ÉCOLE PÈRE HENRI SOUCHON : Un plan de vie pour les 225 recalés du CPE

Dessiner un plan de vie pour les recalés du CPE. Telle est la mission que se donne l’École Père Henri Souchon, à Pointe-aux-Sables, anciennement connue comme l’école Oasis de Paix. Cela fait huit ans que l’établissement s’efforce de mettre à la disposition de ses élèves tous les moyens possibles afin de leur donner un meilleur départ dans la vie. Une seconde chance en quelque sorte. L’an dernier, des 13 anciens recalés du CPE s’étant portés à nouveau candidats à ces examens, tous ont réussi après trois années d’accompagnement. Pouvant accueillir 300 jeunes, indépendamment de leur groupe ethnique, l’école en compte cette année 225. Un mélange de pédagogie formelle et non-formelle pour les plus habiles académiquement et une classe purement non formelle pour les moins aptes côté études. Le but final est le même pour tous : une discipline de vie pour que ces adolescents soient mieux armés pour intégrer le monde du travail et gagner dignement leur vie. Reportage.
À Pointe-aux-Sables, face à la mer, une imposante structure de deux étages aux couleurs mariales. Le bleu et le blanc qu’affectionnait tant le prêtre dont l’école porte le nom. Sortie de terre grâce au parrainage de la Compagnie mauricienne de textile (CMT), sur un immense terrain à bail accordé au diocèse de Port-Louis. Un lieu où le soleil fait généreusement jaillir sa lumière. Un endroit calme et reposant, en pleine nature, propice à l’apaisement du tempérament souvent remuant et débridé des jeunes élèves. Pourtant, malgré ce cadre idyllique, « la tâche demeure ardue », fait ressortir la directrice et cofondatrice de l’établissement, Monique Leung. « D’année en année, nous recevons des jeunes de plus en plus difficiles. » Elle y voit là le reflet de l’évolution de la société où les « roles models se font de plus en plus rares ; or, les jeunes en ont besoin ; il leur est important d’apprendre les règles de la vie ». Elle poursuit : « Ces enfants sont pour un bon nombre issus d’un milieu familial difficile. Ce n’est guère évident de les manier et les faire obéir. Certains ne portent pas l’uniforme que l’école leur a gratuitement offert et quand on les interroge, ils répondent tout simplement qu’ils l’ont perdu. Nous n’avons pas le droit de leur laisser faire ce qu’ils veulent. La discipline est très importante », souligne-t-elle. Mais, à force de persévérance, une performance satisfaisante a été notée l’an dernier chez certains, notamment chez ceux ayant pris part au CPE, où tous ont réussi.
Cette année, deux classes d’élèves seront candidats au CPE. Et, autre élément encourageant pour la directrice, quand elle pense à ces élèves qui, grâce à l’école, ont pu intégrer des collèges pour préparer leur School Certificate. Elle nous cite l’exemple de ce jeune qui représente à ses yeux « un lauréat ». Ayant essuyé des échecs après deux tentatives au CPE, il devait, à force de persévérance, intégrer la Form I dans un collège. « Alors que ses amis de classe avaient environ 11 ans, lui en avait 15 ou 16, ce qui était loin d’être facile. Mais il a persévéré et a pu obtenir son SC avec cinq 0-levels. Pour moi, c’est un lauréat ! »
Ayant débuté avec 13 filles en 2006 rue Saint-Georges, l’École Père Henri Souchon, inaugurée en mai 2013, compte aujourd’hui 225 filles et garçons. Plusieurs types de classes formelles et non-formelles sont offerts, dépendant du profil de l’élève. Car, ici, ils ne sont pas regroupés selon l’âge. À leur arrivée, un mentor évalue leurs diverses aptitudes en vue de déterminer la classe qui leur convient. L’école compte six niveaux, de 1 à 6. Ceux des niveaux 1 à 3 suivent des classes non-formelles qui, comme le nom l’indique, sont différentes de ce que l’on enseigne dans le cycle scolaire normal. « Ici, on suit le rythme de l’enfant et non le rythme du programme national. » Ils ont ainsi des ateliers d’artisanat, de pâtisserie et de cuisine, de pyrogravure, de menuiserie, de couture et de broderie et d’art floral, entre autres. « Mais il arrive qu’en niveau 3, certains soient jugés aptes par le mentor à passer au niveau 4. Ils continuent alors avec les classes non-formelles tout en faisant aussi des classes formelles. Certains peuvent aller jusqu’en CPE. »
Les ateliers, selon la directrice, ont pour but de leur apprendre « à se servir de leurs mains et de développer des aptitudes », le plus souvent cachées. « Ce qui peut, par la suite, les aider à trouver un stage dans une entreprise. La CMT prend nos garçons de 16 ans pour des stages en filière électrique et en mécanique. La compagnie Metal Sheet et l’hôtel Trou-aux-Biches nous offrent aussi des stages. »
