CATHERINE CHOUARD : « Les patrons sont des hommes comme les autres »

Catherine Chouard, notre invitée de ce dimanche, est économiste de formation et a été longtemps directrice des ressources humaines (DRH) avant de se lancer dans une nouvelle voie. Depuis 2008, elle exerce un nouveau métier, très prisé dans les entreprises : le coaching individualisé des dirigeants. Invité à Maurice pour donner une conférence à l’occasion de la célébration de la journée internationale de la femme, Catherine Choard a accepté de répondre à nos questions.
 
Comment fait-on pour recevoir le titre de meilleur DRH de France en 2004 ?
En posant simplement sa candidature à travers un dossier. Qui est envoyé à un jury de pairs de la profession qui, chaque année, se réunit, étudie toutes les candidatures, sélectionne les meilleurs et les auditionnent. En ce qui me concerne, j’ai été auditionné par une quinzaine de mes pairs lors d’un dîner pour expliquer mon travail et mes objectifs.
 
Comment êtes-vous arrivée dans la profession des DRH ?
Je suis une anthropologue trop timide pour aller visiter les contrées lointaines, donc j’ai étudié l’économie. Après mes études, j’ai cherché du travail et je suis entrée dans l’administratif, où j’ai rencontré des problématiques d’emploi. C’était les années 1985-86, celles des licenciements massifs en France et cela m’a fait un choc humain. J’ai travaillé dans des entreprises publiques où j’ai mis le premier pied dans le domaine et l’amour de ce métier m’a prise. J’ai commencé à m’interroger sur comment l’humain entre dans les modalités de travail, comment cela se passe en termes d’organisation, quel est le petit miracle qui fait qu’on va travailler tous les jours, comment ça fonctionne et si on peut faire mieux fonctionner.
 
Quelle est la direction du travail du directeur des ressources/relations humaines dans l’entreprise ?
Au départ on disait relations en pensant que, qualitativement, les gens deviennent meilleurs grâce à un équilibre relationnel important. Le terme « ressources » est arrivé plus tard pour dire comment faire pour optimiser, ajuster le rendement au travail. Moi, je crois qu’il faudrait ajouter « comment on valorise l’employé ». Je pense que le travail n’est pas un instrument de torture et que sans cette activité, l’humain n’a pas d’utilité sociale. Donc, le travail de DRH consiste à chercher comment rendre cette activité intéressante, voire développante et j’ai eu le bonheur de connaître pas mal de situations de travail avec des personnes qui se révèlent, se rendent compte qu’elles peuvent faire des choses qu’elles n’imaginaient pas. Ou quelles sont dans un univers avec un environnement humain qui les pousse à se former, à se dépasser.
 
Le DRH n’est-il pas le tampon entre les exigences du patronat et les réticences des salariés ?

Pas que. J’ai plus de vingt ans de pratique dans les grandes organisations, ce qui me permet de dire que le DRH est aussi la voix des salariés dans les instances de direction, ce qui est important. J’ai toujours considéré que DHR pouvait être aussi un métier d’ambassadeur. Il y a plein de gens de la profession qui sont sincères, se mettent en quatre pour trouver des programmes de développement, pour conseiller au moment du recrutement, pour éviter que de mauvaises décisions ne soient prises dans la concertation, que les discussions aient lieu avant et pas après la décision, quand il est parfois trop tard. Cela dépend aussi des maturités d’entreprises…
 
Cela dépend aussi, on l’imagine, de l’expérience et de la maturité du DHR.
Des deux en fait. C’est toujours une rencontre entre une organisation et des personnes. Le DRH ne fait pas la pluie et le beau temps, il doit travailler, pour ne pas dire naviguer, avec une équipe de direction.
 
C’est un poste avec une réelle efficacité ou alors un job un peu décoratif, qui relève plus de la nécessité des conventions collectives que d’une initiative du patronat.
Ce travail a une nécessité et une utilité qui conviennent aussi bien au patronat qu’aux salariés. Les grandes entreprises ont des fonctionnement complexes qui posent plein de questions que l’on n’a pas forcément identifiées au départ. On parle aujourd’hui des logiques de la responsabilité sociale et sociétale des entreprises, ce qui n’existait pas il y a vingt ans. Les relations sociales ont évolué énormément, obligeant à une réflexion plus poussée où l’on fait appel à l’intelligence collective, ce qui peut parfois déranger certaines habitudes. Le DRH a aussi un rôle d’aiguillon pour faire avancer les choses au sein de l’entreprise. J’ai surtout travaillé comme DRH dans les entreprises de service et, là, la relation humaine est extrêmement importante. Quand on est en service client il n’y a pas de mystère, la relation c’est pas la stratégie qui est faite dans les bureaux, c’est l’employé qui est en contact avec le client qui va donner son empreinte à l’entreprise. C’est pourquoi il faut dialoguer à tous les niveaux.
 
