Arvin Boolell (leader de l’opposition) : « Nous sommes dans une situation économique apocalyptique »

Notre invité de cette semaine est Arvin Boolell, le leader de l’opposition parlementaire. Dans cette interview, réalisée mercredi soir, il répond justement aux critiques sur son style d’occuper le poste de leader de l’opposition que certains trouvent « mou », « faible » et parfois trop protocolaire. Dans la deuxième partie de l’interview, Arvin Boolell répond à des questions sur les mesures économiques prises par le gouvernement pour faire face à la crise.

- Publicité -

Votre style d’opposition « responsable », apprécié par le gouvernement, est loin de faire l’unanimité au sein de l’opposition, où on aurait préféré plus de fermeté et d’efficacité et moins de respect du protocole. Avez-vous conscience du mécontentement qui existe dans l’opposition par rapport à votre comportement ?

– Ceux qui sont mécontents ont le droit de l’être et tous les leaders de l’opposition n’ont pas été épargnés par la critique. Je suis devenu leader de l’opposition dans des circonstances particulières, sans précédent. Maurice se retrouvant dans une urgence sanitaire qui est en train de se transformer en crise économique et psychosociale, je ne peux agir de façon irresponsable. J’ai agi comme un patriote, je suis à l’écoute, accessible et accepte, sans amertume, les critiques. Est-ce que dans les circonstances actuelles je ne dois pas placer les intérêts du pays au-dessus des intérêts partisans ?

Êtes-vous conscient que le gouvernement se sert de vous en rendant publiques vos rencontres avec le Premier ministre, le président de la République et le Speaker quand cela sert ses intérêts, d’une part. Et que de l’autre, il envoie la MBC vous agresser et fait diffuser cette séquence à la télévision quand ça l’arrange ? Est-ce que vous êtes conscient que le gouvernement se sert de vous en augmentant ainsi les critiques de l’opposition ?

– Je suis conscient de mes responsabilités et n’agis pas d’après l’agenda du gouvernement. Moi, je fais mon travail, si le gouvernement veut essayer de se servir de moi c’est son affaire, mais les Mauriciens ne sont pas bêtes. J’ai été le porte-parole de tous ceux qui ont été vulnérables pendant la période de confinement à Maurice comme à l’étranger. J’ai été une courroie de transmission pendant cette période et j’ai agi dans l’intérêt du grand public et de la nation mauricienne. Je ne roule pour personne, mais pour l’intérêt du pays.

On vous reproche aussi votre silence sur le DG de la MBC

– J’ai dit, je ne sais combien de fois, que la MBC est un outil de propagande spécialisé dans le « deep fake news » en ce qui concerne l’opposition. Est-ce que vous pensez que l’actuel DG adjoint, qui agit comme directeur, a l’étoffe, l’épaisseur nécessaire pour qu’on le critique ? Tout le monde ne mérite pas d’être critiqué.

On ne vous a pas entendu réagir quand quatre députés du PTr ont écrit au Premier ministre pour lui demander d’autoriser des prières dans les mosquées pour la fin du ramadan

– Les signataires ont discuté du contenu de la lettre avec moi avant de l’envoyer. Je leur ai dit que nous devions respecter les règles sanitaires dictées par l’Organisation mondiale de la santé dans le cadre de la pandémie.

Sur son blog, le député PMSD Adrien Duval a écrit : « Il faut maintenant un leadership fort dans l’opposition » et vous demande « de faire un U-turn » dans votre manière de vous comporter. Que lui répondez-vous ?

– Que je n’ai aucun U-turn à faire. J’invite M. Duval à continuer ses critiques. Quand j’avais son âge, j’étais moi aussi fougueux et faisais des déclarations intempestives. À tel point que parfois, mon père, sir Satcam, me rappelait à l’ordre.

Vous êtes en train de dire que Xavier-Luc Duval devrait ramener à l’ordre son fils, Adrien ?

– Absolument pas ! Je dis simplement que j’ai agi dans l’intérêt du pays et celui de l’opposition, et que je n’ai aucun regret de l’avoir fait. Il y a certainement room for improvement dans ma manière d’agir, car je ne suis qu’un être humain, mais je considère que je fais du mieux possible mon travail dans les circonstances exceptionnelles que nous subissons. Je ne veux pas me comparer aux autres : chacun a son style, sa façon de faire. Mon style est différent, il est marqué par une certaine forme de politesse et d’élégance, qu’il ne faut pas confondre avec de la faiblesse.

Est-ce que votre leader de parti, Navin Ramgoolam, est d’accord avec votre style de leader de l’opposition ?

