BOTANIQUE: Bonnes et mauvaises surprises sur la montagne du Pouce

Les scientifiques Vincent Florens et Claudia Baider visitent régulièrement la montagne du Pouce depuis plusieurs mois pour y observer et recenser les espèces botaniques. Outre l’observation, le prélèvement d’échantillons et l’inventaire des espèces rares, leurs visites les amènent à prendre des initiatives pour que les espèces les plus précieuses ne soient ni envahies par leurs concurrentes exotiques et envahissantes, ni dévorées ou abîmées par quelques prédateurs. Cette montagne, qui est une des plus visitées de Maurice, réserve de bonnes et mauvaises surprises, de grands trésors et de graves déséquilibres. Visite générale le 28 octobre dernier, avant d’aborder des cas particuliers pendant plusieurs vendredis…
Une des premières étapes de l’ascension du Pouce en partant de Saint-Pierre consiste à observer les forêts qui couvrent Anse-Courtois, quand le regard ne se porte pas sur certains quartiers port-louisiens, qui se dessinent de plus en plus largement avec la montée en altitude. Une grande partie de cette zone est couverte de futaies d’eucalyptus, qui ont été plantés sans être finalement exploités.
Vincent Florens regrette que ces arbres soient venus inutilement remplacer la forêt indigène qui pousserait sinon en harmonie avec ce milieu et garantirait la diversité des espèces tout en préservant la fonctionnalité du système. « En effet, nous explique le scientifique, la dégradation de l’environnement ne se limite pas dans ce cas à une atteinte à la biodiversité… Une plantation d’eucalyptus à flanc de montagne tend, par exemple, à augmenter l’érosion des sols et à causer un assèchement du milieu, ce qui augmente le risque de feu de brousse, parmi d’autres déséquilibres de fonctionnement… »
Des îlots de forêt indigène luttent dans les autres parties boisées de la montagne du Pouce pour résister aux espèces exotiques qui ont tendance à proliférer abusivement. « Elles s’épanouissent presque surnaturellement car ces espèces introduites ont peu ou pas d’ennemis naturels, qui dans leur pays d’origine contribuent à garder leur nombre sous contrôle. De ce fait, leurs populations explosent, elles deviennent envahissantes et gomment inexorablement la diversité indigène, par compétition pour les ressources essentielles (lumière, eau), pour la remplacer par une poignée d’espèces hyper abondantes. Ces dernières remplissent aussi difficilement les fonctions de la végétation indigène d’origine, qui sont nombreuses… »
Elaeocarpus bojerii ou zoliv
La première portion du chemin que la plupart des randonneurs empruntent pour monter au sommet du Pouce en partant de Saint-Pierre, servait auparavant à l’acheminement du sucre vers Port-Louis. Il est d’ailleurs encore possible d’y observer, jusqu’à la bifurcation en direction de la ville, des traces d’aménagement pratiquées à l’époque pour carrosser cette route, qui est aussi suffisamment large pour accueillir des véhicules chargés. Au-delà de ce carrefour, le chemin devient un sentier jusqu’au sommet du Pouce.
Une fois sur le premier petit plateau, nous apercevons avec des jumelles sur une crête, deux plants d’une espèce particulièrement rare, l’Elaeocarpus bojerii, dont les fruits ont été enveloppés dans de petits sacs en toile. « Les singes, reprend Vincent Florens, ont la fâcheuse habitude de revenir régulièrement se nourrir dans le même arbre tant qu’ils le voit porter des fruits et jusqu’à ce qu’il n’y en ait plus… » Le fruit masqué n’est plus repérable par les macaques et peut ainsi arriver à maturité… Nos accompagnateurs ont pour l’heure retrouvé cinq plants de cet Elaeocarpus bojerii sur la montagne du Pouce.
Sur ce premier plateau qui se caractérise par une étendue herbeuse, nous avons à portée de main un arbre aussi rare que célèbre : le Pandanus pseudomontanus, une espèce de Vacoas non utilitaire, dont Joseph Guého a trouvé les plants en 1968. Ils mesuraient alors environ 1 m 50 de haut. Leur petite taille actuelle indique un dépérissement sous la pression d’autres plantes qui les étouffaient. Joseph Guého avait eu la chance de les voir fleurir, ce qui n’a pas été observé depuis… Mais les individus que nous avons vus en octobre, disposaient de plusieurs bombances à la base de leurs feuilles, ce qui augurait une floraison prochaine… qui peut être considérée comme un événement botanique !
Tambalacoque mutilé
Sur le sentier plus étroit que nous prenons entre les arbres indigènes, nous ne tardons pas à découvrir un Tambalacoque, arbre que le scientifique américain Stanley Temple avait postulé ne plus pouvoir se régénérer depuis la disparition du dodo… Il avançait qu’une digestion partielle des graines par notre Raphus cucullatus était indispensable à leur germination, ce qui s’est par la suite avéré inexact. Celui que nous découvrons est dans un état pitoyable, avec une partie du tronc pourrie et des marques de machette à environ cinquante centimètres du sol. Un repère a permis aux botanistes de constater que le diamètre de son tronc ne prend en moyenne que 0,2 mm par an, ce qui le classe parmi les arbres à croissance très lente.