En utilisant des discours validés par la direction de l’entreprise ?
Mais pas que. C’est un peu facile, réducteur même. On n’est pas la voix de son maître. Mais on peut se poser la question et je ne dis pas que ce genre de situation n’existe pas et, honnêtement, je ne dis pas que je n’ai pas eu à le faire parfois. En revanche, ce n’est pas que ça.
 
Avec la multiplication de licenciements qui ont lieu en France, que peuvent faire les DRH ?
Je ne peux pas répondre pour eux et je ne suis plus dans ce métier, ce qui n’est pas un hasard. J’ai choisi de quitter cette voie en 2008 après presque vingt ans.
 
DRH c’est un métier qui use ?
Ça peut, bien sûr. Il y a quand même des cas de conscience, des choses sur lesquelles on doit réfléchir. On n’a pas un coeur de pierre et on ne peut pas être insensible à ce qui se passe. J’ai eu la chance de pouvoir travailler sur des problématiques de développement et d’internationalisation avec des questions stimulantes. En 2008, la période avait beaucoup changé, c’était le début de la crise financière internationale et les postes qui m’étaient proposés étaient des postes où il fallait annoncer des licenciements. À un moment donné, j’ai décidé de faire autre chose au niveau professionnel. C’est comme ça que j’ai créé une petite entreprise pour faire du coaching individuel de dirigeants.
 
C’est une nouvelle profession qui semble très à la mode — même à Maurice — et qui consiste à parler à l’oreille des PDG.C’est étonnant que vos clients, c’est-à-dire les dirigeants de grandes entreprises, aient encore besoin de conseils. N’ont-ils pas été choisis pour leur capacité de décision ?
Le coaching ce n’est pas du conseil et ce n’est pas chuchoter à l’oreille des dirigeants, comme vous le dites, un peu facilement. Je suis toujours méfiante quand on colle des étiquettes aux gens, qui qu’ils soient et quel que soit leur niveau, leur genre, leurs origines. C’est important pour moi de mettre de la nuance dans les choses. En ce qui concerne mon métier d’aujourd’hui, j’observe qu’intérieurement il y a beaucoup de questionnements chez les décideurs et parfois beaucoup de souffrances. Comment on fait dans le monde d’aujourd’hui pour être en accord avec soi-même, pour intégrer des logiques très différentes, pour se poser des questions y compris par rapport à son équilibre personnel ? Comment faire pour tenir le coup quand il y a autant de pressions, quand on reçoit des emails, des lettres, des sms à longueur de journée et de nuit, sans compter le décalage horaire ?
 
Mais ces décideurs n’ont-ils pas été justement choisis par rapport à leur capacité à gérer ce genre de situations ?
Il n’existe pas de surhomme ou de surfemme, c’est un mythe. Aujourd’hui, il n’y a plus de limites. On met de la pression sur les dirigeants comme s’ils étaient des dieux et c’est dangereux. La preuve : pourquoi y a-t-il autant de suicides, de gens qui font des burn-out à un certain moment dans les entreprises ? Les femmes ont plutôt tendance, globalement, à faire des dépressions, elles implosent, tandis que les hommes claquent, font des infarctus ou des AVC. Tout ce que je dis est prouvé statistiquement. Moi, ce qui m’intéresse, c’est de dire que dans ce domaine on peut être un peu plus en prévention, en compréhension, en compréhension de soi. Mon métier c’est ça aujourd’hui.
 
Les dirigeants ne sont-ils pas des hommes qui ne pensent qu’au pouvoir et à faire rentrer de l’argent dans les caisses de leurs entreprises ?
Ça c’est votre définition. Pour les gens que je côtoie, ce n’est pas ce que je perçois. Ce sont aussi des êtres humains qui ont le droit de se poser des questions. C’est comme si vous disiez que le pilote d’un avion n’avait pas le droit d’être malade, qu’il doit être 100% bien.
 
