CONSERVATOIRE FRANÇOIS MITTERRAND: La musique repousse les limites

Le Conservatoire de musique François Mitterrand a mis en place depuis l’année dernière des cours dédiés aux personnes à besoins spéciaux. Deux adultes et deux jeunes apprennent actuellement à jouer des instruments à Curepipe et à Quatre-Bornes respectivement. Loin d’être handicapés par leurs limites physiques, ils se donnent à fond et impressionnent leurs professeurs. Un bel exemple d’intégration démontrant que la musique n’a pas de frontière.
Comme chaque jeudi après-midi, Rajoo Ponsamy Seeneevassen et son amie Lilette Uppiah empruntent la route des Casernes à Curepipe pour se rendre à leurs cours de musique. À l’aube de ses 63 ans, Rajoo a décidé d’écrire une nouvelle page de son histoire. « J’ai travaillé à l’école des aveugles pendant des années. Là-bas, j’ai eu la chance d’apprendre à jouer de la guitare avec un ami. À Glen-Park où j’habite, j’avais aussi un ami guitariste, mais lorsque j’ai appris qu’il existait la possibilité de suivre des cours au conservatoire, je n’ai pas hésité un seul moment à m’engager. »
Pour ne pas se sentir seul, il invite Lilette Uppiah à suivre aussi des cours de musique. « Nous avions un petit groupe et elle chantait avec nous. Je lui ai proposé de venir apprendre un instrument. D’une certaine manière, sa présence m’aide à me déplacer jusqu’ici car elle voit un peu », dit-il. Si le sexagénaire a opté pour la guitare d’accompagnement, son amie, elle, a choisi le clavier. Tous deux s’appuient sur leur ouïe très développée pour leur apprentissage.
Christophe Joseph est le professeur de Rajoo qui grâce à son attitude positive n’éprouve aucune difficulté dans cette expérience. « Dans une classe, il faut s’attendre à tout. Chaque élève vient avec ses qualités et ses difficultés. Il faut une préparation mentale pour s’adapter à toutes les situations », dit-il.
Comme chaque semaine, Rajoo commence sa classe par un récapitulatif de la séance précédente. 1, 2, 3, 4, les rythmes s’enchaînent… « On refait la progression de sol à mi », lance Christophe Joseph, en donnant des indications concernant la position des doigts sur les cordes. Rajoo s’applique immédiatement. Une fois, deux fois… la progression est enfin au point. « Très bien », ajoute le professeur.
Pas de stéréotypes
Depuis qu’il a appris à mieux maîtriser la guitare, Rajoo s’est engagé dans la chorale de 7 heures à l’église Notre-Dame de la Visitation. Il fait également partie du groupe Ovisa dans lequel il partage sa passion avec d’autres amis. « La musique c’est ma vie. Je pratique pendant une à deux heures chaque jour. Il m’arrive même de jouer pendant la nuit lorsque je n’ai pas sommeil », confie-t-il.
Reggae, séga, slow… sont les styles que Rajoo apprécie le plus. Christophe Joseph essaye ainsi de s’adapter à ces préférences pour accrocher son élève. Le jeune professeur, qui craignait le generation gap au départ, confie prendre beaucoup de plaisir à animer cette classe pas comme les autres. « Rajoo est mon premier élève de guitare. Je suis plutôt prof de batterie. J’ai été appelé à remplacer un collègue. »
Cette première expérience a permis à Christophe Joseph de se défaire des stéréotypes et préjugés. « Quand j’ai appris que j’aurai un élève non-voyant, cela m’a fait un choc. Je me suis demandé comment cela va se passer. Mais j’ai décidé de me mettre à son niveau. Si j’avais eu d’autres élèves de guitare avant lui, j’aurais peut-être été habitué à une autre manière d’enseigner. Là, je m’adapte et j’apprends avec lui. »
La persévérance de Rajoo est d’une grande aide pour Christophe. « Je dois être honnête : il travaille beaucoup. Parfois, on a des élèves qui arrivent en classe sans avoir pratiqué les exercices à la maison. Mais avec lui, ce n’est jamais le cas. »
En dépit de cela, il arrive parfois que le professeur commette des maladresses : « Il m’est arrivé, sans le réaliser, de lui demander de faire certaines choses, sans me rendre compte qu’il n’en a pas les facultés nécessaires. Je m’excuse alors et on se comprend. »
