Dr Pascal Nadal : « Il faut repenser l’école en songeant au type de citoyens que nous voulons créer »

Le Dr Pascal Nadal, ancien chargé de cours au MIE et à l’Université des Seychelles, occupe actuellement le poste de Directeur adjoint et de responsable de la formation et de la pastorale scolaire, au Service Diocésain d’Education Catholique (SeDEC). À la fin de ce premier trimestre, il revient sur la réforme éducative, la mise en pratique du projet Kleopas dans les écoles et collèges catholiques, ainsi que la nécessité de développer une approche appropriée pour ceux en difficultés scolaires. De même, il invite à une évaluation qualitative des performances aux examens, afin de mieux répondre aux besoins, au lieu de se fier à des chiffres.

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Vous occupez un nouveau poste créé au SeDEC. Quelles sont vos responsabilités?

Dans le sillage des réflexions pour Kleopas, on s’est rendu compte qu’il y avait un besoin pour la formation. Des manquements identifiés découlaient d’une absence de formation. Cela vient du fait que l’équipe chargée de l’administration, devait, elle-même, s’occuper de la formation. La décision a alors été prise de créer un poste de directeur adjoint, responsable de la formation et de la pastorale scolaire. Ma responsabilité est d’identifier et de coordonner tous les besoins dans le secteur, au niveau de la formation. La nouvelle structure du SeDEC comprend trois adjoints pour épauler la directrice, Mme Chung. Chacun a une responsabilité spécifique, un responsable du primaire, un autre, responsable du secondaire, et moi-même, responsable de la formation et de la pastorale scolaire.

Vos enseignants sont toutefois déjà formés par le MIE et beaucoup détiennent un diplôme universitaire…

Il y a certaines formations qui sont propres au fonctionnement d’une école catholique, et ces formations ne sont pas disponibles auprès des prestataires de services que vous mentionnez. Il faut penser en termes de complémentarité. Le réflexe à Maurice est souvent celui de la substitution. On a tendance à penser en termes de : « L’éducation catholique met en place son antenne de formation, donc elle est insatisfaite des formations existantes ? » Pas du tout ! L’éducation catholique n’a ni l’envie, ni la prétention et encore moins les moyens d’assurer et de certifier la formation de base de ses profs. Ce qu’elle fait, par contre, c’est offrir des formations complémentaires qui sont inexistantes sur le marché et qu’elle juge vitales pour son projet éducatif à elle. Certains de ces cours sont dispensés par le SeDEC lui-même ou d’autres services diocésains comme l’ICJM. Nous faisons aussi appel aux personnes ressources hors du diocèse tant à Maurice qu’à l’étranger.

En quoi consistent ces formations, exactement ?

Elles sont diverses. Il y a, par exemple, des ‘induction courses’ à l’intention de ceux qui rejoignent le secteur de l’éducation catholique diocésaine, et là on ne parle pas que des enseignants. Le personnel administratif et le personnel de soutien sont aussi concernés. Je garde d’ailleurs un très bon souvenir d’une formation à l’ethos de l’éducation catholique pour les ‘caretakers’. Ce sont nos premiers ambassadeurs, car dès que l’élève pénètre dans l’enceinte de l’école ce sont souvent les ‘caretakers’ qu’il rencontre en premier, et l’acte d’éduquer débute avec eux. De même, nous avons un système de formation continue pour nos managers et chefs d’établissements du primaire et du secondaire. Sur le plan pédagogique, nous avons un projet pilote pour que nos élèves développent un meilleur rapport avec l’anglais dès le primaire, car tout passe par l’anglais. Finalement, la formation s’impose pour des matières qui ne sont offertes que dans nos écoles uniquement, comme l’éducation à l’interculturalité, introduite en Grade 1 cette année en tant que matière à part entière. Il en était de même pour le programme d’éducation à l’affectivité et la sexualité, mais celui-ci a été étendu à tous les collèges de l’île à la demande du ministère de l’Éducation.

Et la pastorale scolaire, cela implique la catéchèse?

C’est beaucoup plus large. Avec Kleopas, la catéchèse va progressivement disparaître. À la place, on aura Religious Education, qui sera abordé comme une matière, avec les mêmes exigences. C’est-à-dire, qu’il faut des évaluations, les élèves et les profs doivent avoir un manuel, celui-ci doit être formé… C’est un peu le nouveau visage de la catéchèse. La pastorale scolaire est beaucoup plus large. C’est une façon dont on anime la vie de l’école dans son ensemble. Et cela touche tout le monde, catholiques ou pas. Il y a une petite équipe qui anime la vie de l’école de façon chrétienne, selon les valeurs de l’Évangile. Et cela s’applique même sur le plan de la pédagogie. La pastorale scolaire, c’est une philosophie. C’est une manière de s’assurer que tout ce qui se passe dans une école catholique est en lien avec ce que l’Évangile nous demande. Nous croyons fermement dans l’éducation catholique qu’on ne peut dissocier le volet pastoral du volet académique. En toutes circonstances, nous devons placer l’enfant au centre de notre mission et chercher son bien-être dans la bienveillance et la fermeté.