– Je ne l’ai jamais entendu se plaindre publiquement de ma manière de faire. Je suis en dialogue avec lui et il sait quand je vais rencontrer le PM ou le président, et il lui arrive même de me donner des conseils sur la marche à suivre.

Vous vous rendez compte, tout de même, que l’on dit que vous êtes trop mou, faible, trop poli.

– Je suis un leader de l’opposition qui fait son travail sans faiblesse ou mollesse, mais avec responsabilité. Et à ceux qui expriment leur mécontentement, je dis qu’ils ont le droit de le faire, car nous sommes dans un État démocratique. Je suis critiqué certes, mais j’ai aussi reçu beaucoup de félicitations sur ma façon de faire. L’opposition ne se juge pas sur son agressivité, mais sur le travail accompli, et à ce niveau, j’estime avoir fait ce qu’il fallait. C’est moi qui ai insisté, dans une lettre au Premier ministre, pour que le Parlement soit rappelé parce qu’un pays ne peut être dirigé par des “regulations”. Dans le scandale Air Mauritius, et en dépit du fait qu’on ne peut pas poser des questions parlementaires sur les compagnies où l’État a des intérêts et qui sont cotées en bourse, c’est moi qui ai remis en cause les administrateurs nommés de Grant Thorton en raison d’un énorme conflit d’intérêts. Le public voit comment, quand une question spécifique est posée au Parlement, le ministre concerné fait le tour de Babylone avant d’y répondre sans que le Speaker n’intervienne pour le rappeler à l’ordre.

Justement, l’opposition se fait ramasser quand le Parlement se réunit — jamais le mardi — et semble perdue, désorganisée.

– Comment pouvez-vous parler d’opposition désorganisée quand j’ai réussi à amener ensemble Paul Bérenger et Xavier Luc Duval ? Qui vous dit qu’il n’y a pas de coordination entre les Whips des partis de l’opposition ? Qui a demandé que ce soit Paul Bérenger qui soit le dernier orateur de l’opposition sur les deux projets de loi ? Comme vous le savez, l’opposition ne peut pas questionner le gouvernement au Parlement du fait que les séances du mardi n’ont pas lieu. La population s’attend à entendre plus les députés de l’opposition, mais en raison du confinement et des subterfuges de la majorité, encouragée par le Speaker, ce n’est pas possible. Malgré tout, je suis satisfait de la performance de l’opposition au Parlement en raison du fait que tout est fait pour que ses membres ne puissent pas s’exprimer en toute liberté. Il y a eu des interventions solides pendant les courts débats sur les deux dernières lois. Ce n’est pas moi qui décide comment doivent se dérouler les travaux parlementaires, c’est le Speaker qui en a la responsabilité. Le Speaker qui, on le voit à la télévision, entend ce qu’il veut ou souhaite entendre. Les ministres et intervenants du gouvernement qui font des remarques désobligeantes sur l’opposition ne sont pas rappelés à l’ordre.

Changeons de sujet. Pourquoi avez-vous interpellé publiquement Jocelyn Grégoire la semaine dernière ?

– Tout simplement parce qu’il a soutenu, participé et animé la campagne de l’Alliance Morisien aux dernières élections, tout comme M. Dulthumun et d’autres responsables de groupes socioculturels. Quand le père Grégoire a fait campagne pour l’Alliance Morisien, il n’avait pas dit aux Mauriciens que le gouvernement allait venir avec des lois dangereuses. Je voulais lui demander de réagir sur les flagrantes violations des droits humains dans les deux lois qui comportent des pouvoirs arbitraires, lui qui prêche la justice, la charité et le partage. Le Père Grégoire a beaucoup interpellé les politiciens, surtout ceux de l’opposition sur leurs positions pendant la campagne. Je n’ai fait que lui rendre la monnaie de sa pièce en soulignant son silence face aux lois antitravailleurs et ti-dimounn qui viennent d’être votées.

Des forces vives et des groupements de citoyens annoncent qu’ils vont organiser une manifestation contre les deux nouvelles lois et demander la démission du président de la République, qui a ratifié ces lois à une vitesse TGV. Est-ce que vous allez soutenir cette démarche ?

– Mais évidemment puisque mon action va en ce sens, d’autant plus que je suis en contact avec les syndicats et les forces vives. Mais il faut une concertation pour mettre en place cette manifestation.

Vous réclamez, vous aussi, la démission du président de la République ?

