Arnaud Lagesse (Group CEO d’IBL Together) : « Pour la pension, la fiscalité n’est pas la solution »

« Il faut une fiscalité “stable” et “combative” pour attirer les investisseurs »

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Le premier patron de Maurice, Arnaud Lagesse, Group CEO d’IBL Together, conglomérat présent dans de multiples secteurs, gérant 280 compagnies et employant 26 900 collaborateurs, est bien placé pour analyser les priorités économiques du nouveau gouvernement issu des urnes le 7 novembre. Il évoque les défis que devra relever l’équipe en place, s’attarde notamment sur le secteur cannier qui est « moribond ». Concernant le paiement de la hausse de la pension de vieillesse, qui suscite l’inquiétude des observateurs, il prévient que la fiscalité n’est pas la solution. Malgré tout, le patron d’IBL Together demeure convaincu qu’« ensemble, nous pouvons réussir ».

Les élections sont derrière nous. Un nouveau gouvernement a été élu et, parallèlement, il y a une menace de récession sur l’économie mondiale. Quelles doivent être les priorités sur le plan économique ?
Je voudrais d’abord saluer le peuple mauricien qui sait, tous les cinq ans, faire fonctionner la démocratie et dans le respect des idéologies et des convictions. Les élections sont, en effet, derrière nous et le gouvernement qui se met en place aura fort à faire à tous les niveaux, et surtout au niveau économique car pas mal de voyants sont à l’orange et même au rouge – sans jeux de mots. Business Mauritius a sorti un “National Business Roadmap” qui met en exergue les priorités pour l’île Maurice et dont je partage la vision. Le futur gouvernement devra s’attaquer au déficit budgétaire tout en s’assurant d’une fiscalité stable et combative pour attirer les investisseurs, il devra s’atteler à stabiliser dans un premier temps et promouvoir ensuite les cinq piliers de l’économie tout en favorisant l’émergence de nouveaux relais de croissance, tels que les filières énergétiques et de l’environnement.
Pour revenir aux piliers existants, à savoir le sucre, le secteur manufacturier, le secteur financier, le tourisme et celui des ICT, ils ont tous besoin d’une attention spécifique. Le sucre doit se repenser et sans doute se pencher sur la valorisation de ses sous-produits, en particulier à son potentiel biomasse. Le secteur manufacturier doit investir dans l’innovation afin de se rendre plus compétitif, notamment vis-à-vis de son potentiel à l’exportation, tout en s’assurant de préserver son industrie locale pour le marché local. Nous devons viser à être le plus autonomes possible, comme sur les enjeux autour des productions alimentaire et énergétique. La libéralisation doit se faire en se souciant des répercussions sur le tissu local, l’emploi et la valeur ajoutée. Le secteur financier, qui a bonne presse par ailleurs auprès des partenaires internationaux, devrait avoir une vraie stratégie concernant l’Afrique, et plus spécifiquement les pays dont le potentiel de partenariat est réel.
Il y a, je crois, un plan stratégique qui a été fait par des consultants étrangers – McKinsey, il faudrait l’appliquer. Le secteur du tourisme est à un tournant. Maurice a des atouts, mais nous sommes loin, et notre environnement dans son sens le plus large se détériore et donc, nous devrions mettre en place un vrai “Master Plan” pour un tourisme “sustainable” et faire de Maurice/Rodrigues la référence en la matière. Il faut aussi, à mon avis, plancher sur une solution régionale de transport en rapprochant les diverses compagnies aériennes de la région. Quant au secteur des ICT, qui a accumulé du retard par rapport à nos voisins comme le Rwanda et le Kenya, il doit redémarrer en se basant sur de bonnes ressources humaines et des investissements dans les infrastructures afin que nous ayons une île Maurice connectée. Cela m’amène à penser que le prochain gouvernement devra se pencher rapidement sur une vraie stratégie “Human Capital” car la population est vieillissante, nous avons besoin de plus de talents, une éducation qui enseignera les métiers de demain, un cadre de l’emploi qui se devra d’être flexible et ouvert sur l’immigration.

La forte hausse de la pension de vieillesse, couplée au vieillissement de la population, va faire peser une pression énorme sur les finances publiques. Est-ce un choix judicieux pour le pays et comment le gouvernement devra-t-il financer cette forte hausse ?
Je pense que nous devrons respecter les personnes âgées et leur offrir une pension adéquate pour leur permettre de vivre correctement. Mais il ne faut pas le faire sans un calcul précis du coût de cette mesure, des moyens à mettre en œuvre pour les payer et je crains en effet sans une croissance plus agressive de l’économie, que ces divers coûts sociaux auront du mal à être absorbés par le secteur productif et le budget de l’État. Toucher à la fiscalité pour aider à payer la note serait une erreur car la tendance mondiale est à la baisse de la fiscalité et nos avantages comparatifs tendent à disparaître. Ne les accélérons pas… Il faut donc permettre et encourager l’entreprenariat, le secteur privé productif de faire encore mieux et plus pour aider à payer cette facture.

Vous venez d’évoquer le secteur sucrier et, jusqu’à l’heure, aucun plan de sauvetage valable n’est parvenu à apaiser les inquiétudes du secteur privé. Comment sauver le sucre ?
Le secteur cannier, l’un des cinq piliers de l’économie mauricienne, est moribond. Si nous voulons garder ce pan de l’économie en vie, il faut lui donner les moyens de se restructurer, d’avoir une approche flexible de sa main-d’œuvre, de valoriser sa biomasse avec un vrai cadre législatif et réfléchir à l’intégration verticale avec un pôle énergie – bagasse/biomasse (sans charbon), un pôle sucre à forte valeur ajoutée en éliminant le Syndicat des Sucres pour avoir une commercialisation directe afin de répondre aux marchés dynamiques, rapprocher capitalistiquement les divers outils industriels pour produire à moindre coût et valoriser le foncier – qui n’est pas ou ne sera plus sous cannes, avec un “Master Plan” immobilier et un plan d’utilisation des sols avec des cultures alternatives comme le chanvre par exemple.

Quelle est la recette magique pour relancer la croissance économique de manière générale, attirer des investissements et générer des emplois ?
J’ai envie de penser qu’il y a une recette magique mais laquelle ? Je voudrais que le prochain gouvernement puisse laisser le secteur privé opérer, que les lois du travail fassent aussi la part belle à la flexibilité, que Maurice soit ce vrai “hub” régional pour l’Afrique, que nous ayons une vraie gouvernance à toute épreuve tant pour le secteur privé que pour les SOI et les organismes de l’État, que la corruption, la drogue et les dérives diverses soient endiguées. Voilà comment nous allons performer, créer des emplois, payer les retraites et augmenter le PNB/habitant. J’ai confiance en l’île Maurice, dans les Mauriciens et ensemble nous pouvons réussir.

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