Ce n’est pas nouveau tout ça…

Exactement. On ne réinvente pas la roue, mais Kleopas est une occasion de consolider les forces là où elles existent et de travailler sur les lacunes là où elles perdurent. C’est un peu comme le titre du document promulgué par le Cardinal Maurice Piat : « Kleopas – Un nouveau souffle ». On vient souffler sur les braises qui couvent sous les cendres. Et c’est justement à ce niveau que la pastorale scolaire vient nous aider, en replaçant les valeurs évangéliques au centre de notre mission éducative. Souvent, lorsque ces valeurs ne sont portées que par une petite équipe de catéchètes, l’animation chrétienne de l’école ne touche que les initiés au sein de la communauté scolaire. Il y a ceux qui suivent les classes de catéchèse et ceux qui ne le font pas… On se retrouve alors avec une école catholique qui fonctionne à deux vitesses sur le plan de la morale chrétienne. La place que l’on fait à la pastorale scolaire vient justement élargir cette offre, car elle est appelée à irriguer la vie de l’école sur tous les plans.

Comment concilier cela avec le système éducatif national laïc dans lequel vous opérez ? C’est une bonne question. Le fait d’opérer dans un système laïc nous place devant une exigence de respect de la conscience et de la liberté religieuse. Tous ceux qui rejoignent une communauté scolaire catholique comme membres du personnel ou comme élèves sont donc invités à participer librement aux activités de l’école. Dans la grande majorité des cas, cela se passe sans le moindre problème. En même temps, les parents à Maurice exercent leur droit fondamental de choisir le type d’éducation qu’ils veulent pour leurs enfants. À ce titre, je ne crois pas avoir déjà rencontré un quelconque parent qui aurait dit en faisant admettre son enfant dans l’une de nos écoles : « Occupez-vous uniquement de sa formation académique et délaissez tout ce qui ne relève pas de l’intellect ! » Au contraire, ils font précisément admettre leurs enfants chez nous pour tout ce que nous offrons au-delà de l’aspect académique et qui touche aux domaines spirituel, culturel et physique. Ils savent que c’est de là que l’école catholique puise sa force et son identité.

Comment le SeDEC a-t-il préparé ses enseignants par rapport à la réforme du système éducatif et au projet Kleopas? Nos enseignants font partie du système de l’éducation nationale et donc ils ont été formés par le MIE et le ministère de l’Education au même titre que tous les autres enseignants de l’île. Mais toujours est-il que nous réfléchissons en interne aux défis que pose le Nine-Year Schooling et nous agissons en conséquence. Par contre, comme Kleopas est propre à notre secteur, nous avons le devoir de nous y atteler pour redonner à l’école catholique le nouveau souffle dont elle a besoin pour se redynamiser. À cet effet, nous avons passé la quasi-totalité de 2017 à communiquer sur les nouvelles orientations de l’école catholique à tous les acteurs et partenaires du secteur : les parents, les paroisses et bien sûr les membres de notre personnel. Ces nouvelles orientations s’articulent autour de cinq chantiers : la charte et le document de référence de l’école catholique, la pastorale scolaire, l’enseignement religieux et l’éducation à l’interculturalité, la formation, et les structures de gouvernance.

Que pensez-vous de la formule « extended stream » où même les enfants n’ayant pas réussi à l’examen du PSAC passent au collège ? Au fait, même dans l’ancien système, ceux qui ne réussissaient pas aux examens du CPE passaient au collège à un moment ou l’autre. Il faut voir la formule en opération et ajuster là où le besoin se fait sentir. Le CPE était beaucoup plus un examen pour éliminer les plus faibles qu’un système d’évaluation au sens propre du terme, et c’est pour cela qu’il a fait son temps. Au fait, vous parlez de l’extended stream, mais la tendance est beaucoup plus de concevoir un ‘extended programme’. C’est-à-dire un programme pour qu’au bout de quatre ans, l’apprenant ait développé plus ou moins les mêmes compétences que ceux qui ont réussi leur PSAC. En plus, la notion de ‘streams’ est connotée. C’est d’ailleurs pour casser cette représentation que dans certains collèges, toutes les classes de Grade 7 portent des noms du genre Grade 7 Red, Blue, Green, Yellow, etc., sans différencier une filière de l’autre.

