BLANCHIMENT | Liste noire de l’UE : La sortie de la « grey list » du GAFI en priorité

– Daniel Essoo (MBA) aux banques correspondantes : « Votre argent est en sécurité chez nous »

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La décision de placer Maurice sur la liste noire de l’Union européenne en matière de lutte contre le blanchiment d’argent continue de susciter des débats. Pour Vincent Degert, chef de la délégation de l’UE à Maurice, le pays fait cependant partie « des bons élèves ». Il s’exprimait lors d’une conférence organisée par la Chambre de commerce France/Maurice.

« Maurice a fait des progrès indéniables et fait partie des bons élèves, mais certaines faiblesses demeurent, notamment au niveau de l’échange d’informations », observe Vincent Degert. La priorité dans les prochaines semaines sera de convaincre le GAFI que le travail a été fait pour envisager un “de-listing” de la liste du Groupe d’action financière (GAFI), « qui serait un préalable pour le “delisting” de la liste de l’UE ». Vincent Degert dit que l’UE a eu un dialogue productif avec Maurice depuis un an afin de lever les obstacles et zones d’ombre. « Je souhaite aussi que sur la question de blanchiment nous puissions mettre cette affaire derrière nous le plus rapidement possible. »

Que faire alors ? Plusieurs choses. D’abord s’atteler au plan d’action du GAFI, qui comprend tout un ensemble de mesures pour adresser les faiblesses de Maurice (concernant les secteurs tels que la bijouterie, le jeu, profession légale et l’immobilier, notamment). « Il y a le problème du “beneficial ownership”, aussi les investigations en matière de blanchiment, les “non profit organisations” et les sanctions financières qui peuvent être liées au blanchiment. Les autorités mauriciennes doivent faire un suivi de ces mesures. L’UE donne assistance technique, mais le FMI et la BM doit aussi en fournir », suggère le chef de délégation de l’UE. Le hic, c’est que le plan d’action du GAFI s’étale sur 24 mois et qu’entre-temps, la réputation du pays risque d’être ternie et les impacts sur l’économie de se faire sentir…

D’où le souhait du gouvernement mauricien d’accélérer les choses et de raccourcir ce délai de 24 mois à 3 ou 4 mois, selon ce qui ressort d’une rencontre récente entre Vincent Degert et certains ministres. « J’ai rencontré les ministres Seeruttun et Bodha la semaine dernière. Nous avons travaillé sur la mise en place d’un dialogue régulier sur cette problématique. Il s’agit de clarifier les points de désaccords qu’on pourrait avoir et mettre en place un mécanisme de coordination de l’aide. Le plan d’action du GAFI est sur 24 mois, mais le gouvernement veut raccourcir ce délai sur 3 à 4 mois. C’est extrêmement ambitieux, en plus en période Covid. »

Quelles conséquences ce listing aura sur Maurice ?  Vincent Degert précise qu’il n’y a pas de sanctions attachées à ce “black listing”, mais se dit conscient que les conséquences seront d’abord sur l’aspect réputationnel, plus des conséquences opérationnelles et des conséquences sur la “due diligence”. « Les transactions entre l’Europe et Maurice seront sujettes à des contrôles accrus, mais les fonds d’aide ne sont pas remis en cause. Par contre, les fonds qui peuvent transiter par Maurice pour aller vers d’autres pays sont, eux, remis en question. On n’utilisera pas le “hub” mauricien pour faire transiter ces fonds. »

Daniel Essoo, CEO de la Mauritius Bankers Association, veut d’abord rassurer : « La notion d’opacité, c’est-à-dire que les gens peuvent venir cacher leur argent à Maurice, est absolument erronée. » Il explique que dès que l’UE a annoncé que Maurice figurerait sur la liste noire à partir d’octobre, un dialogue a été engagé avec les banques correspondantes afin de les rassurer : « Votre argent est en sécurité chez nous ! »

