Dis maman, c’est quoi la démocratie ?

« Eh bien, comment t’expliquer ?! C’est quand le peuple décide de son destin en élisant des gens. »
« Mais alors maman, c’est pas une démorcacie alors puisqu’ils font ce qu’ils veulent ces gens… »
« D’abord, ce n’est pas “démorcacie”, mais “démocratie” chéri ! Et puis ils ne font pas ce qu’ils veulent. Il y a des lois. Et il y a aussi différents pouvoirs pour les en empêcher. »

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« Ah bon ? Quels pouvoirs ? »
« C’est long à t’expliquer, mais en gros il y a le législatif, l’exécutif et le judiciaire. »

« Ben toi t’es journaliste maman. Toi aussi t’as du pouvoir, non ? »

« Tu as raison chéri. D’ailleurs, c’est ce qu’on appelle le quatrième pouvoir. C’est très important pour maintenir la démocratie car on dénonce ce qui doit être dénoncé ! »

Cette définition de la démocratie est bien sûr correcte, mais elle n’est pas pour autant toujours appliquée avec la même rigueur à travers le monde en ce qui concerne les différents pouvoirs qui la régissent. D’où la question : Maurice est-elle un pays démocratique ? Réponse : assurément. Et le restera-t-elle ? À cela, la réponse est moins évidente, au vu des propos régulièrement tenus par ceux et celles justement censés garantir l’État de droit et la liberté d’expression, piliers fondamentaux de l’appareil démocratique.

Ainsi n’est-il pas rare de voir de hauts représentants de l’État jeter en pâture au public des invectives aux relents autocratiques envers la presse, lanceuse, à les écouter, de “junk news”, “fake news” et autres “critiques malintentionnées”.

Pourtant, nous ne sommes pas au pays de Donald Trump, où il ne passe pas un jour sans que ce dernier ne s’en prenne aux médias. Raison invoquée : les médias américains dressent, selon leur président, un bilan trop négatif de ses actions. Non, nous, nous sommes ici à Maurice, à des milliers de kilomètres de l’homme à la crinière orange et la langue trop bien pendue. Cela n’empêche visiblement pas nos décideurs de trop souvent s’inspirer de ce dernier, ce qui est loin d’être l’idée du siècle. Car c’est un fait connu : les politiques ont autant besoin de la presse que la presse d’eux. À la différence près que les premiers ne se servent des médias que pour faire écho de leurs discours, et servir ainsi leurs desseins électoralistes, tandis que les seconds, eux, font de la politique l’un de leurs sujets les plus “vendeurs” sans pour autant ne compter (heureusement) que sur cette seule thématique pour toucher leurs lecteurs et auditeurs.

Quoi qu’il en soit, en rien politiques et médias ne sont fondamentalement ennemis. Ce que semblent ne pas comprendre les élus de l’Assemblée. Ceux qui composent le gouvernement, et qui composaient les précédents, ont en effet tendance à oublier l’importance de la liberté d’expression et l’utilité de la presse, exception faite évidemment du jour où ils se retrouvent à nouveau sur les bancs de l’opposition parlementaire. Dernière preuve en date : le 31 octobre dernier, lors de l’inauguration du centre social de Grand-Bois, où Pravind Jugnauth avait lancé à l’adresse des médias : « Ils disent que l’ADSU donne des fruits pourris. Si cela venait de l’opposition, j’aurais pu comprendre, mais pas de la presse. » En d’autres termes, pour notre actuel chef du gouvernement – en sus d’avoir omis dans son équation du jour les conclusions de la commission Lam Shang Leen –, il y a des choses que l’opposition peut se permettre, mais pas la presse, faisant de facto une distinction entre ces deux groupes d’acteurs du contre-pouvoir politique. À ses yeux, faut-il le croire, la liberté d’expression n’a donc pas la même valeur selon la profession que l’on a épousée, politique ou journaliste.

Plus loin, le même jour, Pravind Jugnauth enfonçait le clou en scandant : « Ou gagn drwa kritike, me pa denigre mwa. » Et de mettre ensuite en garde contre les « fake news », reprenant ainsi la récurrence “trumpienne”. Selon son raisonnement donc, toute critique est la bienvenue pour autant qu’elle n’égratigne pas le chef du gouvernement, au risque de se révéler à ses yeux comme un dénigrement de sa personne.

Bien sûr, la presse n’est pas exempte de défauts et il peut arriver que des journalistes commettent des impairs. Mais ces (rares, rappelons-le) erreurs et omissions ne sont jamais le fruit de la mauvaise foi, contrairement à l’autre composante du contre-pouvoir (l’opposition parlementaire). Aussi les médias – à l’exception de la MBC – assument-ils clairement leur rôle d’observer les autres pouvoirs avec un maximum d’esprit critique. Il serait dès lors appréciable que nos décideurs non seulement acceptent d’être critiqués, mais y voient là la preuve que l’appareil démocratique qu’ils défendent continue de fonctionner. Ce qui devrait leur faire honneur !

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