Pensez-vous qu’il faille une formation spécifique aux enseignants pour travailler avec ces classes ?

Bien sûr. Le ministère de l’Éducation, à travers le MIE, a assuré plusieurs sessions de formation en mode intensif vers la fin de l’année dernière et d’autres sessions se poursuivent cette année. Ce qui importe aussi dans cette formation c’est d’être à l’écoute des profs, surtout ceux qui ont amassé l’expérience du pré-vocationnel. Ça ne doit pas être une formation à sens unique, car ces enseignants du prévoc ont développé une mine de compétences et de remarquables pédagogies alternatives, souvent sans grands moyens, dans un esprit de débrouillardise et dans l’intimité de leurs salles de classe. Tout cela gagnerait à être analysé, discuté et disséminé.

Les enseignants des collèges catholiques se plaignent de plus en plus des difficultés à travailler avec des élèves de différents niveaux scolaires, dans le cadre des « mixed abilities ». Qu’en pensez-vous ?

Oui, c’est un fait que des difficultés existent. Mais avec le temps, on a dépassé le stade de la réticence à l’égard des ‘mixed abilities’. J’enseignais moi-même au secondaire au moment où le concept a été introduit et on ne peut comparer les postures d’alors avec celles que nous observons aujourd’hui… Les enseignants ont fini par incorporer ce paramètre dans leur fonctionnement malgré les difficultés, ce qui démontre une certaine souplesse. Le défi c’est de travailler avec eux pour développer une pédagogie différenciée qui soit vraiment soutenable et adaptée aux réalités locales. De plus en plus d’enseignants affirment qu’entre les plus faibles du ‘mainstream’ et les élèves du pré-voc, il n’y a presque plus de différence de nos jours. Certains élèves arrivent en Grade 7 dans le ‘mainstream’ et ne savent pas former les lettres de l’alphabet correctement… Ce qu’il faut c’est un bon système de remédiation pour tous. Il ne faut également pas négliger les contraintes liées à l’espace et au nombre d’élèves, par exemple.

Mais comment en arrive-t-on là ? Qu’on ne soit plus à même de différencier le pré-voc du ‘mainstream’ dans certains cas… Il y a plusieurs facteurs : la détection des difficultés d’apprentissage qui reste encore à parfaire, la promotion automatique, le curriculum et aussi la question de l’évaluation. Il faut faire bien attention aux chiffres. On peut leur faire dire tout et n’importe quoi en même temps, car d’une année à une autre les ‘pass marks’ peuvent fluctuer énormément et décroître de façon insoupçonnée. Prenez les derniers examens du PSAC par exemple, le fait que le seuil pour obtenir une unité ait été ramené à 75 points et que, pour les langues, la composition écrite n’est plus obligatoire et rapporte seulement dix points, certains élèves ont été moins exposés aux rédactions en classe que les années précédentes. La raison c’est que même en scorant zéro pour cet exercice au PSAC, le candidat se retrouve avec un résultat d’une unité ! Au final, l’enseignant du secondaire se retrouve, l’année suivante, avec une classe de Grade 7 en ‘mainstream’ où certains maîtrisent parfaitement l’art de la rédaction, alors que d’autres s’y sont à peine essayés jusque-là…

Les taux de réussite aux examens de SC et de HSC sont en baisse depuis quelques années. Comment, selon vous, peut-on améliorer la situation ?

Je n’ai pas forcément la solution et je me demande si celle-ci existe en forme unique. Le problème lorsqu’on se base sur les taux uniquement, c’est qu’on a des repères qui sont purement quantitatifs, et comme je l’ai dit plus haut, les taux peuvent faire des bonds incroyables dans un sens comme dans l’autre simplement en ajustant la note de passage. De plus, lorsqu’on compare, par exemple, ce que représentait un ‘credit’ de 3 en anglais il y a 20 ans de cela avec la performance de certains étudiants qui obtiennent cette même note de nos jours aux examens de Cambridge, c’est à ne rien comprendre !

