DR RESCHAD NOORDALLY (néphrologue) : « La dialyse : une étape vers la transplantation rénale »

Après ses études au collège St-Esprit, Reschad Noordally abandonne ses rêves de devenir ingénieur et va étudier la médecine générale puis la néphrologie, c’est-à-dire la spécialité médicale qui s’occupe des maladies rénales. Après ses études, il revient à Maurice avec un projet sur la maladie rénale qui n’a pas été accepté par le ministre de la Santé de l’époque. Le jeune Dr Noordally rentre en France, va d’abord travailler à Marseille puis à La Réunion, d’où est originaire son épouse. Tout en travaillant, il continue ses études, décroche un master en gestion de politique de Santé à Sciences Po. À La Réunion, il crée des centres de dialyse et depuis peu est le coordonnateur du pôle néphrologique de l’Est (Aurar) à l’île soeur. Le Dr Reschad Noordally vient de passer quelques jours à partager son expérience avec ses collègues néphrologues mauriciens. Il a également accepté de répondre à nos questions sur sa spécialité, l’insuffisance rénale.
 
À quoi sert le rein dans le corps humain ?
C’est l’organe qui assure l’épuration du sang. Son premier rôle est de fabriquer l’urine, qui évacue tous les liquides et les déchets que le corps humain doit éliminer. Il nettoie et maintient l’équilibre du corps. La composition du sang dans le corps humain ne peut pas trop varier et le rein filtre et assure l’équilibre nécessaire. Le rein participe fortement à l’équilibre de la tension artérielle et hormonale du corps en fabriquant par exemple la vitamine D. Sans rein, on ne peut pas vivre, mais quand il ne fonctionne pas, on peut le remplacer par un rein artificiel.
 
Qu’est-ce que l’insuffisance rénale ?
On peut être malade des reins — de calculs, par exemple — sans avoir d’insuffisance rénale. On parle d’insuffisance quand le rein ne parvient plus à assurer ses principales fonctions. Cette insuffisance a atteint aujourd’hui la dimension d’une épidémie mondiale. C’est une maladie sournoise qui n’est pas contagieuse, ni infectieuse ni transmissible. Avant, il n’y avait pas de traitement et les gens mourraient. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas et contrairement à ce que l’on continue à dire, la dialyse ne tue pas. C’est au contraire un traitement qui permet de sauver le malade.
 
L’insuffisance rénale est une maladie qui atteint tout le monde, indistinctement, ou y a-t-il a des gens qui ne souffrent jamais de cette maladie ?
Chaque être humain a deux reins chacun, composé d’un million ou d’un million et demi de petites usines. On dit souvent qu’un tiers d’un rein suffit pour vivre. Quand on prend de l’âge, tout comme la peau prend des rides, les reins vieillissent et on estime qu’à partir de quarante ans le rein perd un pour cent de sa valeur par an. L’insuffisance rénale n’affecte pas tous les êtres humains. Il existe deux principales maladies qui abîment le rein, le diabète et l’hypertension artérielle. Ces deux maladies sont des fléaux mondiaux qui expliquent le nombre de personnes qui sont en instance rénale chronique et ont besoin de dialyse. Il y a trente ans, les gens atteints de diabète mourraient avant qu’ils aient le temps d’abîmer leurs reins au point d’avoir besoin de dialyse. Aujourd’hui, les progrès de la médecine, notamment dans le domaine de la cardiologie, font que les diabétiques sont vivants trente ans après le déclenchement de la maladie et ont le temps de faire de l’insuffisance rénale et ont besoin d’une dialyse. C’est la même chose pour l’hypertension qui a, si l’on peut dire, une drôle de relation avec le rein. L’hypertension est probablement le premier signe d’un rein malade. Mais attention, il ne faut surtout pas généraliser, tous les hypertendus n’ont pas les reins malades, mais si on ne les soigne pas, la maladie va abîmer les reins. Paradoxalement, le rein est à la fois responsable de l’hypertension et sa victime. Soigner l’hypertension est indispensable pour empêcher la maladie rénale, surtout qu’au départ on ne sent rien et on néglige de se soigner. Quand on découvre que les reins sont atteints, généralement à l’âge de la retraite, il est déjà trop tard.
 
