamé une enquête de l’Onu sur la situation à Maurice. Sheila Bappoo occupait la présidence du parti pendant cette sombre période de l’histoire politique mauricienne.

En 1982, le MMM au pouvoir créa le ministère des Droits de la Femme couplé au ministère de la Justice qui apporta une série d’amendements aux lois existantes qui ont permis l’émancipation des femmes dans les textes de lois. En 2003, alors que j’étais ministre, j’ai fait voter la Sex Discrimination Act avec pour mécanisme une “Sex Discrimination Division” au sein de la Human Rights Division. Chaque fois que le MMM s’est retrouvé au gouvernement, nous avons introduit des lois en faveur des femmes. Rappelez-vous, la Protection of Domestic Violence Act avait failli ne pas être votée, n’était-ce la forte intervention du MMM.

Aujourd’hui, il est encore plus nécessaire de parler des droits des femmes comme des droits humains. Il y a, chaque fois, de nouveaux défis. Il est long le chemin pour atteindre la parité et l’égalité complète. Les femmes continueront à se faire entendre pendant longtemps encore, mais ne se laisseront pas intimider. Nous n’avons pas l’intention de jeter l’éponge. Au MMM, nous y croyons fermement. D’ailleurs, nous avons dépoussiéré notre Constitution pour permettre la parité dans la représentativité au niveau des délégués régionaux au comité central. Désormais, chaque régional est représenté par une femme et un homme au comité central qui se réunit chaque quinzaine. Le MMM est constant dans ses actions, que nous soyons au gouvernement ou dans l’opposition.

Pour la Journée internationale des Femmes, le thème de la Journée sera : Les femmes pour une nouvelle île Maurice. Il faut une croissance économique, mais une croissance économique seule ne réduit pas la pauvreté si elle ne crée pas d’emploi ni n’améliore l’égalité. Il faut qu’elle soit durable et profite à tous. Il nous faut des stratégies de développement national. Il faut des moyens et des conditions de prise en charge de la formation des marginalisés, et la femme en fait partie, malheureusement. Nous voulons un processus de développement solidaire et durable. Nous voulons avoir accès aux services sociaux de qualité, à l’éducation, à la formation professionnelle et technique. Le développement ne peut être inclusif que si toutes les catégories de la population, quels que soient leur sexe, leur origine ethnique, leur âge ou leur statut social, contribuent à créer des opportunités, partagent les bénéfices du développement et participant à la prise de décision.

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