– Ce qui m’agace avec le président de la République, c’est qu’il agit plus comme porte-parole du gouvernement que comme garant de la Constitution. Cela s’est produit quand j’ai fait appel à lui au nom des Mauriciens bloqués à l’étranger qui trouvaient qu’ils étaient traités comme des citoyens de seconde catégorie.

Sérieusement, vous vous attendiez à ce que le président de la République refuse de donner son “assent” aux deux lois que le gouvernement vient de faire voter ?!

– Je ne suis pas là pour porter des jugements sur le comportement du président de la République. Je dis tout simplement qu’il est le garant de la Constitution et qu’il est de son devoir d’attirer l’attention du gouvernement sur les doléances des citoyens, comme ceux qui étaient et sont encore dans pas mal de cas bloqués à l’étranger. Et ceux qui redoutent les lois qu’on vient de passer.

Le gouvernement attribue le classement de Maurice sur la liste noire des pays qui ne respectent pas les règles de bonne gouvernance financière de l’Union européenne à son prédécesseur, le gouvernement PTr-PMSD. Votre réaction ?

– Les Mauriciens sont fatigués d’entendre ce refrain usé, cette autre version de pa mwa sa, li sa si caractéristique du MSM père et fils. Le précédent gouvernement en poste depuis 2014 c’est celui du MSM. Et le ministre des Finances qui aurait dû veiller à ce que Maurice respecte les règlements financiers de l’Union européenne, qu’elle avait pourtant ratifiés, était un certain Pravind Kumar Jugnauth ! Mais remettons les choses en perspective et posons quelques questions : le système d’évaluation de l’Union européenne a été mis en place à la fin de 2014 quand le MSM est arrivé au gouvernement. C’était donc à lui de s’assurer que le système qu’il avait accepté soit mis en pratique, ce qu’il n’a pas fait et ce serait la responsabilité du gouvernement d’avant 2014 ? Qui, depuis cette date, a accepté l’arrivée à Maurice de Quatum Global ? Qui a accepté l’arrivée de Sobrinho, accueilli avec tapis rouge à Maurice ? Qui a fait voter des amendements au Finance Bill pour donner le pouvoir à la FSC d’attribuer des licences aux banques d’investissements ? Est-ce moi qui ai regardé Sobrinho dans les yeux avant de lui donner un certificat de moralité ?

Le ministre du Secteur financier annonce que le gouvernement a entrepris une action diplomatique pour faire retirer Maurice de cette liste. Il annonce que nous avons jusqu’au mois d’octobre pour le faire.

– Il ne connaît pas le dossier et raconte n’importe quoi. Maurice est sur la liste grise de la SADC, ce qui nous place automatiquement sur la liste noire de l’Union européenne. Il ne suffira pas de demander qu’on nous retire de la liste, il faudra prendre des mesures fortes pour montrer que nous respectons les règlements que Maurice a ratifiés et n’a pas respectés, ce qui nous place dans cette situation aujourd’hui. Je ne suis pas sûr que la nomination, après des mois de vacances, d’un président à la FSC suffira comme bon signal.

Au niveau économique, quelle est votre analyse de la situation actuelle de Maurice ?

– Maurice se trouve actuellement dans une situation économique apocalyptique aggravée par les mesures gouvernementales. On puise des consolidated funds pour mener la lutte contre la pandémie et on enlève les plafonds financiers malgré les engagements pris avec le FMI. Il n’y aura pas de transparence sur les transactions entre la Banque de Maurice et le gouvernement. Et puis, il faut le dire haut et fort : la Banque de Maurice n’est pas l’ATM du gouvernement.

Que faudrait-il faire pour sortir de cette situation économique apocalyptique, selon vous ?

– La première des choses à faire serait d’instaurer le dialogue social, le dialogue politique et pas un dialogue entre le gouvernement et ses amis pour faire face à une crise économique dont on ne peut mesurer la gravité et la durée. Il faudrait mettre au point une stratégie pour faire face à l’ensemble de la situation et non pas des mesures à gauche et à droite, comme c’est le cas. Il faut mettre au point une politique pour produire ce que nous mangeons, pour moins dépendre de l’étranger en libérant les terres. Il faut tout remettre en question, faire appel à tous les acteurs pour trouver des solutions et non pas continuer comme business as usual comme c’est le cas actuellement. Il faut envoyer au pays des signaux forts sur la volonté du gouvernement de faire face à la crise. Est-ce un signal fort de nommer comme administrateur à Air Mauritius quelqu’un qui a un conflit d’intérêts manifeste avec le job qu’on lui a confié ?

Selon vous, les mesures annoncées par le gouvernement ne sont-elles pas suffisantes ?