Oui, surtout quand il est aux commandes de l’avion !
Oui, mais quand il ne se sent pas bien, il faut qu’il se pose des questions. Au niveau de l’entreprise, qui est-ce qui s’occupe de l’état du dirigeant pour lui dire que là, il faut faire attention, aller moins vite ? Ce n’est pas que du conseil, c’est de la réflexion à haute voix. Depuis tout à l’heure, vous avez des certitudes sur les dirigeants que vous exprimez. C’est votre opinion, presque un jugement et je le respecte. Je dis que c’est votre version mais qu’il peut y en avoir d’autres. Je passe mon temps avec des dirigeants qui me disent : on n’a plus d’endroit où on peut être écoutés sans être jugés. Parce que quand on est dans les niveaux élevés, tout le monde regarde tout le temps et tout le monde commente. On dit il a fait ci, il a fait ça.
 
C’est attaché à la fonction de dirigeant.
Je ne dis pas le contraire. Je dis juste qu’aujourd’hui beaucoup de personnes regardent, commentent, écrivent des papiers, donnent des étiquettes. Et à un moment, ceux qui sont l’objet de cette attention ont juste envie de se dire : est-ce qu’il y a un endroit où je peux juste être entendu et poser ma pensée calmement pour réfléchir ? Je ne donne pas de conseils, mais je questionne, je challenge.
 
Mais le terme coaching veut dire conseiller, prendre en main.
C’est comme dans tous les nouveaux métiers, on tâtonne pour la définition et chacun l’exerce un peu à sa façon. Il y a autant de coaches que de parcours personnels, nous n’avons pas tous vécu la même chose. Dans le contrat que je signe avec l’entreprise, il est clairement spécifié que le décideur décide en conscience. Je n’interviens pas dans sa décision, ce n’est pas mon rôle, je ne suis pas payée pour ça.
 
Quelles doivent être les qualités de base d’un coach ?

La première chose que je mettrais c’est qu’il est essentiel pour un coach de savoir écouter. Et ce n’est pas évident de bien écouter. C’est l’écoute, c’est la bienveillance, c’est de voir la partie lumineuse de la personne. C’est important et c’est ça qui peut faire bouger les choses. Il y a aussi la suspension de jugement, le coach n’est pas là pour juger mais pour poser des questions, lancer le dialogue, essayer de faire émerger des choses, y compris parfois les parties un peu délicates. Moi, il m’est arrivé d’avoir un président qui m’a dit : Mais enfin, madame, personne ne me parle jamais comme vous le faites ! Et je lui ai répondu : Et alors ?!
 
Certains voient-ils dans l’espace que le coach offre l’endroit où ils peuvent se défouler face à quelqu’un qui ne réagit pas ?
Je n’aurais pas utilisé le mot défouler. Mais j’ai observé que parfois, quand on écoute vraiment la personne et longtemps, au bout d’un moment, elle s’entend dire des choses qui la surprennent elle-même. C’est rare d’avoir devant soi deux heures à être écouté pour de vrai. Dans l’univers hyper compressé de l’entreprise, les gens ont besoin d’un peu d’oxygène. Certains me disent : En fait je prends rendez-vous avec moi-même en venant vous voir. Je prends rendez-vous avec moi-même, je n’ai pas de contrainte, j’ai confiance car je sais que ce qui va être dit là ne sortira jamais. Je sais que je ne serai pas trahi, que ce ne sera pas diffusé, que ça ne va pas se retourner contre moi. Donc, je peux me poser, m’installer, regarder, me poser des questions sur mes dernières décisions, les bonnes comme les mauvaises et leurs enjeux. Et puis je peux parler de choses sur lesquelles je ne me sens pas très à l’aise et que je ne peux pas dire à mon conseil d’administration, mon équipe, mes collaborateurs.
 
Le coach est-il à la fois un confident et une confesseur ?
Il y a dans confesseur une connotation religieuse qui me gêne. Mais dans ce cas précis, il n’y a pas de pardon demandé ou accordé. C’est un principe de responsabilité, c’est ça qui est important.
 
Y a-t-il autant de femmes que d’hommes qui pratiquent ce nouveau métier ?
C’est assez mixte en France. Moi, je demande toujours que l’on propose plusieurs coaches à un client afin qu’il puisse décider, choisir en confiance. C’est important dans la mesure où on va partager des choses confidentielles, des moments d’interrogation, donc, il faut que le décideur se sente à l’aise.
 
Établir une relation, se faire confiance, ça prend du temps. En coaching c’est comme dans la vie courante ?
C’est ce que je pensais au départ, mais dans la pratique ce n’est pas le cas. Lors du premier contact, il y a un brief de la situation, un échange ouvert et si la personne se sent à l’aise, elle va exposer sa situation et voir comment vous réagissez et décider de continuer ou pas.
 
