COVID-19 : Ces informels et indépendants, pas couverts par le filet de la sécurité sociale

NALINI BURN TEELOCK

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Allons à l’essentiel. Telle est l’urgence de la crise à multiples facettes engendrée par l’épidémie Covid-19 (pour faire court) qui envahit et bouleverse notre monde. Et nous isole dans la précarité et la peur. Qui interdit au tissu convivial familial et de voisinage, de solidarité, de partage, d’entraide en face à face, de fonctionner.

On a tous et toutes besoin de manger, boire, se soigner et se laver. Nous avons une biologie commune.

Mais on n’est pas tous égaux face aux capacités de subvenir aux besoins essentiels de notre humanité commune.

Les efforts énormes consentis par les autorités pour protéger nos droits à la santé, à l’alimentation, aux moyens d’existence, nos libertés fondamentales, ne couvrent hélas pas une large frange de la population. On est loin du “Leave no one behind”. Même si on essaie de “Reach out to the furthest behind first” : ce sont les deux slogans des Objectifs de Développement Durable (ODD), horizon 2030, sous-tendus par les conventions de droits humains que notre État a ratifiées et qui aspirent à façonner notre destinée commune face à l’urgence climatique.

Comment s’approvisionner en période de lockdown ? Dans l’immédiat du couvre-feu, quelle est la solution prescrite – pas encore complètement traduite dans la pratique à l’heure où j’écris ?  La livraison à domicile, à mettre en place par deux circuits : 1/ Accès direct : La distribution de 35 000 paquets de vivres à domicile aux plus vulnérables par le dispositif de l’administration publique. 2/ Accès indirect sur commande. Pour les autres par une chaîne de distribution privée – c’est-à-dire en payant pour les articles commandés. Et pour cela, on doit disposer du pouvoir d’achat – argent comptant ou crédit.

Qui sont ceux et celles qui, soit dans l’immédiat ou dans le futur, ne seront pas couverts par le filet de sécurité prévu ?

1. Circuit d’accès direct. Elle utilise les bases de données de la Sécurité sociale, dont le Social Register of Mauritius et autres connexes. Il peut y avoir deux types d’erreur de ciblage : exclure  certain.e.s qui sont démuni.e.s. Et Inclure ceux qui ne le sont pas, avec des risques perçus et réels de clientélisme et autres formes de capture de l’argent public. Ce qui nuit à la confiance si essentielle dans une société fracturée, pleine de clivages, de méfiance, de suspicion et de tensions.

2. Circuit d’accès indirect. Ceux couverts par le filet de protection mis en place pour faire face aux impacts économiques du COVID-19 dans notre économie très ouverte aux flux mondiaux.

Pour ces derniers, ne sont couverts à Maurice par le filet de sécurité que ceux dans un rapport formel travail/capital :  l’emploi salarié et un plan de soutien pour certaines entreprises dans le FORMEL. Le périmètre de ce formel est ce qui est reconnu par des critères spécifiques et qui existe dans les bases de données validées par l’État. Les autres n’ont pas d’‘entitlement’, même s’ils ont une carte d’identité nationale et disposent d’un compte bancaire.

La démarche actuelle n’est pas de protéger directement le pouvoir d’achat, mais les salaires des employé.e.s, le remboursement de leurs crédits immobiliers et le plan de soutien aux entreprises du secteur formel.

Cette façon indirecte de transferts et dépenses fiscaux crée des biais, des inégalités, et est également susceptible aux deux erreurs de ciblage susmentionnées – inclusion et exclusion.

Qui sont alors exclu.e.s ? Disons d’emblée qu’il y a de grands trous dans le filet. C’est hyper difficile d’avoir accès à des données et indicateurs actualisés sur ceux et celles exclus : les données sont fragmentées et pas recoupées, ou tout bonnement elles n’existent pas. Et par ailleurs, si les données statistiques des enquêtes existent, comment les rapprocher dans la pratique à ceux et celles en manque de pouvoir d’achat ?

Et ce qui n’est pas compté ne compte pas, cruelle injustice !

Maurice a une grande lacune dans le repérage du secteur informel. L’ODD 8 est de « Promouvoir une croissance économique soutenue, partagée et durable, le plein emploi productif et un travail décent pour tous ». Un des indicateurs pour suivre cet Objectif 8 est « la part de l’emploi informel dans les secteurs non agricoles, par sexe ». Notre République ne fournit pas les données pour cet indicateur qui n’est pas suivi.

Quelques repères pour cerner les exclu.e.s.

Néanmoins, quel ordre de grandeur pour l’informel et les indépendants, exclu.e.s du filet de protection ?  Car les deux ne sont pas identiques, ces derniers étant particulièrement stratifiés : allant du petit commerce employant une personne jusqu’aux médecins et avocats opérant dans le privé ; du petit sous-traitant du bitume au consultant spécialiste de hedge funds dans le secteur financier.

Décryptage du graphique créé à partir des données du Continuous Multipurpose Household Survey, de Statistics Mauritius.

1.Sont exclu.e.s tous les indépendants (own-account workers ), y compris ceux qui étaient employés et maintenant font de la sous-traitance, ainsi que les chômeurs. Il y a des micro entreprises dans cette catégorie déjà très précaire.

2.Une bonne partie des employeurs le sont aussi. Les Petites et Moyennes Entreprises qui constituent la majorité autour des 100 000 et quelque de compagnies enregistrées. Une majorité de ces PME opèrent dans les secteurs et métiers de service, qui sont parmi les plus atteints par la crise de COVID-19 et à risque dans le moyen terme.

3.Exclu.e.s, les employé.e.s, qui ne satisfont pas les critères du Minimum Wage et Negative Income Tax : ceux et celles sans Payslip, travaillant quelques heures, les intermittents, pas enregistrés auprès des fonds de pension. On ne sait pas qui et combien ils sont.

C’est une foule de monde non couvert, dont les témoignages dans les réseaux sociaux laissent entrevoir les drames actuels et à venir.

Soyons plus directs dans l’approvisionnement essentiel en temps de crise.

1. Explorons la faisabilité de la proposition d’Emmanuel Richon, du Blue Penny Museum sur Facebook, que les supermarchés et autres commerces soient ouverts 24h sur 24h, pour la durée de l’urgence, diminuant ainsi les foules. Mais avec toute la réglementation sanitaire respectée pour maintenir la distance physique, la sécurité sanitaire et policière et la disponibilité réelle des ressources humaines.

2. Protéger ce pouvoir d’achat des moyens de subsistance pourrait se faire à travers un revenu minimum universel. Et de manière urgente et immédiate, envisager une ligne de crédit urgent sur compte bancaire personnel. Pour ceux qui n’ont pas de comptes, prévoir un hotline et/ou envoi SMS.

3/ Mettons à contribution le big data des utility companies – MT, CEB, CWA etc. et autres bases de données, comme le registre électoral. Mais cela devrait être impérativement sous sauvegarde de la protection de données personnelles et guidées par la pratique du respect, de la protection et de la jouissance des droits humains. Unissant notre humanité commune à l’épreuve d’une crise planétaire existentielle sans précédent.

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