COMMISSION D’ENQUÊTE SUR LA DROGUE : Il faut une volonté politique pour casser le trafic, selon Ally Lazer

Il s’agit pour l’heure de la déposition qui aura attiré le plus d’attention depuis le début des travaux de l’actuelle Commission d’enquête sur la drogue. Ally Lazer, figure très connue dans le combat contre le trafic et l’abus de stupéfiants, a déposé hier devant l’ex-juge Paul Lam Shang Leen, Chairman, et ses deux assesseurs. Le travailleur social, président de l’Association des travailleurs sociaux de l’île Maurice (ATSM) et membre du Centre Idrice Goomany (CIG), a soumis une liste contenant « 136 noms de trafiquants, de “grossistes”, de dealers et autres maillons du trafic de l’héroïne à Maurice, dont des politiciens. »
C’est un Ally Lazer « serein et satisfait d’avoir accompli mon devoir de citoyen », qui s’est présenté devant la Commission d’enquête sur la drogue, hier. Il devait déclarer que « si je meurs, maintenant, je n’aurais aucun regret, car je voulais déposer devant la Commission. » Cependant, nuance-t-il, « bien que je fasse entièrement confiance à ceux qui composent l’actuelle commission, je dois avouer que je ne me fais aucune illusion… J’attends de voir que la commission boucle ses travaux et son rapport. » Le travailleur social s’appuie sur le fait que « le précédent rapport, soumis par feu sir Maurice Rault, dans le sillage de la première commission sur la drogue, était solide et bourré d’importantes résolutions. Cependant, qu’est-ce qui en a abouti ? Pas grand-chose, hélas ! »
Le Dr Ravind Dhomun, l’un des deux assesseurs, a souhaité du travailleur social une recommandation à la commission. « Il faut une volonté politique si ce gouvernement veut réellement combattre le trafic de drogue. Sinon, nous continuerons à rafler la médaille d’or en matière de consommation d’héroïne pour cette partie de l’Afrique, comme c’est le cas depuis plusieurs années. » Rappelons qu’avec un taux de prévalence de 1,95 consommateur pour 1 000 habitants, Maurice est le pays le plus dépendant aux opiacés de toute l’Afrique et occupe la deuxième place mondiale derrière l’Iran, selon le rapport 2009 de l’UNODC.
Des personnalités et des anonymes
Président de l’ATSM et membre du CIG, Ally Lazer est une figure incontournable de la lutte contre la drogue à Maurice. Pour appuyer sa déposition, hier, le travailleur social a remis à la commission un document contenant « 136 noms de trafiquants, avec autant de politiques et de personnalités connues que d’anonymes. Il y en a qui sont des trafiquants, d’autres des “grossistes”, des dealers, des jockeys, martins et autres maillons du réseau de distribution. Ces personnes sont de toutes les couches sociales et de diverses professions, même des policiers et des douaniers. »
À une question des médias s’agissant des personnalités politiques incluses dans sa liste, Ally Lazer devait soutenir qu’il s’agit « de politiciens de l’ancien régime. » Le travailleur social avoue qu’il a « planché sur cette liste depuis 2014. J’y travaille et j’ai compilé des informations avant de soumettre ces noms. Je n’ai pas fait cela au petit bonheur. » Dans le même souffle, le travailleur social devait aussi donner des détails relatifs à « un agent politique proche de l’ancien régime qui a bénéficié de plusieurs arpents de terre où il cultive du gandia… »
Ally Lazer a également soumis un exemplaire d’un rapport qu’il dit avoir personnellement réalisé sur l’axe Maurice/Paris concernant le trafic de Subutex entre ces deux pays. « J’avais initié cette enquête à mes frais personnels il y a quelques années, devait-il expliquer au représentant du Parquet. Et les retombées de ces recherches sont contenues dans ce document, dont j’ai déjà remis un exemplaire à l’Ambassade de France chez nous. »
Dans sa déposition, Ally Lazer a rappelé que « j’avais dans le passé, soumis une autre liste de noms de présumés trafiquants à l’ancien Commissaire de police Ramanoj Gopalsing. Peu de temps avant sa retraite, cet ancien CP devait déclarer, lors d’un point de presse, que 70 % des noms qui figuraient sur cette liste avaient été arrêtés. » Ce à quoi a réagi l’autre assesseur de la Commission d’enquête, Sam Lauthan, rappelant que « 30 % sont donc restés libres et poursuivent leurs activités… Vous serez d’accord avec moi qu’un seul trafiquant qui opère toujours est un trafiquant de trop ! Consentirez-vous à aider la commission à traquer ces 30 % ? »
Pour sa part, le Chairman Paul Lam Shang Leen souhaitait savoir d’Ally Lazer s’il pensait « qu’il y a des douaniers et des officiers de l’ADSU qui seraient corrompus ? » Le travailleur social devait à plusieurs reprises s’exprimer sur la question, rappelant quelques événements dont le cas de ce « caïd notoire de Plaine-Verte, qui, incarcéré au poste de police de Trou-Fanfaron, avait disparu de sa cellule pour refaire surface à l’île de La Réunion » Ce même caïd, dit Ally Lazer, est détenteur d’un permis ayant trait au commerce de poissons, qui lui octroie le droit d’aller et de venir librement dans certaines zones du port. « Et quand on sait que le port est l’un des points d’entrée de la drogue à Maurice, je me pose des questions », dit-il.
L’ex-juge Lam Shang Leen a conclu la déposition d’Ally Lazer en l’informant qu’il allait peut-être le rappeler pour plus d’éclaircissements « à la lecture des documents que vous avez soumis. »

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