COMMISSION D’ENQUÊTE SUR LA DROGUE : Une fausse panacée ?

EMMANUEL BLACKBURN

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Emmanuel Blackburn

La Commission Lam Shang Leen aura peut-être redistribué les cartes, refroidissant les ardeurs du prétendant (le mauve, par défaut!), courtisant un MSM, fortement fragilisé par les scandales qui s’accumulent, et davantage affaibli pour toute future négociation d’alliance par le ‘Own Goal’ qu’il s’est infligé.  Les amis d’un Premier ministre groggy, mais toujours debout, ont manifestement décuplé ses difficultés mais le PM leur a aussi prêté main-forte. Les dividendes politiques qu’il pensait récolter de la transparence associée à la publication d’un rapport accablant, fruit d’investigations très poussées, se volatilisent quand est invoquée abusivement la notion de présomption d’innocence. Cette dimension cruciale d’un état de droit, que tous doivent s’approprier, ne devrait cependant pas constituer un commode alibi pour se soustraire au regard scrutateur du citoyen. Ce dernier, dégoûté des mésalliances politiques, ne devrait toutefois pas bouder le travail abattu par la commission, fort louable certes mais néanmoins perfectible. Tant au niveau de l’identification de la problématique (Qui ? Où ? Comment ? Quelles ramifications ? Quelles faiblesses structurelles, etc.?) qu’à celui des nombreuses recommandations. 

Mais s’arrêter aux noms que les réseaux sociaux se font un plaisir de jeter en pâture signifierait privilégier l’anecdotique au détriment du sujet de fond, notamment la pertinence de la panoplie des mesures correctives proposées. À première vue, elles constituent des outils redoutablement efficaces avec, entre autres, la création d’une puissante National Drugs Investigation Commission (NDIC). Le consensus autour de leur mise en place en a fait une panacée. Fausse, cette panacée ! Doublement. Car primo toute structure n’a de valeur que celle dont disposent ceux qui en sont responsables. La NDIC ne fera pas exception à cette règle. L’Anti Drug and Smuggling Unit (ADSU), son prédécesseur, en est la triste preuve. Après avoir suscité d’immenses espoirs suite aux recommandations de la Commission Rault, elle est aujourd’hui complètement décrédibilisée, rattrapée par la honteuse gangrène de l’appât de l’argent facile de quelques brebis galeuses, cette dérive qui caractérise de trop nombreuses institutions.

Secundo est ce refus insolite d’une cruelle évidence qu’affiche le Premier ministre qui, selon le Week-End du 5 août, soutient mordicus ce même ADSU, objet pourtant d’une condamnation sans appel par la commission, et qui pousse l’audace jusqu’à féliciter sa tête, celle que le citoyen, estomaqué, pensait voir tomber. Si la NDIC, cette structure dont l’objectif est d’être au cœur du dispositif répressif dans le combat contre la drogue, se retrouve mort-née, toutes les craintes quant au sort qui pourrait être réservé à l’ensemble du rapport seraient justifiées. Il apporterait aussi de l’eau au moulin de ceux qui voient un trompe-l’œil manifeste dans ce comité interministériel appelé à piloter le rapport.

Dans un autre ordre d’idées, le rapport fait sourciller. Tout en condamnant les esprits chagrins, qui retirent du placard une affaire où le président de la Commission avait vu son jugement en tant que juge de la Cour suprême renversé par le Privy Council, qui avait évoqué un ‘bias’, le citoyen peut s’interroger sur le traitement différent accordé à des protagonistes, et ce pour le même reproche, notamment le nombre élevé de ‘unsollicited visits’; ou ces avocats ayant soutenu un Senior Counsel cloué au pilori par la commission mais qui s’en sortent néanmoins indemnes; ou encore la possibilité pour la NDIC – qui remplacerait l’ADSU – d’accéder aux informations détenues sur des citoyens par les institutions financières et de télécommunications sans la permission préalable d’une cour de justice; et quid de l’absence d’enquête approfondie pour démasquer un possible mépris des procédures au cœur du dispositif anti-drogue, à l’insu du commissaire de police, débouchant sur la signature de ce dernier sur le passeport d’un trafiquant présumé.

Ouvrons une parenthèse pour rappeler que quand un train déraille à Mumbai, le ministre des Transports indien démissionne… Mais nous sommes à Maurice ! Et petite digression pour souligner la sévère remontrance faite à la Bar Association et qui démontre que le reproche quant à sa propension à jouer les Ponce Pilate n’est désormais plus le seul fait du profane.

Ainsi tout compte fait, il faut savoir gré à la commission d’avoir soumis un rapport qui peut s’avérer déterminant dans le combat contre la drogue. Pour peu que les autorités fassent preuve de volonté réelle à porter l’estocade à ce fléau en mettant en place les structures proposées et aussi et surtout en y plaçant des hommes et des femmes au caractère bien trempé, dotés d’un esprit farouchement indépendant et d’une échine réfractaire aux courbettes. Mais rien n’est désormais moins sûr. D’où l’absolue nécessité d’une vigilance accrue du citoyen. Pour assurer l’efficacité de ces structures, ce dernier se doit en effet de s’enquérir de leur nature, comprendre et jauger leur portée, et surtout insister que les dépositaires de ce pouvoir qu’il leur confie honorent leur engagement.  La salubrité publique l’exige.

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