Begoto Miarom : « Il faut une position africaine commune contre le flux financier illicite »

Le Tchadien Begoto Miarom, président du Conseil consultatif de l’Union africaine (UA) sur la corruption, était à Maurice pour participer à une conférence régionale organisée par l’ICAC. Dans l’entretien qu’il a accordé au Mauricien, il aborde la problématique des flux financiers illicites qui freinent le développement du continent.

- Publicité -

Il dit ainsi souhaiter une « position africaine commune » pour le recouvrement des fonds logés à l’extérieur et plaide pour des échanges d’informations entre les agences anti-corruption et les services de renseignements financiers. De même, il dit suivre de près le scandale impliquant l’homme d’affaires angolais Alvaro Sobrinho à Maurice.

Quelles sont les retombées de la conférence régionale contre la corruption à laquelle vous avez assisté à Maurice cette semaine ?
Cette conférence organisée par l’ICAC, avec l’appui de la Banque africaine de développement, a donné la possibilité aux agences anti-corruption et aux agences de renseignements financiers de discuter de la possibilité d’interagir dans leur domaine respectif, notamment en ce qui concerne la lutte contre la corruption et le blanchiment d’argent. De part et d’autre, on a pu étudier la possibilité d’établir une collaboration pérenne pour qu’il y ait un partage d’information. De voir comment une agence nationale anti-corruption et un service de renseignements financiers peuvent partager des informations. De même, nous avons réfléchi sur la collaboration au niveau régional et international. C’est la première activité de ce genre à laquelle nous participons ainsi qu’une des premières initiatives de cette envergure en Afrique, sauf erreur de ma part. Tout le crédit est à l’ICAC et au gouvernement mauricien. Nous espérons que d’autres expériences similaires pourront être organisées à l’avenir afin d’assurer le suivi et de constater l’effectivité de cette coopération.

L’Attorney General, Maneesh Gobin, a évoqué justement certains obstacles dans nos lois qui empêchent cet échange d’informations. Avez-vous eu l’occasion de vous pencher sur cette problématique ?
Comme vous le savez, c’est le processus normal d’adoption des textes. Lorsqu’une loi ne permet pas le partage d’informations, on envisage tout simplement de l’amender. Le processus de révision des normes internes dépend d’un pays à un autre. Ce qui est sûr, c’est que nous, au niveau continental, nous allons travailler dessus. Mais nous rappelons qu’en tant qu’organisation internationale, tout processus d’amendement ne peut être initié que par un Etat. Nous allons travailler avec l’Attorney General pour voir comment nous pouvons l’accompagner dans ce processus en ce qui concerne le partage d’informations.

2018 marque aussi l’année contre la corruption en Afrique. Qu’est-ce qui est fait concrètement ?
La conférence des chefs d’Etat a déclaré 2018 « année africaine contre la corruption ». Ils l’ont placée sous le thème “vaincre la corruption, une option viable pour la transformation de l’Afrique”. Comme vous le savez, la corruption freine le développement de notre continent. Il y a des activités phares qui ont été envisagées et pour lequel la disponibilité du champion de l’année, en l’occurrence le président de la République fédérale du Nigeria, Muhammadu Buhari, était requise.

Nous avons des activités déclinées tout au long de l’année. La première sera placée sous le parrainage du président du Nigeria. Ce sera le congrès continental des jeunes sur la lutte contre la corruption, qui se tiendra en juillet à Abuja, au Nigeria. Les jeunes de 55 pays du continent seront invités à discuter du rôle qu’ils peuvent jouer dans la lutte contre la corruption, mais également parler de la sensibilisation, de la prévention qu’il faut faire pour combattre ce fléau. Pourquoi la jeunesse ? On part du principe que la jeunesse est l’avenir et qu’en inculquant le devoir de la redevabilité et de l’intégrité, nous pourrons avoir de futurs leaders à même de mener une lutte contre la corruption.

La deuxième activité sera la célébration de la Journée africaine de lutte contre la corruption, le 11 juillet. Cette journée marquera la volonté des pays africains à s’engager dans la lutte contre la corruption. Par ailleurs, nous aurons également le “Dialogue annuel des autorités anti-corruption”. Il s’agit d’une plateforme devant permettre à toutes les structures nationales de lutte contre la corruption de faire le bilan. 2018 marque également les 15 ans de la Convention de l’UA pour la lutte contre la corruption.

