ASPECTS DE LA CONSTITUTION: Le droit au silence prégnant (III)

J’ai écrit, dans Le Mauricien du lundi 18 et dans celui du mardi 19 septembre, comment la Cour anglo-saxonne s’est penchée sur la question du droit au silence telle qu’elle se pose à Sainte Lucie. Les hauts magistrats de Londres indiquent que ce n’est, en fait, qu’un amalgame d’immunités et non un droit essentiel, forgé au moment de la création de la Constitution. Voilà  Excalibur hors du rocher. Cette décision peut avoir des effets de ressac sur notre droit constitutionnel.
Récemment, dans le registre civil, le Conseil privé a renversé un jugement, tout aussi important, de notre cour d’appel. Les nobles anglais ont décrété que, dans une action en justice, nul n’a le droit d’ester sous les règles contractuelles et celles du quasi-délit en même temps.
Cela mérite que l’on s’y attarde, le temps d’une méditation, écrite. Mais, me direz-vous, le droit est si aride, voyez plutôt les lys des champs ou le sous-préfet au bois. Vous croyez? Alors, je termine ma réflexion initiale aujourd’hui.
Pour la présomption d’innocence, au paragraphe 45 du jugement, le chevalier anglais dit que c’est toujours à la poursuite de montrer ses preuves de telle façon qu’il y ait un cas prima facie contre l’accusé. Le fait de se voir obligé de dévoiler sa défense avant que la poursuite n’établisse ses faits n’atteint donc pas la présomption d’innocence. Il ajoute que la poursuite devra bâtir les éléments essentiels du crime au-delà du doute raisonnable de sorte que dans chaque cas il devra être déterminé si l’évidence est assez robuste pour exiger une réponse de la défense. Donc, selon lui, la présomption d’innocence demeure inviolée, par cette loi, d’autant plus que le juge d’instance a effectué un exercice statuant qu’il y a un cas à première vue contre l’accusé, ce qui est semblable à une enquête préliminaire.
Avec respect, encore et toujours, la notion de présomption d’innocence ne dépend pas de la force éventuelle des faits de l’affaire, car elle s’érige d’abord au moment de l’arrestation du suspect et ne s’éteint que lorsque le verdict de culpabilité est prononcé, s’il l’est, à la fin du procès. Elle habite et réside avec et dans l’accusé tout le long de l’affaire. Rien n’est de taille à la lui ravir pendant ce temps sans son consentement, id est, sauf s’il plaide coupable.
Cela est une garantie formelle de toute Constitution civilisée, sans quoi il n’y aurait plus besoin de procès. Ce serait être Louis XVI face à Robespierre. La culpabilité commence là où la présomption d’innocence choit. Cette dernière n’a rien à voir avec le poids des preuves qui exige ou non une réponse. Une est une question de droit, c’est la présomption d’innocence. Elle existe par elle-même, quasi acheiropoïète. L’autre est une question de fait, c’est le poids des preuves. Les hommes la créent. La présomption d’innocence exige le silence. Le besoin de donner une défense, décrite comme volontaire, et la conséquence de tirer des conclusions adverses, en cas de refus, détruisent cet ordre du silence. Mise, comme un axiome, la présomption d’innocence se dresse devant l’enquêteur et lui dit : « Pourquoi vous répondre puisque l’on est innocent? Et non, je réponds parce que je suis présumé innocent! »
Le chevalier anglais dit encore au paragraphe 53 du jugement que l’accusé ne peut être condamné simplement parce qu’il se tait, mais que lorsqu’il y a un cas de prime abord contre lui et qu’il aura été averti, avant, des conséquences légales de son silence, mais y persiste. Alors, le juge peut en tirer les inférences négatives.
Avec beaucoup de respect encore, un silence ne peut en aucun cas être le sujet de commentaire. Tout ce que le juge peut faire demeure de dire que les faits contre l’accusé ont leur poids, mais que, la présomption d’innocence demeurant, le jury jugera selon sa conscience. Un homme peut refuser de parler pour des raisons qui lui sont propres et certainement pas inavouables, bien que tues. Il ne peut être contraint à la parole. Cette dernière appartient à Celui Qui crée,  MonSeigneur SEUL. Telle est la vérité.
Un autre aspect de cette loi laisse songeur. Elle dit que nul ne sera condamné sur le seul fait de son silence. Si c’est ainsi, cette loi et tout argument y souscrivant portent en eux le cancer de leur trépas. Oui, pourquoi édicter que la défense doit être donnée d’avance, qu’à défaut les inférences en seront négatives, si après il est dit que le silence, seul, ne peut entraîner la condamnation ? En poésie, Baudelaire appelle cela l’héautontimérouménos.
Référence canadienne
Après les cousins Saint Luciens, regardons maintenant les cousins Cajuns plus haut dans l’océan Atlantique au Canada et ce que dit leur droit au sujet du silence de l’accusé face à la poursuite. C’est l’affaire R v Noble [1997] 1 SCR 874 . Il y arriva qu’un juge de première instance trouva que face à des éléments de preuve, d’un poids très fort, portés par la poursuite, l’accusé, qui resta silencieux, aurait dû avoir témoigné. Il le condamna. En appel devant la plus haute juridiction canadienne, un très grand juge, le haut magistrat Sopinka donnant l’opinion majoritaire de la cour dit ceci en se prononçant sur la question du droit au silence qui s’érigea inévitablement.
Il parle.
« SOPINKA J.  — This appeal concerns the evidentiary significance of the failure of the accused to testify at trial.  While it is plain that the accused has a right not to testify at trial, may the trier of fact consider this silence in arriving at its belief in guilt beyond a reasonable doubt?  In my view, the right to silence and the presumption of innocence preclude such a use of the silence of the accused by the trier of fact.  It is apparent in the present case that the trial judge did place independent weight on the accused’s failure to testify in reaching his belief in guilt beyond a reasonable doubt, which in my view constituted an error of law. »
Développant son argumentaire, le haut magistrat explique que la société répugne à obliger quiconque à s’incriminer. Il poursuit donc que le fait de se servir de son silence pour le trouver coupable est contraire à sa dignité, c’est-à-dire la dignité de l’Homme. Pour la présomption d’innocence aussi, ajoute-t-il, c’est à la poursuite d’établir au-delà du doute raisonnable la culpabilité de l’accusé qui n’a pas besoin de répondre tant que ce n’est pas fait. Devant le silence de l’accusé, les faits de la poursuite peuvent être vus comme incontestés.
Synthèse
Je préfère l’approche canadienne qui me semble plus humaine en sus d’être cartésienne. Autrefois, du temps du droit clair, il était dit, en Angleterre, que si le juge, en cour, ne pouvait poser une question à l’accusé, comment un policier enquêteur en aurait-il la prérogative! À mon sens, il est impossible de réduire au rang de simple immunité une cariatide telle la certitude de savoir que l’accusé peut rester silencieux, tant qu’il veut, sans craindre des représailles. L’édifice du droit constitutionnel en démocratie tient sur ces deux atlantes, le droit au silence, la présomption d’innocence.
Voilà! Mais deux mots encore:
Quand Pilate demande, en grec, à l’accusé Jésus :  ‘Ti estin alètheia?'(C’est quoi la vérité? ), ce dernier se tait. Faut-il en tirer des inférences négatives?
« Pablo mon ami qu’avons-nous permis?
L’ombre devant nous s’allonge s’allonge. »
Ferrat chantant Aragon.

- Publicité -
EN CONTINU

l'édition du jour

- Publicité -