Budget 2018/19 et dévelopment durable : Entre inquiétude, incohérence et effet d’annonce

PLATFORM MORIS LANVIRONNMAN

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Le Budget 2018/19 a annoncé que l’une des sept voies empruntées pour faire de Maurice un « High Income Country » est de « secure sustainable development » en protégeant et améliorant l’environnement.  Cependant, Platform Moris Lanvironnman (PML) constate avec appréhension que la voie empruntée est contraire à celle professée. Avec le delisting en mars 2017 du projet Metro Express des projets requérant un Environment Impact Assessment (EIA) et les amendements à l’EPA ces deux dernières années, l’Environment Protection Act a tendance à prendre une allure de coquille vide. L’incohérence déjà notée par PML en ce qu’il s’agit de la gestion des déchets solides se retrouve dans le budget. Lorsque le Ministère de l’Environnement est incapable de valider une stratégie de gestion de déchets depuis neuf mois, de quel développement durable parle-t-on ? Quant à l’annonce d’un National Environment Fund de Rs 2 milliards, il n’y a aucune information quant à la provenance des fonds transférés, sauf quelques indications sur des fonds étrangers/internationaux. Ceci alors que rien que sur trois ans, les revenus collectés à travers des taxes environnementales se chiffrent à près de Rs 2 milliards. À ces signaux contraires et effets d’annonce s’ajoute une appréhension au sujet de la pérennité du travail des ONG suite à la décision de transférer 75% des fonds CSR à la National CSR Foundation à travers la Mauritius Revenue Authority.

Inquiétude – Amendements à l’Environment Protection Act

Depuis le Business Facilitation Act de 2006 qui avait mené au retrait du Strategic Environmental Assessment (SEA) de l’Environment Protection Act (EPA), l’EPA a connu des amendements divers, comme le retrait de quelques types de projets de la liste de ceux-ci requérant un Preliminary Environment Report (PER) ou un EIA. Ces deux dernières années, on note avec appréhension certains autres amendements à la loi. La voie empruntée est contraire à celle professée dans le Budget 2018/19, qui vise à « secure sustainable development » à travers des investissements significatifs pour protéger et améliorer notre environnement. Environnement n’est pas opposable à développement, c’est là tout le sens du développement soutenable que le Budget dit vouloir apporter.

Le but de l’Environment Protection Act est “To provide for the protection and management of the environmental assets of Mauritius so that their capacity to sustain the society and its development remains unimpaired and to foster harmony between quality of life, environmental protection and sustainable development for the present and future generations.  L’EIA est l’un des principaux instruments pour assurer l’application de l’EPA, dit le ministère de l’Environnement (1). En l’absence de l’outil SEA, qui permet de prendre en compte les effets cumulatifs et inter-temporels de types de projets ou de projets dans une zone donnée, l’EIA devient un instrument essentiel de l’EPA. Ceci est davantage pertinent dans le cas de projets proposés dans une nouvelle branche d’activités économiques ou/et dans une zone écologiquement sensible.

En 2016, le Finance Act avait apporté des modifications à l’Environmental and Land Use Appeal Tribunal Act (ELAT) pour resserrer les délais et les dispositions permettant de faire appel de décisions devant le Tribunal d’Appel de l’Environnement. En 2017, le Business Facilitation Miscellaneous Provisions Act 2017 avait amendé l’EPA pour réduire, dans les faits, de 3 mois à 2 semaines le temps imparti au Directeur de l’Environnement pour étudier le outline d’un projet sujet à un Environment Impact Assessment (EIA) avant d’imposer au promoteur « the fields of study that are required to be covered, and the levels of expertise and the qualifications of the consultants signing the [EIA] report. »

Avec les nouveaux amendements proposés dans le Budget 2018/19 (2), la situation est davantage contraignante encore pour le Département de l’Environnement.

En effet, ces amendements réduisent, en aval cette fois, le délai imparti à l’examen d’un rapport EIA par le Département de l’Environnement avant soumission au EIA Committee de 42 jours à 28 jours. Le EIA Committee à son tour n’aura que 7 jours au lieu de 14 après avoir reçu le dossier pour faire connaître ses recommandations au ministre de l’Environnement (sauf en cas de force majeure ou de la nécessité de consultation supplémentaire). Si un Technical Advisory Committee est institué, celui-ci n’aura que 7 jours au lieu de 14 pour conseiller le ministre. Le ministre aura à son tour 7 jours au lieu de 14 pour faire connaître sa décision d’approuver ou de rejeter une demande de permis EIA.

Le ministère de l’Environnement et autres enforcing agencies disposent-ils de suffisamment de ressources humaines, techniques et financières pour mener à bien leur tâche dans les délais impartis ? Combien d’applications pour un EIA licence/PER Licence ont-elles été approuvées dans les délais actuels ? Est-ce que les nouveaux délais proposés sont conformes au cadre environnemental existant ? Tout cela nous laisse sceptiques et on peut s’attendre à plus de contestations de la part de la société civile dans le futur.