Qu’est-ce qui a été fait en 15 ans, qu’est-ce qui reste à faire ? Qu’elles sont les difficultés qui ont été rencontrées ? Quels sont les points sur lesquels nous pouvons mener notre combat ou accentuer notre engagement ?
Nous envisageons également un dialogue de haut niveau, qui se tiendra en novembre probablement, et qui réunira d’éminentes personnalités de tous bords, de profils différents, afin de lutter contre la corruption en Afrique, et également se prononcer sur le flux financier illicite. Eventuellement, pouvoir réfléchir sur une position africaine commune en ce qui concerne le recouvrement des avoirs logés à l’extérieur. Autrement, nous pouvons également parler de l’étude sur les bonnes pratiques en matière de lutte contre la corruption en Afrique.

Vous avez parlé des 15 ans de la Convention, mais en même temps on note qu’après tout ce temps, l’Afrique ne compte que cinq pays ayant dépassé le score de 50 sur 100 dans le classement de Transparency International. Peut-on parler d’échec ou d’obstacles ?
D’échec, non. Car 15 ans après l’adoption de la Convention, nous avons 39 pays qui l’ont déjà ratifiée. Les questions touchant à la problématique de la corruption sont, comme vous le savez, assez épineuses. Le processus de ratification de normes internationales dépend d’un Etat à un autre. Au conseil, nous avons la mission d’encourager les Etats à suivre le processus de ratification le plus rapidement possible. Nous ne pouvons pas imposer un calendrier à un Etat. Dans le cadre de cette année, spécifiquement sous le leadership du champion 2018, c’est de pouvoir atteindre une ratification universelle. Par cela, nous entendons qu’au plus tard le 31 décembre 2018, les autres Etats qui n’ont pas encore ratifié la convention puissent le faire. Nous sommes en train de réfléchir à soumettre un processus de signatures et d’engagement pour tous les Etats n’ayant pas ratifié la Convention au prochain sommet de l’UA. Nous avions mis à profit notre séjour à Maurice afin d’échanger avec les autorités.

Nous sommes également très honorés que le gouvernement mauricien s’apprête à déposer ses instruments de ratification. Ce sera le deuxième pays à le faire cette année. Maurice sera ainsi le 40e Etat à ratifier la Convention. Nous voulons saisir cette opportunité pour féliciter le gouvernement mauricien d’avoir franchi le cap et de réitérer notre disponibilité à travailler avec le gouvernement mauricien sur les points où l’île Maurice est avant-gardiste dans la lutte contre la corruption. C’est une lutte de longue haleine, c’est un processus assez long. Nous espérons qu’avant la fin de l’année, tous les Etats s’engageront à déposer leurs instruments de ratification. Mais nous sommes conscients que le processus de ratification diffère d’un Etat à un autre.

En parlant de Maurice, vous êtes sans doute au courant que le sommet de l’Etat a été secoué par une affaire de corruption impliquant un homme d’affaires angolais. Est-ce que le conseil consultatif de l’UA s’intéresse à cette affaire ?
Vous parlez effectivement d’une procédure interne et vous comprendrez qu’en tant que conseil consultatif de l’UA, nous ne pouvons nous en mêler. Nous suivons l’évolution des cas de corruption dans les différents Etats mais je ne peux en dire plus, étant donné les procédures légales en cours.

Le rapport 2017 d’Amnesty International fait le lien entre le niveau de corruption, la défense de la liberté des journalistes et l’engagement de la société civile. Comment l’UA peut-elle encourager ses membres à faciliter l’accès à l’information ?
Nous avons déjà au niveau de l’UA des textes relatifs à la charte sur les élections et la bonne gouvernance. Ces textes font référence également à l’accès à l’information. Les Etats sont encouragés à ratifier les conventions de l’UA et à les implémenter au niveau national. Comme vous le savez, le degré de mise en œuvre des conventions dépend d’un Etat à un autre. La mise à disposition des informations dépend également des législations internes. Dans certains pays, l’accès à l’information publique est plus facile, cependant il reste encadré. Il appartiendra maintenant, en fonction des pays, de pouvoir, pour la presse, respecter les règles en vigueur et assurer les procédures d’accès à l’information.