Nous sommes au rez-de-chaussée. La directrice nous guide vers le Multimedia Digital Language Laboratory, aménagé grâce à la Mauritius Commercial Bank et l’Australian High Commission. Nous rencontrons des élèves en CPE préparatoire. « Ce sont des élèves qui préparent le CPE, mais qui ne sont pas encore prêts. Ils ne prendront pas part aux examens cette année », explique Monique Leung. Le laboratoire compte 20 ordinateurs? « car notre but est d’accueillir au maximum 20 élèves ». Ce jour-là, Georges Sababady, mentor, accompagne le technicien informatique qui a conçu un programme pouvant afficher les réponses de chaque élève sur le tableau interactif. Au moyen de leur souris, et ayant devant eux un écran où apparaît un ancien questionnaire d’examen du MES, les élèves cochent ce qui est, selon eux, la bonne réponse. Un temps limité leur est accordé, après quoi ils doivent fermer le fichier. Les résultats apparaissent ensuite sur le tableau interactif, où le mentor prend note du nombre d’élèves ayant eu neuf bonnes réponses sur dix ou une seules bonnes réponses. Il commence toujours par reprendre l’élève le plus faible, lui expliquant pourquoi la réponse qu’il a donnée n’est pas bonne. « Un des avantages est que l’enseignant ne perd pas de temps en écrivant les questions au tableau et il reste du temps pour la correction. Ce qui n’était pas toujours le cas dans le parcours traditionnel. Et pendant que le prof écrit au tableau, l’élève a tendance à regarder sur le cahier de son ami ou à bavarder. Ici, ils peuvent mieux se concentrer. » Pour Monique Leung, « même si certains ne réussissent pas leur CPE, ce n’est pas un échec total », précisant : « Notre but est de leur donner les bases nécessaires en leur apprenant à lire, écrire et mesurer, pour qu’ils puissent avoir une certaine autonomie. »
Nous pénétrons cette fois dans la classe d’informatique. Ici, des ordinateurs recyclés par la compagnie Leal ont été mis à la disposition des élèves dans le cadre de son programme E-Inclusion. Une dizaine d’élèves s’initient à la rédaction d’une correspondance en anglais. « Quand des ordinateurs tombent en panne, on nous en offre d’autres recyclés. » Juste à côté, dans l’atelier « garment », des machines à coudre industrielles, offertes cette fois par la CMT. « Notre projet est de préparer des filles et des garçons à travailler sur ces machines et, peut-être, par la suite, suivre une formation plus poussée et reconnue au Mauritius Institute of Training and Development (MITD). L’an prochain, on devrait démarrer une formation plus professionnelle en textile and design pour nos élèves. »
Dans l’atelier de couture et de broderie, les jeunes filles apprennent aussi à observer la discipline et le calme. Idem pour celles qui s’initient à la pâtisserie et à l’art floral. « Nous avons un petit local, qui était initialement destiné à abriter un vigile. Mais on voudrait réaliser une extension pour en faire une boutique artisanale afin d’écouler les produits de nos élèves. Nous pourrions prendre des commandes avec des entreprises. Déjà, nous avons Abax, à Ébène, qui achète des bouquets de fleurs chaque semaine pour ces réceptions. Nous souhaiterions aider nos jeunes à démarrer et à devenir plus tard des entrepreneurs. On leur apprend à faire leur budget et fixer les prix de vente en considérant la marge de profit. »
Démarche similaire dans l’atelier pâtisserie et cuisine où, le jour de notre visite, des gâteaux, tout juste sortis du four, sont mis en vente aux profs de l’établissement. « Le but est de récolter de l’argent pour pouvoir acheter les ingrédients pour continuer l’activité. » Parrainé par Emtel, l’atelier pâtisserie est entièrement équipé. Les élèves sont formées par Françoise Gouges, qui apporte son aide bénévolement une fois par semaine. Quant à Gaëlle Brelu-Brelu, elle y travaille à plein-temps et estime que ce cours « initie les apprenants aux règles de l’hygiène et les aide à se socialiser ». Gâteaux, spaghettis, jus, milk-shake… Les élèves y apprennent à concocter de tout. Monique Leung explique : « Ce cours prépare ceux et celles qui veulent se lancer dans l’hôtellerie plus tard. Dans le passé, quand nous n’avions pas encore ce cours, nos élèves ont rencontré beaucoup de difficultés parce que ce secteur est très exigeant, sans compter qu’il faut travailler le jour de Noël et du Nouvel An. »
L’établissement compte également un “espace Père Henri Souchon”, inauguré cette année par l’évêque de Port-Louis. Un coin de prières y a été aménagé comprenant la série de chasubles portées par le prêtre de son vivant. Y sont aussi exposées toutes ses bibles, qu’il avait collectionnées dans toutes les langues parlées de l’île (hindi, telegu, mandarin et, même, en araméen, la langue parlée de Jésus). « Dans son testament, le père Souchon a écrit qu’il voulait que tous ces objets qui lui appartenaient soient conservés à l’école », indique Monique Leung. Sont également exposés des clichés retraçant ses années de formation au séminaire de Rome ainsi que les divers parcours de sa vie sacerdotale. Une vie jalonnée de disciplines, d’amour, de luttes incessantes pour les moins chanceux de la société… Des valeurs qu’il souhaiterait certainement voir se perpétuer chez les élèves de l’école qui porte son nom…

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