La conjugaison de ces deux maladies crée en quelque sorte une bombe dans le corps humain.
Ces maladies se conjuguent malheureusement puisque le diabète abîme le rein qui, malade, donne de l’hypertension. C’est pourquoi il faut à tout prix ralentir la maladie rénale.
 
Paradoxalement, ce sont donc les progrès de la médecine qui ont permis aux maladies rénales de se développer à une grande échelle !
 On peut dire ça comme ça. Mais, heureusement, la médecine avance et d’ici vingt ans, on finira par guérir la maladie rénale, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. On ne la guérit pas, mais on a des moyens pour la ralentir et il faut le souligner. Pendant très longtemps, on a cru qu’on ne pouvait rien faire contre les maladies rénales et qu’il fallait attendre pour faire la dialyse. On pense encore médicalement comme ça aujourd’hui et certains de mes collègues néphrologues mauriciens m’ont dit qu’on leur envoie des malades seulement quand ils ont besoin d’une dialyse. Alors qu’on dispose aujourd’hui de moyens pour ralentir la maladie, repousser la dialyse.
 
Quels sont les signes avant-coureurs de la maladie rénale ?
C’est une maladie sournoise, pour reprendre l’expression connue. On ne ressent rien jusqu’à très, très tard et il est difficile de convaincre un patient qu’il est malade. Il se dit que c’est le médecin qui dit qu’il est malade, alors que lui ne ressent rien. Pendant ce temps, la maladie progresse silencieusement et ce n’est qu’au stade terminal — pour le rein, pas pour le patient — qu’il commence à ressentir des symptômes. Cela va commencer par une fatigue qu’il ne peut pas expliquer, un petit essoufflement, de l’insomnie. Ses jambes vont gonfler parce que ses reins ne vont pas éliminer l’eau. Son appétit va diminuer, il va maigrir et pourtant son poids ne se modifie pas parce que l’eau a pris la place des muscles. Après va apparaître une anémie, ses activités intellectuelles vont ralentir, il aura des difficultés à lire. C’est plus une sensation de mal-être qu’on ne peut expliquer. Cette maladie se déclare aussi chez les gens obèses qui ont passé leur vie à essayer de faire des régimes. Quand la maladie arrive, ils maigrissent et pensent que c’est le régime qui marche enfin et laissent la maladie s’installer.
 
Existe-t-il un test de dépistage pour la maladie rénale comme pour le diabète ?

Non, parce que cela coûterait trop cher et ne donnerait pas forcément de bons résultats. Par contre, on sait qui sont les personnes qui souffrent de diabète et d’hypertension, et elles doivent bénéficier d’un test de dépistage pour les maladies rénales tous les ans. Elles doivent obligatoirement faire une analyse de sang et d’urine. Nous avons deux principales méthodes pour ralentir la maladie : faire baisser le taux d’albumine dans les urines et faire baisser la tension artérielle. Et on a la chance que ce soit à peu près le même médicament qui est utilisé dans les deux cas. C’est une chance si les malades acceptent de le prendre, d’aller consulter et surtout d’écouter leur médecin, même s’ils ne ressentent rien.
 
Depuis combien de temps est-on plus informé sur cette maladie que l’on qualifiait autrefois d’urée ?

Depuis que la dialyse a été mise au point. En France, avant 1965, il n’y avait pas de dialyse pour tout le monde. La dialyse au sens routinier du terme date des années 1970. La pratique est récente, parce qu’elle a été difficile à mettre en place, mais la découverte date de la IIe Guerre mondiale.
 
