Commission d’enquête : Ameenah Gurib-Fakim dément avoir dit au PM qu’elle allait démissionner

  • Me Yousuf Mohamed : « L’ex-presidente n’est pas si innocente… elle a voulu faire les choses à sa façon. Elle a violé la Constitution »

La commission d’enquête instituée par le gouvernement pour établir si l’ancienne présidente de la République, Ameenah Gurib-Fakim, n’aurait pas outrepassé ses droits et violé la Constitution, et sur ses liens avec l’Angolais Alvaro Sobrinho, a tenu deux séances de travail cette semaine. La commission d’enquête est, rappelons-le, présidée par le juge Asraf Caunhye, avec comme assesseurs les juges Nirmala Devat-Oogarah et Gaytree Jugessur-Manna. Mme Gurib-Fakim a été auditionnée pour la deuxième fois lundi, suivie jeudi par Me Yousuf Mohamed — à un moment son conseil légal —, mais qui l’a catégoriquement démentie concernant son implication dans le dossier.

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Les événements qui ont mené à l’institution de la commission d’enquête Asraf Caunhye ont débuté avec la publication par un confrère des relevés bancaires démontrant que l’ancienne présidente de la République a utilisé une carte de crédit mise à sa disposition par Planet Earth Institute (PEI), une ONG dirigée par l’homme d’affaires angolais Alvaro Sobrinho. Ameenah Gurib-Fakim a participé à des activités internationales de cette organisation. Dans le sillage de ce scandale qui touche à l’éthique, après beaucoup de résistance, Mme Gurib-Fakim a effectivement démissionné de son poste, mais non sans avoir essayé de mettre sur pied sa propre commission d’enquête. Cette démarche a été interprétée par le gouvernement comme une tentative de le déstabiliser.

Ameenah Gurib-Fakim a dit avoir quitté son poste « après avoir lu dans la presse que j’ai voulu faire un coup d’État. » Cependant, s’est-elle défendue, « en voulant instituer ma commission d’enquête, je n’ai voulu que laver mon honneur et que le public sache aussi toute la vérité sur Planet Earth Institute et Sobrinho. » Elle a maintenu n’avoir fait que suivre les conseils de son avoué, Me Gilbert Noël. Ce dernier s’est fait aider par Me Hyderkhan, délégué par Me Mohamed au bureau de la présidence, pour rédiger les termes des attributions d’une commission d’enquête dont la présidence devait être confiée à sir Hamid Moollan QC.

Dès la première fois qu’elle avait témoigné la semaine dernière, l’ex-présidente de la République avait soutenu que, lorsqu’elle avait recherché l’avis de Me Mohamed au sujet de sa commission d’enquête, celui-ci lui avait dit: « You can’t, but tactically you can » (Vous ne pouvez pas mais, tactiquement vous pouvez). D’où l’insistance de Mme Gurib-Fakim qu’elle avait fait confiance àses hommes de loi et que c’était à eux d’indiquer ce qui était constitutionnellement faisable ou pas.

Vive contestation de Me Mohamed

Devant Asraf Caunhye et ses assesseurs, Me Yousuf Mohamed a vivement contesté cette version des faits en ces termes : « Je lui avais dit de hold-on, de ne aller de l’avant avec sa propre commission d’enquête avant que je n’en parle à sir Hamid Moollan. Je devais me rendre au bureau de sir Hamid — qu’elle avait déjà choisi pour présider sa commission — pour lui dire qu’elle était en train de violer la Constitution du pays. Elle n’a pas écouté. L’ex-présidente n’est pas aussi innocente. Comme Frank Sinatra, elle avait décidé qu’elle allait « do it my way » à sa façon. I do it my way, a-t-elle d’ailleurs dit dans un courriel au Deputy Prime Minister, Ivan Collendavelloo », a affirmé Me Mohamed. Il a remis une copie de ce courriel au juge Caunhye. (à lire aussi l’interview de Me Mohamed en pages 10-11).

Me Mohamed s’est prévalu de sa longue expérience politique qui, a-t-il dit, l’a amené à servir comme ministre dans les gouvernements travaillistes de sir Seewoosagur Ramgoolam et à comprendre les procédures d’une commission d’enquête, notamment celle contre Badry et Daby dans les années 1980. « Je sais que, selon la section 64 de la Constitution, le pouvoir de décider de l’institution d’une commission d’enquête appartient au Conseil des ministres. Donc, au départ même, je savais que ce qu’elle voulait faire était illégal . »

La question d’Asraf Caunhye s’est alors imposée à ce stade : « Si vous saviez qu’elle ne pouvait pas, pourquoi ne pas le lui avoir dit dès le début et, surtout, pourquoi l’avez-vous assistée, vous, Gilbert Noël et Me Hyderkhan, dans la rédaction des attributions de la commission que devait présider sir Hamid Moollan ?  » Me Mohamed a répondu que lesdites attributions ne seraient pas que des « suggestions » qui auraient été ensuite soumises au préalable au Conseil des ministres pour être approuvées ou pas.

