Denrées rares

Pudeur, dignité et honneur. Quelles denrées rares ces jours-ci! La pénurie est particulièrement ressentie au sein même de ce qui devrait être reconnu comme le temple de la démocratie. Les qualités que nous énumérons plus haut semblent déficitaires à tous les niveaux, et pas seulement dans la sphère politique. Regardez le temps qu’a pris Raouf Gulbul pour débarrasser le plancher et celui, non moins long, qu’a pris Pravind Jugnauth, dont il est l’avocat, pour le protéger. Un peu comme il le fait pour Monsieur Boskalis.

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Le 28 mars 2017, jour de la reprise des travaux parlementaires,  Rajesh Bhagwan frappa un grand coup en adressant à Anwar Husnoo une question sur Vijaya Sumputh et son salaire en tant que nominée politique à la direction de centre cardiaque qui avait aussi alors pour président du conseil d’administration quelqu’un venant du même sérail partisan du Muvman Liberater, Vishwamitra Ramjeet. Ce dernier est accessoirement un conseiller municipal du même parti à Beau Bassin/Rose Hill. Enfin, entre eux !

L’interpellation du député mauve tombait à pic puisque le nouveau ministre de la Santé avait alors choisi de tout déballer, quitte à froisser ses collègues de parti. Pressé de questions par Rajesh Bhagwan, Anwar Husnoo révélait que la nominée politique très personnelle d’Anil Gayan, son prédécesseur, avait vu ses salaires mensuels doubler pour atteindre les Rs 323 000 mensuels. Le ministre, qui paraissait outré par une telle situation, avait fini par annoncer un comité d’enquête sur toute cette sombre affaire.

Cette nomination qui, selon la formule de l’actuel ministre du Tourisme, relevait de la sacro-sainte maxime selon laquelle « Government is Government and Government decides » avait bien été un temps devant l’ICAC sans que l’on sache sur quoi elle avait débouché, puis pendant un bon moment devant l’Equal Opportunities Commission. Du moins lorsqu’elle existait, lorsqu’elle était portée par Brian Glover, qui eut d’ailleurs toutes les peines du monde pour faire aboutir le dossier jusqu’au tribunal. Sans que l’on connaisse la fin de l’histoire.

Elle a apparemment été réécrite par Lutchmeeparsad Aujayeb, l’ancien directeur de l’ICAC et actuel Assistant Solicitor General, à qui avait été confiée la présidence de ce comité d’enquête. Certains ont peu apprécié que les conclusions de cette investigation, qui a quand même coûté des sous aux contribuables, aient pour destin de rester au fond d’un tiroir. Ils ont alors fait ce qu’il y a de mieux: lancer une alerte et distiller des bribes sur les conclusions qui semblent confirmer les dires de Rajesh Bhagwan sur cette nomination scandaleuse. Entre-temps, la directrice et son président, toujours présents — sans pudeur ni réserve, malgré leurs responsabilités publiques — lors des sorties politiques du ML ont été éjectés du centre cardiaque.

L’annonce de ce comité d’enquête ayant été faite à l’Assemblée nationale, la moindre des choses dans une démocratie qui se respecte, c’est que le ministre de la Santé se mette debout, mardi prochain, à l’heure du Statement Time pour faire une déclaration et dire qu’il dépose sur la table du Parlement une copie du rapport Aujayeb sur les dessous du doublement des salaires de Vijaya Sumputh. Mais il ne faut pas se faire d’illusions !
Pudeur, dignité, honneur. Qui aurait pensé que Kalyan Tarolah, le PPS démissionnaire, qui n’a fait que passer dans l’hémicycle lors des dernières séances de l’Assemblée nationale, pour ne pas essuyer les quolibets de l’opposition, aurait osé inscrire une question parlementaire à son nom mardi prochain, alors qu’il sera lui-même l’objet d’une interpellation de Reza Uteem pour usage indécent de sa langue « and other parts » au sein même du Parlement ?

Mais il se l’est autorisé et son Whip Bobby Hureeram a probablement trouvé sa démarche très légitime. Il vous dira sans doute qu’en tant que député, il est libre de poser des questions. C’est comme ça que tout fout le camp. On a vu, mardi, comment le Deputy Speaker, Sanjeev Teeluckdharry, est tranquillement revenu au perchoir pour présider une partie des débats alors qu’il en avait été privé après son passage mouvementé devant la commission d’enquête sur la drogue. Et avec Paul Lam Shang Leen, ça a été un vrai et bien cinglant « don’t make gestures with me. » Gageons qu’il a aussi pu régler sa frustration d’être envoyé en mission que dans les pays d’Afrique, comme si c’était l’enfer sur terre et de ne pas recevoir les per diem auxquels il croit être en droit de s’attendre.

Et alors que l’on avait pu penser avoir tourné la page des excès langagiers propres aux estrades politiques après les tristes épisodes de « femel lisien » et du non moins lugubre projet de «défoncer» Maya Hanoomanjee, voilà que Roshi Bhadain, celui qui fait campagne contre les « dinosaures », a sorti un argument préhistorique selon lequel le leader de l’opposition pose ses Private Notice Questions « kouma enn mamzel pa kone kot pe sorti. » Non, mais c’est quoi ça ?

Qu’il soit dépité par l’attitude de Xavier Duval, qui était venu chaudement le soutenir lors du lancement de son Reform Party le 3 février 2017 et que le leader de l’opposition ait déclaré, enthousiaste, que « nous accueillerons avec grand plaisir Roshi Bhadain sur le frontbench de l’opposition » et que cet engagement ait finalement volé en éclats, on peut comprendre son courroux, mais de là à recourir à des clichés dépassés, avec des sous-entendus dégradants pour les jeunes filles et les femmes pour critiquer son ancien collègue du gouvernement, ce n’est plus la réforme, c’est le retour au primitif. Si ce n’est au primaire.

C’est dire que nous ne recommencerons à avoir des débats sains dans le pays que lorsque les denrées qui se font rares aujourd’hui deviendront des produits de consommation courante. Il est donc urgent de se dépêcher.

 

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