C’est quoi concrètement la dialyse ?
Il faut d’abord dire que cette maladie a plein de conséquences qu’on ne connaît pas encore. Il faut donc prévenir ces complications et ne pas attendre la dialyse. La dialyse, qui n’est pas réservée qu’aux reins, est un phénomène physico-chimique découvert vers 1880 par un professeur anglais à l’université d’Oxford. Il permet de séparer un liquide d’un autre grâce à une membrane qui permet de faire passer certaines substances et pas d’autres. C’est ce phénomène qui est appliqué pour faire l’hémodialyse ou dialyse rénale. Mais aujourd’hui, il y a tellement de gens malades qu’on dit dialyse tout simplement. C’est donc un filtre à travers lequel on fait passer le sang du patient d’un côté et de l’autre on fait passer un liquide qui est proche du sang d’une personne qui n’est pas malade. Il y aura des échanges qui vont se faire entre ce liquide et le sang à travers la membrane semi-perméable.
 
La dialyse aide-t-elle le rein malade à fonctionner ?
Non, la dialyse ne peut pas remplacer complètement le rein mais elle remplace sa fonction d’épuration. Mais attention, même si un malade est dialysé, il doit continuer ses autres traitements, comme par exemple celui contre l’anémie.
 
La dialyse, c’est la méthode miracle pour guérir d’une insuffisance rénale ?
Non. La méthode miracle c’est la transplantation. Nous devons aujourd’hui vivre la dialyse comme une étape vers la transplantation rénale, qui remplace le rein malade par un autre qui fonctionne normalement. Une transplantation rénale réussie améliore la qualité de vie du patient et sa durée. Les patients qui ont été transplantés disent tous qu’ils ont l’impression de revivre.
 
Cette transplantation est-elle facile à faire, est-elle onéreuse ?
Elle coûte beaucoup moins cher, et de loin, que la dialyse. L’opération coûte cher au début, mais après on n’a plus besoin de dialyse toute l’année. Même au plan financier, la transplantation est un avantage, mais également sur le plan humain et psychologique.
 
Cela coûte cher une dialyse ?
Oui. Elle coûte très cher et cela va coûter énormément pour les services hospitaliers publics au niveau mondial. De toutes les façons, il n’existe que deux moyens de diminuer le nombre de dialysés. Ralentir la maladie ou faire des transplantations. Il faut arriver à un point où l’on pourra greffer le patient sans passer par la case dialyse, c’est-à-dire faire une greffe préemptive.
 
À condition que la maladie ait été repérée suite à des examens médicaux et les traitements prescrits suivis.
Pour cela il faudra faire de grandes campagnes d’information, pas seulement au niveau du grand public mais aussi des professionnels de santé.
 
Ne sont-ils pas assez informés sur cette maladie ?
Pour ce qui est des professionnels de santé, je préfère utiliser le terme sensibiliser plutôt qu’informer. Ils doivent être sensibilisés et cela au niveau mondial.
 
Y a-t-il suffisamment de médecins formés pour s’occuper des malades, de plus en plus nombreux, atteints d’insuffisance rénale à Maurice ?
Il n’y a pas assez de médecins au niveau mondial pour faire face à cette maladie. À Maurice aussi il n’y en pas assez, mais je crois savoir que le ministère de la Santé est en train de réfléchir là-dessus.
 
Comment faire pour soigner une population malade qui augmente avec des néphrologues qui ne sont pas assez nombreux ? On parle là du cas mauricien.
Il ne faut pas attendre que l’on ait formé des néphrologues, ce qui peut prendre dix ans. Il faudrait prendre des généralistes et leur donner une formation d’une année qui leur donne les outils nécessaires pour agir. Les spécialistes mettront en place des guidelines pour que ces médecins formés puissent travailler correctement. En cas de problème, ils pourront faire appel aux spécialistes.
 
Le système hospitalier mauricien est-il suffisamment équipé pour lutter contre les maladies rénales ?
Je trouve que Maurice s’en tire pas mal. Cela fait la deuxième fois que je viens à Maurice en deux ans et je trouve qu’il y a une nette amélioration avec la mise en place de standards qui sont presque de niveau européen. Mais cela ne suffit pas. Il faut arrêter de faire, comme on le disait dans les années 1980, une fuite en avant en ce qui concerne la dialyse. Il faut prévoir des places pour que les gens soient dialysés dans de bonnes conditions, mais il faut surtout empêcher qu’ils arrivent au stade de la dialyse en les greffant. Pour ce faire, il faut avoir des reins disponibles et c’est un problème majeur.
 