Avec son élève, le prof pousse les limites encore plus loin. « Je lui apprends à jouer en Ré. Ce qui nous oblige à jouer différemment. Je dois même désaccorder ma guitare pour cela. Mais quand je vois qu’il s’adapte, c’est une grande satisfaction. »
Rajoo est en deuxième cycle de guitare pour les hobby classes. Le fait d’avoir déjà une connaissance de base de la guitare lui a permis de progresser assez vite. Son premier professeur, Gérard Lavigilante, garde de bons souvenirs du passage de Rajoo dans sa classe l’année dernière. « Je lui ai appris les accords de base. Des fois je l’aidais à placer ses doigts sur les cordes. Cela a été une bonne expérience. »
Des exemples…
Pour Gérard Lavigilante, travailler avec Rajoo n’était pas aussi difficile puisqu’il avait déjà enseigné dans une école spécialisée. « La musique est universelle. Tout le monde peut jouer de la musique, si la volonté y est », souligne-t-il.
Comme Christophe Joseph, Gérard Lavigilante avance que Rajoo Seeneevassen s’applique dans ses cours. « Il pratique beaucoup. S’il lui arrive de ne pas pratiquer, il me le dit, en toute honnêteté. »
Pour aider son élève, Gérard Lavigilante a dû, quelques fois, enregistrer les sons afin de lui permettre de travailler à la maison. « Rajoo a un bon caractère. Il est attentif, sensible et très débrouillard. »
Parlant de son expérience d’enseignant, Gérard Lavigilante ajoute que la musique permet à un enfant de développer sa sensibilité. « J’ai eu l’occasion de travailler dans une probation home, là aussi l’approche est différente. »
Alors que les rythmes de guitare résonnent dans le vieux bâtiment mis à la disposition du conservatoire par la municipalité de Curepipe, des sons de clavier se font aussi entendre, timidement. Lilette Uppiah pose ses doigts délicatement sur les touches, sous le regard de Jean-Paul Zéphir.
Depuis six ans qu’il enseigne au conservatoire, c’est la première fois que ce dernier a une élève malvoyante dans sa classe. « L’attention qu’on donne à chaque élève est différente. Un enfant normal, par exemple, peut lire les notes, mais elle, non. Alors je joue les notes et elle les reproduit. Des fois, j’enregistre même pour qu’elle puisse pratiquer. »
Comme Rajoo, Lilette s’applique dans son apprentissage. « Des fois il y a des élèves qui arrivent en classe sans avoir pratiqué leurs leçons, mais ce n’est pas le cas avec elle », précise Jean-Paul Zéphir.
Pour le professeur, cette classe n’est pas plus difficile qu’une autre, même si l’approche est différente. « Tout est dans l’écoute. Le fait qu’elle ne voit pas bien lui a permis de développer son sens de l’écoute. C’est comme si elle enregistre tout dans sa tête », poursuit-il.
Afin de l’encourager, Jean-Paul Zéphir évite les morceaux compliqués. « Je joue des morceaux qu’elle a déjà entendus. Cela lui facilite la tâche. Même lorsqu’elle fait une erreur, elle peut rectifier tout de suite puisqu’elle connaît l’air. »
Même si cette classe est pour le professeur une découverte, il précise que d’autres, avant lui, l’ont déjà fait. « Des fois la musique fait peur. Mais comme on dit, quand on veut, on peut », soutient-il.
Lilette, qui est à son premier cycle de clavier, dit s’épanouir dans cette nouvelle aventure. « C’est très intéressant. Je suis contente d’être là, même si je découvre le clavier un peu tard. »
À la maison, l’amie de Rajoo pratique ses exercices deux à trois fois par jour. « La musique est ma passion. J’aime bien écouter la radio. Maintenant je peux non seulement chanter mais aussi jouer du clavier. »
Pour les professeurs, Rajoo et Lilette sont des exemples de persévérance. « J’invite les personnes qui ont toutes leurs capacités à prendre exemple sur ces deux personnes », avance Jean-Paul Zéphir.
Déjà, pour arriver au conservatoire, à Curepipe, les deux amis voyagent par bus depuis Camp Levieux. Heureusement que les autres passagers se montrent compréhensifs, précise Rajoo, surtout qu’il transporte une grosse guitare…

- Publicité -
EN CONTINU ↻

l'édition du jour

- Publicité -