Il a été constaté que l’Afrique perd USD 148 Mds annuellement à cause de la corruption. Comment l’UA réagit-elle face à cela ?
C’est ce qu’on appelle le rapport Mbeki sur les flux financiers illicites. Nous tenons à mettre à profit l’année africaine de la lutte contre la corruption pour pouvoir adopter une position commune forte en la matière et nous sommes en train de réfléchir sur les propositions à soumettre aux chefs d’Etat. Cette position commune leur permettra d’affirmer une volonté politique forte sur les procédures à suivre pour pouvoir recouvrir ces flux, ces fonds qui sont déjà l’extérieur, mais également pour mettre un terme à ce fléau. C’est un peu ce qui explique d’ailleurs le thème de l’année, soit comment il faudra mettre un terme à la corruption pour faciliter le développement. C’est d’abord une volonté politique forte qui doit être manifestée. C’est un engagement des Etats, mais également de toutes les parties prenantes, y compris de la société civile.

A une époque où l’on parle d’opportunités d’investissement en Afrique, comment s’assurer que le continent ne devienne pas un lieu où l’on vient blanchir l’argent sale ?
Il faudra adopter des règles, des mesures contraignantes en la matière. Ce qui justifie également la conférence que nous avons eue à Maurice cette semaine. Les procédures mises en place par la Banque africaine de développement concourent beaucoup à cela. Il faut voir maintenant au niveau de nos législations internes quelles sont les normes adoptées pour s’assurer que les investissements qui viennent de l’extérieur ne sont pas des voies détournées pour un blanchiment des capitaux. La question, elle, est posée, et les réflexions sont faites pour tenir compte de tout cela. C’est également le travail que mène la Banque africaine de développement.

Le paradoxe, c’est que souvent, pour attirer l’investissement étranger, les pays procèdent à un certain nombre de dérèglementation…
Oui. C’est pour cela que nous disons que la réflexion doit être commune. L’engagement doit se faire au niveau de tous les Etats, même si le niveau de développement diffère. Peut-être également que les origines des fonds ne sont pas facilement traçables. C’est le travail que mènent les services de renseignements financiers. La coopération qui doit être mise sur pied avec ces services et les structures nationales anti-corruption permettra une traçabilité des fonds investis sur notre continent.

L’enquête que mènent les autorités mauriciennes sur Quantum Global, société d’investissement en Afrique, vous interpelle-t-elle ?
Procédures judiciaires oblige, une nouvelle fois, je ne peux me prononcer sur cette affaire. Le rôle de notre institution est d’accompagner les Etats dans la prise de mesures internes en matière de lutte contre la corruption. Lorsque des cas sont détectés dans des Etats, nous suivons ces informations, mais nous ne nous impliquons pas dans les procédures. Cela ne relève pas de nos attributions. Mais quand les législations internes doivent être révisées pour combattre ce genre de problème, nous pouvons, en tant que conseil, mettre à la disposition de l’Etat l’expertise nécessaire pour atteindre ses objectifs.

Parlez-nous du Dialogue africain, qui se tiendra en juin…
Nous travaillons sur la dynamique de pouvoir tenir ce dialogue annuel des agences de la lutte contre la corruption. Nous allons, au cours de ce dialogue, revenir sur les activités que mènent les structures nationales anti-corruption. Nous en profiterons pour faire le bilan des 15 ans de la Convention. Nous souhaitons que les structures nationales puissent présenter les défis auxquels ils sont confrontés. Et voir comment nous pourrons nous inspirer de ces 15 années d’expérience pour pouvoir rectifier et amender ce qui est possible afin de dégager une stratégie commune et relever les défis qui se présentent à nous. L’objectif est clair : mettre un terme à la corruption sur notre continent afin de pouvoir favoriser le développement et permettre à nos populations de profiter des richesses de notre continent.

Le mot de la fin…
Nous remercions le gouvernement mauricien qui, à travers l’ICAC, a pris l’initiative d’organiser cette conférence. Nous pensons qu’avec l’entrée de Maurice dans la grande famille africaine de la lutte contre la corruption, d’autres activités similaires pourront être organisées à Port-Louis afin de permettre à d’autres pays africains de profiter de l’expérience et de l’expertise de Maurice en matière de prévention et de lutte contre la corruption.

- Publicité -
EN CONTINU

l'édition du jour