N’importe qui peut-il donner un rein ?
Normalement oui, mais il faut que le donneur et le malade soient compatibles et que le rein offert soit en parfait état de fonctionnement. Il n’y a plus de contre-indication par rapport à l’âge, comme autrefois.
 
Celui qui donne un rein n’est-il pas diminué ?
Jamais de la vie. Je vous ai dit, au départ, que le tiers d’un rein suffit à un être humain. Comme nous avons tous deux reins, un seul suffit amplement.
 
L’opération est-elle facile à faire ?
Elle est connue, facile à faire et elle est pratiquée sur une petite échelle à Maurice. Pour augmenter la quantité, il faudra que la société mauricienne évolue sur le plan de la réflexion sur la possibilité du prélèvement d’organes sur les personnes en état de mort encéphalite, comme cela se fait ailleurs dans le monde. Un mort encéphalite, c’est quelqu’un dont le cerveau est arrêté alors que le corps fonctionne normalement. Avec un seul prélèvement, on soigne, on guérit deux personnes. Il faut que les Mauriciens se demandent s’ils ont cette générosité de donner un de leurs reins à quelqu’un qui en a besoin pour survivre. Est-on prêt à faire ce geste d’humanité ou est-ce que l’on préfère que des reins intacts, capables de sauver des vies, aillent pourrir sous terre ou soient incinérés ?
 
Une réponse positive à cette question aiderait-elle à régler le problème de l’insuffisance rénale à Maurice ?
Elle participerait à résoudre une partie du problème mais pas la totalité. Il n’y aura jamais assez de morts encéphalites pour soigner tous les malades. Cependant, il faut penser sérieusement à cette question en se disant que la question du don d’organes ne se réfléchit pas en situation passionnelle. Ce n’est pas quand j’ai un proche qui va mourir que je vais réfléchir à cette question. C’est avant qu’il faut le faire, en discuter avec ses proches, prendre une décision et faire en sorte qu’elle soit mise en pratique si le cas se produit. Il faut que la réflexion soit faite de manière dépassionnée et que la décision soit prise avant.
 
Le débat sur ce sujet est-il plus avancé à La Réunion ?
Là-bas le débat est lancé, l’information circule et, surtout, il existe une loi qui autorise les prélèvements d’organes avec l’accord préalable de la personne concernée. Il faudra que Maurice réfléchisse en ce sens.
 
On a parlé de médicaments qui, mal utilisés, peuvent, paradoxalement, aider la maladie rénale à se développer.
C’est une question qu’il faut absolument aborder. Il existe en effet des médicaments qui sont contre-indiqués dans les maladies rénales qui abîment les reins : les anti-inflammatoires. À un moment donné, il faut absolument que le malade ne prenne pas d’anti-inflammatoires qui, utilisés de façon abusive, peuvent donner des maladies rénales.
 
Que souhaitez-vous dire pour terminer ?
Souligner le mot prévention. Qu’il faut prendre soin de soi, surtout si on est hypertendu ou diabétique, des facteurs de risque des maladies rénales. J’aimerais insister sur le don des reins, cet acte de générosité humaine qui peut permettre à deux malades de guérir des maladies rénales. J’aimerais que les Mauriciens se rendent compte que le don de rein est une solution à la maladie dans la mesure où, quand nous sommes morts, nos reins peuvent soigner des vivants malades. J’aimerais aussi dire qu’il faut que les malades et leurs parents se prennent en main, se mobilisent pour créer une fondation. Cette fondation pourrait aider les malades mais aussi les autorités à combattre la maladie, à lever des fonds pour aider la recherche, l’éducation et l’information pour mener vers la prévention. Il faut aussi que l’on traite les maladies avec empathie, ils en ont énormément besoin.

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