Vous est-il arrivé de refuser un client qui, lui, vous avait accepté ?
Quand à un certain moment je sens que la personne est trop dans son ego, dans son pouvoir, dans sa certitude et qu’elle ne va pas rentrer un peu profondément dans la discussion, je sais que je risque de ne pas pouvoir apporter mon meilleur. Moi, j’ai besoin que mes clients acceptent de s’ouvrir à un moment donné dans la sincérité, dans l’authenticité. Si j’ai en face de moi une personne qui n’a pas envie de travailler comme ça, je ne vais pas lui dire que je ne la prends pas. Mais je sais ce qu’il faut dire en entretien pour ne pas être choisi. Donc, je vais faire en sorte de dire gentiment qu’il faut quelqu’un d’autre.
 
C’est plus difficile de travailler avec une dirigeante qu’avec un dirigeant ?
Non. Par contre, ce n’est pas la même façon de faire.
 
Les différences sont-elles marquées ?
Non. Elles sont infimes, subtiles, comme le métier. Il y a aussi le fait que les rapports de femme à femme et de femme à homme ne sont pas les mêmes. Cela étant, de femme à femme, généralement, la parole va être assez rapidement très fluide. La personne va démarrer sur sa problématique de façon très large et aborder très vite sa vie personnelle et sa vie familiale de façon très ouverte. Il y a beaucoup plus de réserve au départ pour les messieurs. J’ai observé que les choses très importantes sont dites chez eux cinq minutes avant la fin de la consultation. Je pense que l’homme est très proche de ses émotions mais affiche, comment dire, plus de pudeur, non, de la retenue pour les exprimer. Cela ne veut pas dire qu’il ne ressent pas l’émotion, mais tout simplement que c’est un peu plus difficile à partager. Il faut qu’il trouve son rythme et je respecte le temps pris pour y parvenir.
 
Combien de séances consacrez-vous à un client ?
Huit séances de deux heures chacune, en général.
 
Une question qui risque de vous faire hurler. À la fin des séances, le client est-il débloqué ?
Il n’est pas bloqué au départ et je ne suis pas une ostéopathe du mental !
 
Disons qu’à la fin des consultations le client est plus ouvert sur lui-même et les autres ?
Disons qu’il l’est un peu plus. C’est une étape dans sa progression, mais tout n’est pas fini. Plus tard il aura peut-être quelqu’un d’autre pour l’aider dans d’autres moments. Je crois qu’aujourd’hui on n’est pas dirigeant générique, on peut être bon à certains postes, dans certains contextes et beaucoup moins dans d’autres. On est de plus en plus dans le sur-mesure et le coaching c’est un peu ça pour moi. Il y a des moments où il faut que ce soit comme une aiguille d’acupuncture au bon endroit du méridien. Ce n’est pas approximatif, ce n’est pas on s’occupe de tout, il faut être présent à un moment précis, dans ce type de situation et épauler. Parce que la paroi est raide et on n ‘est pas de trop pour donner un coup de main. Mais comme ce métier est nouveau, on fait parfois appel à un coach un peu tard, quand la situation est déjà complexe. Certains groupes investissent dans le coaching pour les dirigeants dès la prise de fonction. C’est beaucoup plus facile car plus on est en prévention et les choses sont plus fluides.
 
Vous êtes en train de dire que le patron, le dirigeant d’une entreprise est un homme/une femme comme les autres ?
Exactement ! Et c’est une bonne nouvelle, vous ne trouvez pas ?
 
N’est-ce pas le contraire qu’on attend de lui ? Ne recherche-t-on pas pour diriger une entreprise quelqu’un qui ne soit pas comme les autres ? Un super quelque chose !
C’est bien ça le problème. C’est une aberration dans le monde d’aujourd’hui. D’abord, ce n’est pas un homme ou une femme tout(e) seul(e) qui fait l’entreprise. C’est une vieille pensée, ça ne marche plus comme ça. Le dirigeant doit être entouré, il doit savoir s’entourer. Un bon patron aujourd’hui a des gens plus forts que lui dans différents domaines dans son équipe. Il faut prendre des gens différents, des hommes et des femmes qui sont de cultures, d’expériences différentes. Le pire c’est la consanguinité : on le voit partout dans le monde quand on est seul, entre soi, ça finit par dégénérer. Aujourd’hui, les responsables savent bien que pour faire fonctionner des entreprises sophistiquées, c’est pas un homme tout seul. Oui, croyez-moi, c’est une bonne nouvelle de savoir que les dirigeants sont des hommes comme les autres.

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