Il tient également à rassurer Vincent Degert, de l’UE, a l’effet que pour le secteur bancaire et le secteur financier à Maurice, la lutte contre les crimes financiers est une priorité. « On collabore avec les autorités et on partage sans l’ombre d’un doute l’aspiration d’éradiquer la criminalité financière. Les banques investissent énormément d’argent dans ce combat. Les banques mettent en place des logiciels pour détecter des transactions anormales, et retracer les paiements. Nous prenons la question très au sérieux. Concernant la liste noire, notre souhait c’est que toutes les initiatives soient prises au plus vite, car la santé financière du pays en dépend. »

Daniel Essoo semble également regretter que ce sont « des défaillances secondaires » qui aient entraîné le pays sur une liste dont l’impact « sera conséquent » pour Maurice, car « la majeure partie des transactions financières adhèrent aux normes ». Ce qui lui fait dire que « la perception ne reflète pas la réalité ». Le CEO de la Mauritius Bankers Association dit également que le “enhanced due diligence” implique un contrôle et une surveillance accrus, et que les délais de paiements risquent de s’étendre.

Par ailleurs, Daniel Essoo dit qu’il faut distinguer clairement la chose fiscale de la lutte contre le blanchiment d’argent sale, rappelant qu’à ce jour, Maurice n’apparaît sur aucune liste de paradis fiscaux. Il évoque également la question de “Beneficial ownership” : « Pour le gros des transactions, il y a des obligations très claires et l’identité du bénéficiaire est communiquée au niveau de l’enregistrement. Maurice est l’un des très rares pays à avoir de multiples niveaux de supervision. Notre système financier est extrêmement surveillé, mais dans le fond nous n’avons pas de problème systémique et les obligations légales sont déjà en place. » 

Par ailleurs, Vincent Degert a tenu à rappeler le contexte dans lequel la décision du 7 mai de l’UE a été prise. Ce n’est pas un fait nouveau, selon lui. Depuis une quarantaine d’années, il y a une volonté des États membres de l’UE et de la communauté internationale de mener une lutte contre les crimes à caractère fiscal, etc. « C’est une tendance lourde depuis 40 ans, face à la mondialisation. Il y a une attente de réponse des populations, de l’opinion publique. Face à cette volonté de durcir la lutte contre les crimes financiers, il y a aussi la créativité des contrevenants face aux règles financières, sur le plan du trafic de drogue, le braconnage, et du trafic d’êtres humains notamment. C’est une problématique globale, c’est un peu le jeu du chat et de la souris. »

Il a rappelé le « coup de semonce » de 2017 lorsque USD 20 milliards d’argent sale en provenance de Russie ont été transférées via plusieurs banques européennes. « Cela a amené les États membres à durcir la législation en matière de blanchiment. » Ainsi, l’UE s’est appuyée sur le GAFI – qui représente 39 pays –, qui passe en revue les forces et faiblesses des pays. Et malheureusement depuis fin février, Maurice a été épinglée par le GAFI, et est donc passée à la trappe, en se retrouvant sur la liste des pays qui représente des déficiences en matière de lutte contre le blanchiment. Rappelons que six pays sont sortis de la liste, « car ils ont rempli leurs obligations », et que l’UE a listé 12 nouveaux pays, dont Maurice.

Pour Vincent Degert, il ne faut pas être surpris ou étonné de cette décision de l’UE. « Cette affaire remonte loin, notamment depuis 2012, avec le premier rapport de l’Esaamlg. Il y a eu d’autres rapports par la suite, notamment en 2018. Mais il faut dire que depuis, Maurice a beaucoup progressé et amélioré son score sur les 18 derniers mois. Maurice a réalisé une performance non négligeable en améliorant son contexte législatif et structurel. Cela dit, il y a toujours un problème récurrent au niveau de la supervision. Certains secteurs ne sont toujours pas suffisamment réglementés, dont le jeu, la bijouterie, la profession légale et les investissements immobiliers. Et ces quatre secteurs sont considérés à hauts risques et insuffisamment réglementés. Il y a aussi l’absence d’investigations dans le domaine de la lutte contre le blanchiment, et aussi la problématique d’échange d’informations. »

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