On a donc besoin d’indicateurs qualitatifs… Oui, à un moment où la technologie règne en maître, on ne peut se contenter que de pourcentages et de repères numériques. Je me demande à chaque fois comment j’aurais fait pour continuer à enseigner la littérature anglaise au collège de nos jours avec l’internet. Avant même d’arriver en classe, l’étudiant peut consulter sur internet toutes les notes explicatives sur le texte ainsi que les versions simplifiées, visionner l’adaptation cinématographique du texte, accéder aux tutorats en ligne sur Youtube et consulter les rapports des examinateurs sur la matière… En quelque sorte, il faut repenser l’école au 21e siècle en songeant au type de citoyens que nous voulons créer. On ne pourra pas créer une génération de ‘solution-makers’ si on n’évolue pas à la même vitesse que ceux que nous éduquons. Ils se moqueront de nous en leur for intérieur. Ils le font déjà.

Vous avez travaillé à l’Université des Seychelles, y a-t-il de bonnes pratiques qu’on pourrait appliquer ici ?

Même si Maurice et les Seychelles ont beaucoup en commun sur le plan de la culture et surtout de la langue, il est difficile de comparer ces deux contextes. Sur le plan économique par exemple, les besoins des Seychelles s’articulent surtout autour du tourisme et de la pêche, ce qui n’est pas le cas pour nous. Aussi, les Seychelles ont connu une histoire politique très singulière et très mouvementée par rapport à nous, avec entre autres, le coup d’état de 1977. Certaines décisions prises dans le domaine éducatif sont le fruit d’une doctrine politique socialiste assumée, comme la fermeture des écoles confessionnelles et le renvoi des congrégations religieuses œuvrant dans l’éducation, la création d’une école publique unique et l’adoption du créole comme médium d’enseignement… De plus, la composition démographique et ethnique des Seychelles est singulièrement différente de la nôtre. Cela leur permet d’avoir une conception de la créolité qui est à des années-lumière de la nôtre. Du reste, ils se moquent parfois de notre Festival Kreol. Ils l’appellent « Kreol Fler », c’est-à-dire un truc exotique pour surtout attirer les touristes. Je pense que ce que les Mauriciens envient surtout chez les Seychellois, c’est leur aisance avec la langue anglaise. Any Tom, Dick and Harry can converse effortlessly in English, qu’il soit mécano, policier ou poissonnier. Cela s’explique par un ensemble de facteurs. Aux Seychelles, lorsque vous souscrivez à la télé par satellite, le bouquet en français est offert en option à un prix additionnel, alors qu’à Maurice c’est le contraire ! Donc, dès le primaire, les enfants prennent l’habitude de visionner des films américains en version originale et sans aucun sous-titre… Chose qui serait inimaginable à Maurice, parfois même au secondaire ! Mais comme la perfection n’existe pas, l’insécurité linguistique qui prévaut à Maurice par rapport à l’anglais parlé, ils la vivent là-bas par rapport au français. Mais entre les deux, ils semblent avoir décidé que celle-ci est un moindre mal !

Quel est votre constat de l’enseignement du Kreol Morisien, après six ans? Le Kreol Morisien au primaire se porte bien, tant sur le plan quantitatif que qualitatif. C’est la deuxième langue optionnelle la plus prisée après le hindi. Dans nos écoles RCA, le KM est offert dans 46 écoles. Il y a de moins en moins d’élèves qui n’optent pour aucune langue optionnelle. En plus, il y a des élèves qui rejoignent les classes de KM tout au long du cursus. Cependant, on a des dynamiques différentes, dépendant des écoles. Par exemple, dans certaines écoles très prisées de la ville, les parents ont plus tendance à faire l’enfant arrêter le KM dès les premières difficultés. Ils ne donnent pas le temps de trouver des solutions aux difficultés. Mais dans d’autres écoles, il n’y a pas ça. Par contre, je note une fascination pour Modern Chinese, dans les grandes écoles urbaines. C’est dommage que par la suite, il y a 50% de la classe qui abandonne car c’est difficile d’apprendre le Modern Chinese dans le contexte mauricien, car ils ne sont pas exposés. Souvent, les profs qui nous viennent de Chine, ne parlent pas français, il y a donc une difficulté de communication. Pour revenir au KM, je ferai ressortir que le papier de PSAC est modelé sur celui du français et de l’anglais. C’est donc complet, avec différents types d’exercices. C’est différent du papier des langues orientales. Pour ce qui est de l’introduction du KM au secondaire, il y a eu quelques confusions au départ, sur qui peut enseigner le KM. Nous, on pensait que nos enseignants qui ont fait le Prevokbek, allaient pouvoir le faire, mais ça n’a pas abouti. Tout cela explique pourquoi nous avons été incapables de proposer KM dans tous nos établissements. Valeur du jour, nous avons le KM en Grade 7 dans cinq collèges. Nous avons d’autres profs en formation et nous espérons que ce chiffre va évoluer.

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