Unique dans son genre, la liane Rousseau que nous découvrons plus loin sur un bois maigre (arbre endémique de Maurice et de La Réunion), a commencé sa floraison étalant au soleil de jolis pétales jaune d’or. Les deux espèces de Cylindrocline existant au monde sont endémiques de Maurice, de même que leur genre. La Cylindrocline commersonii n’est connue au monde que des environs immédiats du sommet de la montagne. L’autre, la Cylindrocline lorencei, connue auparavant à Plaine Champagne, est aujourd’hui considérée éteinte, puisque nul ne l’a vue depuis des décennies. Elle existe cependant en culture, quelques plants ayant été réintroduits en milieu naturel à Pétrin.
Sur le flanc est du sommet, se trouvent des plants de Nésocodon dont il n’existe qu’une seule espèce dans son genre au monde. Le fait que cette plante représente à la fois une espèce et un genre témoigne de la rareté de son patrimoine génétique et donc de l’impérieuse nécessité de la préserver par rapport aux espèces qui ont des « cousines » proches, comme par exemple l’Ébénier qui compte 12 espèces différentes à Maurice.
Le Nésocodon pousse également sur le Grand Peak dans la chaîne de montagnes de Moka, sur les parois des Cascades de Chamarel et aux Trois Mamelles. Il produit une très jolie fleur bleue. Son bois plutôt mou et gorgé d’eau lui permet de pousser sur les couches de terre particulièrement fines des anfractuosités de la roche, sur les falaises.
Belles immortelles des hauteurs
La montagne du Pouce, qui a été désignée jadis comme « la montagne des immortelles », pourrait encore porter ce nom. Du sommet, nous découvrons sur ses parois de la face est, cette superbe plante commune, gris vert et en fleur. Trois des quatre espèces endémiques que compte Maurice se retrouvent sur le Pouce (et dans quelques autres localités). La quatrième espèce n’était connue que de la montagne du Morne jusqu’à ce que Claudia Baider et Vincent Florens en trouvent une seconde population sur l’île au Fourneau.
Le couvert de la forêt que l’on aperçoit une fois au sommet, montre très clairement en contrebas les teintes rouges des jeunes feuilles de Jamrosa (Syzygium jambos), une espèce très envahissante introduite dans certains milieux humides (Le Pouce, Mt Camizard ou Bel Ombre). Ici elle côtoie une plante envahissante encore plus redoutable, la liane cerf (Hiptage benghalensis) qui se distingue aisément de loin par ses jeunes feuilles d’un rouge plus vif.
La liane cerf, dont les graines sont disséminées par le vent, pousse très rapidement, gagnant vite la cime des plus grands arbres qu’elle recouvre d’un feuillage dense, étouffant en seulement quelques années, son hôte multicentenaire ou parfois millénaire. La décomposition des arbres indigènes morts entraîne alors un affaissement des lianes qui prolifèrent au sol et forment un enchevêtrement impénétrable.
Le bois corail et une orchidée rare à Maurice (dont les singes sont particulièrement friands) font aussi partie des trésors du Pouce. Si le panorama offert de toutes parts quand le ciel est dégagé marque à jamais, il ne faut pas oublier d’observer la vie qui grouille au sol et sur les parois. On découvrira ainsi une jolie petite fleur bleue, du nom scientifique de Lobelia serpens var. cheiranthifolia. Mentionnée comme fréquente au Pouce dans les années 70, elle est aujourd’hui si rare que nos guides n’en ont trouvé pour l’heure que trois colonies distinctes, soit une centaine d’individus au total.
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« Bottle mountain »
Le statut de réserve naturelle n’arrête ni les pollueurs ni les imbéciles. Dans une réserve naturelle, chaque arbre, la moindre herbe a son rôle à jouer et son importance. Pourtant, des campeurs occasionnels n’hésitent parfois pas à scier les arbres pour s’aménager en plein milieu de la forêt indigène un petit coin, une aire de camping. Il en résulte généralement une surface endommagée, dépouillée de ses plants et ornée de détritus indestructibles. Nous avons découvert un endroit de ce type auprès du sentier, où les campeurs ont eu l’insigne élégance d’accrocher leurs bouteilles de soda en plastique à des branches d’arbre après avoir eux-mêmes profité d’une nature jusqu’alors non souillée à cet endroit précis.
Il existe aussi des endroits que nos botanistes ont fini par débaptiser pour les appeler « Bottle Mountain » puisque les promeneurs venant à bout de leur ascension et ayant épuisé leurs stocks de boisson ne trouvent rien de mieux à faire que de balancer leurs bouteilles dans le vide, comme les riverains des canaux du pays qui confondent cours d’eau et déchetterie. Les éléments se vengent parfois puisque dans certains endroits on retrouve aussi des douzaines de casquettes et de chapeaux en tous genres, qui ont été subtilisés par le petit vent d’est sud-est qui souffle plus fort par endroit par effet entonnoir !

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