ASSOCIATION DES PARENTS DES DÉFICIENTS AUDITIFS (APDA) : Tendre l’oreille aux tout-petits

Aneeraw Succaram, récemment décoré President’s Distinguished Service Medal (PDSM) est le fondateur de l’Association des parents des déficients auditifs (APDA). Depuis plus de 40 ans, cet ex-enseignant mène un combat pour offrir une éducation d’exception aux sourds et malentendants.
Fondateur de l’association des parents des déficients auditifs (APDA) depuis une vingtaine d’années, Aneeraw Succaram, 64 ans, passe la plupart de ses journées dans sa petite école qu’il a fondée, sise à Eau-coulée. Le sourire aux lèvres, l’ancien responsable du département de Special Education Needs (SEN) du ministère de l’Éducation nous raconte en toute simplicité son parcours avec la même passion d’il y a 44 ans. Alors jeune professeur et père d’un fils malentendant, il n’a cessé de lutter pour offrir une éducation à ces enfants qui sont souvent voués au mutisme et à l’échec scolaire.
Aneeraw Succaram est marié et père de deux garçons. Ses petits élèves, il les considère comme ses propres enfants qui ne manquent pas de le saluer vivement tous les matins en langage des signes. Nous le rencontrons dans son petit bureau aménagé à côté d’une des salles de classe de l’école spécialisée. “J’ai commencé comme professeur du primaire en 1974 à l’école de Cascavelle. Un métier qui me plaisait beaucoup”, nous dit-il, nostalgique. Brillant enseignant et toujours à l’écoute de ses premiers petits étudiants, ces derniers réussissent avec brio leurs examens du CPE.
Néanmoins survint un événement qui changera à jamais la vie du jeune homme. “Mon premier enfant né est atteint de surdité”, nous confie-t-il. “A l’époque, c’était un drame parce que nous n’étions pas informés, nous ne savions pas que faire. Bien sûr, aujourd’hui les choses ont changé !”
Début d’un long combat
Le jeune enseignant décide d’inscrire son jeune fils, alors âgé de 3 ans, à l’école des sourds de Beau-Bassin. Un véritable parcours du combattant pour ce jeune père. “J’habitais à Palma et auparavant il n’y avait pas de bus direct de chez moi à Beau-Bassin. Imaginez-vous voyager avec un enfant, qui plus est atteint de surdité, de Palma à Quatre-Bornes, puis à Beau-Bassin c’est vous dire que c’était vraiment très difficile”. Poussé par son instinct de père et sa passion d’enseigner, il décide de faire une demande auprès du ministère pour y travailler en 1983.
“Il n’y avait à l’époque pas de cours à ce sujet offerts à l’université, les professeurs faisaient comme ils le pouvaient. Mais moi, je sentais que nous devions avancer et fouiller un peu plus pour mieux comprendre ces enfants”, nous dit le fondateur d’APDA. Armé de patience, il écrit écrit à plusieurs organisations internationales et s’instruit davantage. “Le John Tracy Clinic des États-Unis m’a beaucoup aidé. Ils m’envoyaient des documents, des livres à lire par la poste. Grâce à eux, je me suis fait beaucoup d’amis à travers le monde, tous motivés par la même cause : celle d’offrir une éducation adaptée aux déficients auditifs.”
“Pourquoi pas la langue des signes ?”
Le jeune professeur comprend alors que la démutisation est une perte de temps, qu’il n’est pas nécessaire de se borner à faire prononcer quelques mots à un enfant qui au final ne connaît aucun développement cognitif. “Alors pourquoi pas la langue des signes ?”, s’est-il demandé il y a maintenant bien des années. “Les parents veulent que leurs enfants puissent parler, puissent dire ‘maman’ ou ‘papa’. Mais il ne faut pas oublier que notre enfant est différent et qu’il doit surmonter des épreuves qu’un autre enfant ne surmontera pas. Notre objectif était de lui permettre de s’exprimer, de réfléchir et de communiquer, et ce en contournant le problème d’audition et de mutisme. Les signes et les mimes étaient la seule solution.”
En 1990, Aneeraw Succaram épuisé de ne plus voir les choses bouger et l’esprit bouillonnant de nouvelles idées, décide de former une association, APDA, avec quelques parents. “Nous n’avions pas d’endroit pour nos réunions, nous faisions avec ce que nous avions”, raconte-t-il. “Je me souviens très clairement de ce jour, c’était le 20 juin 1990.” C’est à cette date qu’est née l’association. Vient alors la décision d’introduire la langue des signes. Conseillé par ses nombreux amis d’institutions internationales, Aneeraw Succaram s’attelle à faire adopter l’American Sign Language (ASL) dans les salles de classes. Et reçoit plusieurs manuels et livrets des institutions américaines spécialisées qu’il utilise pendant ses cours.
Les premiers jours d’école
En 1992, deux de ses étudiants de l’école des sourds de Beau-Bassin atteints de déficiences auditives réussissent tous leurs examens du CPE. Une réussite pour Aneeraw Succaram qui décide de redoubler d’efforts pour introduire le langage des signes à Maurice. “Il y avait de l’animation dans la classe, les enfants communiquaient entre eux. C’était extraordinaire !”, se souvient-il.
Il décide alors avec l’aide de quelques parents d’ouvrir une école, “un projet osé, difficile et compliqué”, dit-il en riant. Mais “l’éducation c’est tout. On devait donc tout faire pour permettre à nos enfants de progresser”. Aneeraw Succaram décide à cet effet d’adresser une lettre au ministre de l’Éducation de l’époque, le Prof Armoogum Parsuramen, qui accepte de les aider en marge de la décentralisation des institutions de l’île. APDA voit le jour à Curepipe et accueille dès le premier jour, 80 enfants.
Un combat permanent
Aneeraw Succaram laisse apparaître derrière son sourire et ses quelques rides, les marques de fatigue du long combat qu’il a dû mener en tant qu’enseignant et surtout en tant que père. “Aujourd’hui, nous sommes fiers de ce que nous avons accompli et de ce que nous voulons encore accomplir. Un de nos étudiants nous a représentés à Genève pour la United Nations Convention on the Rights of Persons with Disabilities. Il a pu s’exprimer couramment en ASL devant des gens et diplomates du monde entier”, nous dit-il fièrement.
Ce petit bout d’homme au très grand coeur ne compte pas s’arrêter là et continue ses correspondances avec ses amis de l’étranger, toujours à la recherche de nouvelles techniques pédagogiques et de nouveaux sponsors. “Je me suis entièrement investi dans cette cause. La communication est la clé de l’éducation et nous ferons tout pour donner l’occasion à ceux qui ne peuvent pas le faire, de le faire.”
Il est 10 heures, la cloche retentit pour le goûter. On entend quelques rires d’enfants dans la salle d’à côté. Aneeraw Succaram prête une oreille attentive à toutes ces petites têtes qu’il a vu passer devant lui, devenues pour la plupart de jeunes adultes, mariés avec des enfants C’est cela son combat : donner une seconde chance à ceux qui pensent que le bonheur n’appartient qu’aux autres

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