Du long interrogatoire de Mme Gurib-Fakim lundi, on a retenu son affirmation « qu’à aucun moment, lors de discussions avec le Premier ministre, Pravind Jugnauth, le 9 mars dernier, je ne lui ai dit que je vais démissionner de la présidence le 15 mars, soit après les festivités marquant le 50e anniversaire de l’indépendance. C’est Pravind Jugnauth qui a été dire cela à la presse. Le Government Information Services (GIS) en a fait état et cela a été repris dans la presse internationale. J’ai réagi sur Twitter pour préciser que « je n’ai pas encore démissionné », a dit l’ex-présidente. Une grave accusation de désinformation de sa part, mais à quoi Pravind Jugnauth n’a réagi que par un lapidaire « laisse li dir !  » toutefois prononcé hors de la vue des commissaires enquêteurs.

C’est d’un air amusé qu’Ameenah Gurib-Fakim a écouté la déposition de Me Mohamed. Tantôt lançant des sourires complices vers ses aides qui l’accompagnent, tantôt sourcillant comme pour signifier son étonnement de certains propos, elle a évité de croiser les regards de son contradicteur. Et Me Mohamed avait fait de même, sauf en une circonstance où il a eu un regard sévère envers l’ex-présidente.

Selon un aide-mémoire qu’elle a remis à la commission d’enquête par les soins de son homme de loi, Me Hervé Duval SC, Mme Gurib-Fakim a fait la chronologie des événements qui a mené à sa chute. Ces événements commencent le 27 février. Un journal lui avait adressé une série de questions par courriels à propos de ses comptes bancaires à la Barclay’s Bank. « Je ne pouvais répondre parce que ce n’était pas la procédure appropriée. Je suis censée ne pas devoir répondre aux articles de presse en tant que présidente de la République. Puis, le 28 février, j’ai été très surprise que ces comptes ont été ainsi étalés publiquement. »

Elle a dit avoir recherché le soutien de l’Attorney General — officiellement le responsable de l’État qui conseille la présidence — mais le titulaire, Maneesh Gobin, a répondu ne pas pouvoir venir la rencontrer au Réduit « étant occupé. » Il a fallu passer par le Premier ministre pour que l’Attorney General fasse le déplacement. Toutefois, Maneesh Gobin se contente de lui dire qu’elle bénéficie de l’immunité en tant que présidente. Autrement dit, qu’elle devait se débattre toute seule.

« I will never resign !  »

Se sentant « délaissée, abandonnée », l’ex-présidente a, lors de sa rencontre hebdomadaire avec le Premier ministre le 1er mars, expliqué à ce dernier qu’elle avait remboursé à Planet Earth Institute les fonds qu’elle avait utilisés sur la carte de crédit. Elle a, après, sollicité l’aide d’Ivan Collendavelloo, « pas en sa qualité de DPM, mais parce que celui-ci avait été mon avocat quand j’avais porté plainte devant la Commission de l’égalité des chances (EOC) pour n’avoir pas été nommé Vice-Chancelière de l’université de Maurice . »

Ivan Collendavelloo lui avait conseillé de lancer un ultimatum au journal en question de venir prouver l’authenticité des comptes bancaires qui avaient été publiés. L’ultimatum fut lancé sur une radio privée. Ensuite, toujours selon Mme Gurib-Fakim, le 3 mars, elle a profité du fait qu’elle était assise à côté du ministre Mentor, sir Anerood Jugnauth, lors d’une cérémonie de remise d’Awards pour, à la demande de ce dernier, expliquer qu’elle avait tout remboursé à Planet Earth Institute. SAJ a fait une déclaration à la presse à propos de ces explications. Ivan Collendavelloo a, le 5 mars, demandé une copie des relevés bancaires établissant que lesdits remboursements avaient été faits.

Ces relevés ont été soumis, mais, le 5 mars, Ivan Collendavelloo est revenu à la charge pour solliciter une rencontre en présence du Premier ministre. Ivan Collendavelloo a alors expliqué à Mme Gurib-Fakim que le Premier ministre lui demanderait de remettre sa démission. Mme Gurib-Fakim dit avoir refusé en envoyant un texto à Ivan Collendavelloo dans lequel elle avait écrit : «  Dear Ivan, just know that I will never resign… please, proceed with the tribunal . » Il ressort de son aide-mémoire que Mme Gurib-Fakim a résisté à toutes les invitations à démissionner, qu’elles soient venues du Premier ministre, du ministre Mentor, qui lui avait conseillé d’éviter à comparaître devant un tribunal constitutionnel qui pourrait la destituer, ou de ses amis, dont Irfan Abdool-Rahman, Dick Ng Sui Wah, entre autres.

Pour sa part, Me Yousuf Mohamed a confié à la commission d’enquête avoir fait appel à Mme Gurib-Fakim pour qu’elle accepte de quitter son poste pour le bien de tous ses proches. « Non ! Je ne démissionnerai pas parce que je n’ai rien fait de mal », a toujours maintenu l’ex-présidente envers ses interlocuteurs. La commission d’enquête reprendra ses travaux demain après-midi, avec l’audition de l’avoué Gilbert Noël. Elle continuera aussi à éplucher les comptes bancaires et douaniers de Mme Gurib-Fakim en relation avec toutes les transactions qui l’ont liée à Planet Earth Institute et Alvaro Sobrinho.

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