– Elles sont non seulement insuffisantes, mais ne font pas partie d’un ensemble, ne sont pas détaillées secteur par secteur et manquent de transparence. Avez-vous entendu parler de prévision, de durée, de catégories à venir en aide, de prêts avec remboursement ? Au lieu du dialogue social, si nécessaire en temps de crise, nous avons droit au Parlement à la tyrannie du nombre, encore que ce nombre soit vraiment réduit si on se souvient du nombre d’électeurs ayant voté pour ce gouvernement. Quand le Dr Ramgoolam était au pouvoir, combien de fois sur des questions importantes concernant le pays n’a-t-il pas écouté et accepté des amendements de l’opposition. Combien de fois n’a-t-il pas accepté des amendements proposés par Bérenger et Collendavelloo, alors que ce dernier était encore au MMM. C’est le ça le dialogue politique dans l’intérêt de la nation.

l Après le tableau apocalyptique que vous venez de brosser, que faut-il attendre du budget qui sera présenté dans quelques jours ?

– Je crois que malgré la crise, le gouvernement va continuer sur sa politique de dépenses tous azimuts aux dépens du social et de l’avenir du pays. Tout ce qui l’intéresse c’est de marquer des points politiques sans s’occuper de ce qui va se passer demain. Pour moi, la devise de ce gouvernement devrait être « après moi le déluge ». C’est, au niveau fiscal et monétaire, un gouvernement irresponsable qui mène le pays vers une voie suicidaire. Le ministre des Finances annonçait que nous avons 11 semaines de réserves en termes de devises étrangères. Mais des documents du FMI disent que nous n’avons que 7 milliards de dollars américains de réserves alors que nous aurions dû en avoir au moins 20 milliards. La majeure partie de ces réserves viennent du Global Business, mais en raison du manque de réserves, du manque d’indépendance de la Banque de Maurice par rapport au gouvernement et la possibilité que des capitaux soient retirés de Maurice à cause de sa place sur la liste de l’Union européenne, la roupie va déprécier et attaquer négativement la balance de paiement et détériorer davantage la situation économique. Nous avons affaire à un gouvernement dangereux qui peut tout faire pour rester au pouvoir.

l Sur quoi vous appuyez-vous pour dire ça ?

– Posez-vous la question de savoir pourquoi la date du déconfinement n’est pas définie ? Pourquoi, en dépit du fait qu’il n’y a pas eu de nouveau cas de coronavirus depuis plus de trois semaines, le couvre-feu est maintenu ? Pourquoi le Premier ministre a désormais le pouvoir de décider ce qu’est une maladie infectieuse à la place du ministre de la Santé ? Ces règlements, ces décisions confirment que le gouvernement sait qu’il n’a pas la légitimité nécessaire. Il a été élu grâce au système électoral qui, parfois, donne une légitimité à un gouvernement qui n’a pas le soutien populaire du peuple. Je siège au Parlement depuis des années et jamais au grand jamais je n’ai vu un gouvernement reposant sur moins de 44% de l’électorat.

l Vous parlez d’un système électoral que vous vous êtes bien gardé, comme tous les autres politiciens, de modifier quand vous étiez au pouvoir

– C’est vrai que nous n’avons pas modifié et amendé certaines lois, ce qui nous aurait évité de nous retrouver dans la situation actuelle. Mais il n’y a pas que les politiciens et les partis politiques, le peuple mauricien aussi a sa responsabilité dans tout cela. Mais pour le moment, il faut un dialogue basé sur les réalités de la crise pour permettre au pays de faire face à la situation. Au lieu de cela, le gouvernement est en train de suivre les conseils de Business Mauritius donnant les pleins pouvoirs aux employeurs pour renvoyer un employé — en raison des circonstances exceptionnelles — avec seulement un mois de salaire comme compensation et pour le réemployer plus tard avec de nouvelles conditions. C’est un prétexte pour des licenciements massifs. C’est exactement ce qu’on essaye de faire à Air Mauritius et tout cela au mépris des droits acquis par les travailleurs, après de longues luttes syndicales. Quand elle sera appliquée, cette proposition de Business Mauritius va provoquer plus que des tensions sociales dans le pays, car les travailleurs ne vont pas laisser rayer d’un trait de plume leurs droits acquis qui sont inscrits dans les lois. Sur ces droits acquis, le Premier ministre et le ministre du Travail sont en train de ne pas respecter les engagements pris au Parlement en suivant les recommandations de Business Mauritius. Il faut poser la question : est-ce que c’est le gouvernement qui dirige le pays ou Business Mauritius ?

- Publicité -
EN CONTINU

l'édition du jour