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Bimal Kabeeraj Rama – Les flutes enchantées

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Bimal Kabeeraj Rama – Les flutes enchantées

Quand Bimal Kabeeraj Rama, 55 ans, parle de flute, c’est aussi pour discuter des choses de la vie sur une note philosophique empreinte de sagesse et d’ouverture. Une quarantaine d’années de pratique et de recherche lui ont conféré une vision élargie des choses. Jouant pour faire entendre la voix de son âme, ses notes font voyager des émotions qui voguent sous formes de vibrations. Rencontré chez lui à Quatre-Bornes, il nous dévoile une partie de sa riche collection d’instruments et un pan de son histoire.

Le souffle poussé du bout des lèvres dans le bambou redonne vie à la grande flute que Bimal Kabeeraj Rama tient délicatement de ses deux mains. Les yeux fermés, le musicien réanime son instrument à travers le ballet de ses doigts, qui, d’instinct, savent où se poser et quelle pression exercée. Les premières notes de Kal ho na ho emplissent la pièce de la même onde de quiétude que le musicien aurait émise avec El Condor Passa, Larivier tanier ou une mélodie que lui aurait inspiré l’instant présent. Il n’y aurait eu, en apparence, rien de compliqué. Trois notes, quatre notes : “Plus simple est la musique, plus belle elle est”, dit-il. Le temps passé sur une note, l’ampleur du souffle, l’émotion transmise sont les éléments qui construisent la mélodie et qui déterminent son impact sur le joueur et son auditoire.

Qu’il soit doux, poétique, aigu, vigoureux : “ Le son de la flute est la voix de l’âme”, rappelle le flutiste. “C’est avant tout une affaire d’émotions, il s’agit de mes sentiments.” Le moment peut être festif, solennel, pieu, patriotique ; au flutiste de s’accorder pour ramener le public dans le thème et l’ambiance pour une communion qui passe par le son et les vibrations afin de connecter les âmes. Une part de magie dans sa musique, quelque chose de mystique quand il parle de son instrument, inévitablement l’envoûtement s’opère. La centaine de flutes qui constituent son univers sont définitivement enchantées.

Les liens sacrés.

Le niveau de conversation avec Bimal Rama atteint d’autres sommets quand il s’agit de discuter de musique et de flute. Une quarantaine d’année d’exploration permanente ont fait de lui un flutiste aguerri qui s’exprime avec l’intonation et la simplicité des sages. Jouant aussi au saxophone, au clavier, à la clarinette, à l’harmonium c’est pourtant la flute, dans ses différentes formes, qui reste son instrument de prédilection. “ Je ne sais pas si c’est l’instrument qui m’a choisi ou si c’est l’inverse. Disons que nous sommes tombés amoureux l’un de l’autre.” Les liens sont sacrés, la flute devenant une extension de sa personne quand il se met à jouer. Et, même quand il n’a pas d’instrument en main la mélodie continue dans sa tête.

Des années de pratique ont fait sa réputation dans le giron où évolue cet artiste qui a amplement mérité le droit d’être exposé et salué bien qu’il soit longtemps resté dans une certaine discrétion. Des apparitions à la télé, sur différentes scènes, dans le milieu hôtelier, pour des cérémonies privées, entre autres, l’ont aidé à se faire connaître. Mais, avant toute chose, le précise-t-il, la flute reste pour lui une passion. Un moment où il cherche avant tout à se faire plaisir. Un sentiment ensuite offert à ceux qui lui prêtent l’oreille.

La part mystique.

Cette part mystique se situe dès le début de sa rencontre avec la flute. Un instrument qu’il aurait peut être manié dans une précédente vie et qui s’est remis sur sa route durant son adolescence. Sans qu’il n’y comprenne quoique ce soit il s’était acheté une première flute basique quand il avait 15 ans comme pour répondre à un appel silencieux qui lui revenait constamment. “Je n’avais aucune notion de la musique, mais aussitôt que j’ai essayé j’ai commencé à jouer.  J’avais l’impression de réaliser quelque chose de profond. C’était un accomplissement qui me faisait ressentir des choses intenses sur lesquelles je ne pouvais mettre de mot.”