Incohérence – Gestion des déchets

solides et Waste-to-Energy

Le Budget propose de promouvoir une gestion durable des déchets solides (Promote sustainable solid waste management) et parallèlement un projet Waste-to-Energy (WTE) d’au moins 20MW de capacité pour produire de l’électricité. Or, un projet WTE de 20MW de capacité est incompatible avec l’objectif de ‘promote sustainable solid waste management’ (3) ; ceci a été clairement démontré pour le projet incinérateur de Gamma Covanta (4).  Plus récemment, en 2016, un Request for Proposal pour un projet WTE similaire n’a pas été ‘responsive’, à en juger par le nouvel appel d’offres !

Les principales mesures de gestion durable des déchets du budget concernent la réduction de déchets jetables en plastique (excise duty de Rs 2 sur des verres, assiettes, barquettes etc. à partir de février 2019) et l’encouragement au recyclage de bouteilles PET (eau, boissons gazeuses) en augmentant de Rs 5 à Rs 15 l’incitation offerte aux recycleurs sur chaque kilo de bouteilles PET usagées (5). PML salue ces mesures (6), mais souligne l’incohérence avec un projet WTE.

D’autre part, une stratégie de gestion de déchets solides basée sur les 3R (Réduire, Réutiliser, Recycler) préparée pour le compte du ministère de l’Environnement avec le concours de l’AFD est en attente de validation depuis neuf mois. Cette stratégie devrait contenir l’équivalent d’un « comprehensive Waste Recycling Framework » mentionné dans le budget 2018/19.

Mais il est clair que cette stratégie deviendra caduque si le projet de WTE du CEB va de l’avant et le « comprehensive waste recycling framework » ne sera alors qu’une autre incohérence de plus.

Effet d’annonce – National Environment Fund de Rs 2 milliards

Le National Environment Fund (NEF) avait été créé sous l’Environment Protection Act (EPA) de 2002 (Part IX – The National Environment Fund) avec des objectifs précis. Le budget 2018/19 annonce l’abrogation de cette Part 1X du EPA relative au NEF.

L’appellation ‘National Environment Fund’ désignera, après le vote du Budget 2018/19, un fonds dédié particulièrement à des projets liés à l’adaptation au changement climatique (dont Rs 965 millions sur un an à un Flood Management Programme – l’on ne sait si cette somme comprend la délocalisation de résidents de zones inondables). Un Solid Waste Management Programme (SWMP) doté de Rs 105 millions sur un an en fait également partie : « The National Environment Fund will be used as follows (…) Sixth, expansion of Solid Waste Management facilities and developing a comprehensive Waste Recycling Framework. ». Au sujet d’un « comprehensive Waste Recycling Framework », l’Agence française de développement (AFD) a déjà offert un soutien financier pour un « Study on Waste Recycling and Resource Recovery Strategy », dont Rs 3 millions sur les Rs 7,3 millions budgétées ont déjà été utilisées lors de la précédente et présente années financières (voir Expenditure to be appropriated by Votes, 2018/19 Budget, Table A5 : Revenue from External Grants and Transfers) [7]. Cette stratégie est en attente de validation, et des questions se posent donc sur ce que recouvrent ces mesures contenues dans le NEF.

Le budget annonce le transfert de Rs 2 milliards au NEF d’ici fin juin 2018. Cette somme inclut des fonds déjà alloués mais non dépensés, dont ceux venant d’agences ou de fonds internationaux : Fonds Vert pour le Climat, Global Environment Facility (GEF), Adaptation Fund Board des Nations unies, entre autres. Mais la question à poser est celle-ci : où vont les revenus collectés à partir de l’Environment Protection Fee et de l’Excise Duty sur les bouteilles PET et autre plastique ? Selon le tableau A2 du document sus-mentionné, Rs 1,249 milliard ont déjà été collectées lors de la précédente et présente années financières. En ajoutant le revenu estimé pour l’année financière 2018/2019, ce chiffre se montera à Rs 1,988 milliard.

Force est de constater que les mesures annoncées qui visent à « secure sustainable development » en protégeant et améliorant l’environnement sont très peu convaincantes !

…..

Notes

1) EIA is one of the most important tools for sound decision making and for achieving sustainable development. http://environment.govmu.org/English/eia/Pages/Environmental-Impact-Assessment.aspx

2) BUDGET MEASURES EXPLANATORY NOTES, MAIN PROVISIONS TO BE INCLUDED IN THE FINANCE (MISCELLANEOUS PROVISIONS) BILL 2018 – Part C Other legislation sous la section C.8.

3) Voir le communiqué de PML en date du 6 juin 2018 sur l’incohérence notée : https://www.dropbox.com/s/x6e6azulhuypo2v/PML%20Solid%20Waste%20Communique%20juin%202018.pdf?dl=0

4) Voir: Supporting Evidence against Solid Waste Incineration in Mauritius by Platform Anti Pollution (2007). https://www.dropbox.com/s/e7288ntxq163gb3/Gamma%20Covanta%20Incinerator%20Supporting%20Evidence.pdf?dl=0

5) Il n’est pas précisé si cette somme s’applique au-delà des 1 000 tonnes collectées et recyclées localement ou exportées pour recyclage comme cela est le cas depuis le budget 2015/16.

6) Voir les propositions budgétaires de PML : https://www.dropbox.com/s/wdfzha6vs3v35uv/PML%202018-2019%20pre%20budget%20consultations%20Submission%20.pdf?dl=0

7) http://budget.mof.govmu.org/budgetestimates2018-19.html

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