Les paroles n’étaient d’ailleurs pas nécessaires pour qu’il exprime la fascination que la flute exerçait sur lui dès le départ. Très vite son entourage nota son nouvel intérêt, et un conseiller du MGI qui l’avait observé l’encouragea à rejoindre cette institution pour s’initier à la théorie. La flute n’étant pas au programme il opta pour le violon : “Mais je n’avais pas la même attirance et cela me semblait difficile. Cependant, tout redevenait simple lorsque je transposai les principes que j’apprenais pour le violon sur ma flute.” Son initiation n’y fut pas de longue durée, il continua sa quête de lui-même tout en profitant des voyages qu’il était appelé à faire dans le cadre de son travail pour approfondir ses connaissances.

Le bambou venu d’Himalaya.

A la recherche d’un gourou pour l’accompagner dans son cheminement, il entreprit d’envoyer un airmail au Pandit Hariprasad Chaurasia, légende vivante et une des sommités dans la pratique du bansuri, la flute indienne en bambou. En guise de réponse, le destin permit aux deux hommes de se rencontrer à bord d’un avion. Bimal Rama reformula sa requête et fut invité à venir assister à l’enseignement du gourou à Mumbai. Là bas, l’un des principes rappelés est que la mélodie de la flute est avant tout une affaire de vibration qu’il fallait savoir émettre et ressentir. En guise d’enseignement le maître donna l’occasion au jeune mauricien de l’observer afin qu’il intègre à son tour les principes fondamentaux de cet instrument présent dans les livres sacrés et dans différents civilisations. Le parcours de Bimal Rama pouvait de là reprendre à travers des pas plus sûrs. Il fut suivi à Mumbai par le Pandit Malhar Rao Kulkarni sur les recommandations du Pandit Hariprasad Chaurasia lui avait offert sa flûte personnelle.

La grande flute qu’il tient entre les mains vient des bambous taillés au pied de l’Himalaya où les conditions sont idéales à leur prolifération. Les nœuds espacés de cette espèce, la finesse et la solidité des tiges les rendent idéales pour la fabrication des flutes qui se fait de manière artisanale. Mais la conception de chaque instrument fait appel à des règles strictes. D’où la nécessité que la conception soit réalisée par des professionnels maîtrisant cet art complexe du bout des doigts. Bimal Rama se procure ses bansuris auprès des artisans dédiés à Mumbai.

Ouvrant un grand sac noir, il dévoile une riche collection de flutes de différentes tailles et longueurs taillées et attachées selon le même principe. Chacun de ses instruments représente une note. De ce fait une émotion précise. Le choix de la flute, au moment de jouer, ne se fait jamais au hasard. Il revient au flutiste de savoir quoi transmettre à son auditoire de la première à la dernière note. Collectionnant des flutes de différentes origines, depuis peu il s’intéresse à un modèle transparent qui laisse paraître le vide. “On pourrait croire que ce sont des instruments similaires. Mais pour moi, ils ont chacun une personnalité qui leur est propre et qui convient à des moments précis.”

“ Tout cela peut paraître très simple, mais en fait c’est particulièrement compliqué”, le souligne-t-il. Parce que, comme il le fait ressortir, au contraire des guitares, des pianos et autres, la flute est de ces instruments silencieux auxquels il revient au musicien de lui insuffler du son, de la vie. Aucune formule toute faite pour garantir la réussite sinon une profonde communion avec l’instrument pour que la note et le ton soient justes que ce soit en solo ou dans des ensembles. Freelance pendant plusieurs années, Bimal Rama a aussi fait partie de différentes formations à des moments précis : “ La vie vous donne toujours l’occasion de rencontrer des gens qui cheminent le temps qu’il faut avec vous pour vous aider à avancer”, a-t-il compris tout en espérant léguer sa passion à ses fils Utthisht et Girishikhar.

Se décrivant comme étant avant tout Mauricien, Bimal Rama regrette la tendance trop commerciale qui dénature la musique locale depuis un bout de temps. “Ces musiques sont excitantes, mais pas transcendantes. Elles ne font pas passer les vibrations.”  A ce genre éphémère, lui préfère des choses qui expriment davantage notre authenticité. Ouvert sur les cultures et le monde, l’homme croit fermement aux principes du vivre ensemble et du partage. Des émotions nobles exprimées dans cette douce onde qui parfume l’air quand il laisse s’exprimer sa flute.