ÉCOLOGIE : Un précieux criquet primitif refait surface…

Yeux bleus, pattes rouges, antennes striées de noir et de blanc, belle robe verte, le criquet Pyrgacris relictus est magnifique, et surtout, il est vivant ! S’il n’avait pas déjà été nommé et décrit d’après un spécimen collecté dans le passé, Sylvain Hugel lui aurait peut-être affecté l’épithète superbus comme pour la nouvelle espèce de grillon qu’il a découverte à Rodrigues en 2012 (un Metioche). L’entomologiste qui se passionne pour nos forêts et marécages, a dû se pincer pour y croire il y a quinze jours, lorsqu’il a découvert au sol quelques juvéniles de cette espèce considérée éteinte depuis plusieurs années, qui relève d’une famille endémique aux Mascareignes, ce qui le situe dans la catégorie des animaux terrestres les plus précieux de la région…
L’entomologiste français Sylvain Hugel a tout fait pour retrouver le criquet Pyrgacris relictus depuis douze ans qu’il consacre tous ses congés à sonder les marécages, forêts et autres zones humides mauriciens et réunionnais pour la recherche et l’observation d’orthoptères mascarins. Dans la classification taxonomique, cet insecte est particulièrement précieux pour la science et l’histoire naturelle parce qu’il est endémique de Maurice en tant qu’espèce et surtout qu’avec une seule autre espèce — son cousin réunionnais Pyrgacris descampsi, gravement menacé lui aussi — il représente une famille endémique des Mascareignes qui compte parmi les plus primitives, au même titre par exemple que le dodo, le solitaire ou le boa fouisseur de l’île Ronde.
Son classement dans la « généalogie » scientifique des espèces le situe donc probablement avant la naissance des îles mascarines que nous connaissons, ce qui permet d’imaginer qu’il a vécu sur les terres émergées du plateau avant la formation volcanique de Maurice. « C’est un criquet qui ressemble à un phasme ! », s’exclamait Sylvain Hugel la semaine dernière lorsque nous l’avons rencontré en forêt aux lendemains de sa découverte. « C’est un criquet et pourtant toutes les caractéristiques habituelles de ce type d’insecte en sont effacées. Il n’a pas d’ailes, même pas une trace comme cela se voit ailleurs. Il ne dispose pas de tympan pour l’audition et ses pièces génitales sont différentes de celles qu’on trouve généralement sur les criquets. Dès le départ en 1968, Marius Descamps a éprouvé des difficultés à le classer car il ne disposait pour cela que d’un unique spécimen mâle provenant de Maurice et d’une femelle qui avait été collectée à La Réunion au XIXe siècle. Hésitant à en faire deux espèces différentes, il s’était d’ailleurs abstenu de nommer la femelle de l’insecte trouvé à La Réunion… »
Les travaux de classification réalisés dans les années 70 ont suggéré qu’il s’agissait bien de deux espèces différentes malgré leur ressemblance apparente, appartenant à une famille endémique des Mascareignes.
À La Réunion après un siècle
Le seul rebondissement dans la connaissance de cette famille est arrivé en 2005 grâce à un entomologiste amateur, Nicolas Cliquennois, qui a trouvé des spécimens vivants de Pyrgacris descampsi dans leur habitat sur des palmistes piquant à l’île soeur (qu’on appelle palmistes rouges là-bas). Grâce à cette redécouverte, Sylvain Hugel a pu confirmer que les espèces de Maurice et de La Réunion étaient bien distinctes dans un article paru alors dans le Bulletin de la Société Entomologique de France. En ce qui concerne l’ancienneté de cette espèce, l’auteur fait cette remarque en s’appuyant sur les nouvelles connaissances apportées par la phylogénie moléculaire : « On ne peut exclure une divergence entre les Pyrgacris et les autres Acridoïdes antérieure à l’émergence de l’île Maurice. Cette divergence pourrait avoir eu lieu hors des Mascareignes et sans avoir laissé de descendant connu. » Aussi, cite-il à titre d’exemple comparable, la divergence du dodo et du solitaire par rapport au fameux pigeon de Nicobar…
En attendant, on n’avait toujours pas trouvé de spécimen vivant de l’espèce mauricienne depuis celui observé et collecté en 1961 à la montagne du Pouce. La disparition progressive mais drastique de son habitat naturel semble en être la cause principale. Le palmiste piquant (Acanthophoenix rubra) est en effet à Maurice une espèce à laquelle on s’est peu attaché puisqu’on lui préfère le palmiste blanc que l’on cultive aussi pour en déguster le chou. À La Réunion où il est braconné à l’état naturel pour son goût très prisé, il disparaît pour la raison exactement inverse, alors qu’il s’agit d’une espèce protégée dont la raréfaction est accentuée par la lenteur de pousse…
Une publication de 2010 sur les palmiers de Maurice le classe parmi les espèces en danger dont il importe d’accélérer la régénération de manière urgente… Sylvain Hugel a enquêté avec l’appui des biologistes mauriciens et des hommes de terrain qui travaillent aux National Park Conservation Services (NPCS). À chaque fois qu’il est venu à Maurice, avec l’aide de Paul Moolee (NPCS), Mario Allet (NPCS) et Seelavarn Ganeshan (MSIRI), il s’est rendu sur des sites où vit ce palmiste, tels que Florin, Macchabée ou L’Étoile pour ne serait-ce que trouver quelques indices témoignant de la présence de ces petites bêtes, qu’il est plus facile d’observer la nuit en raison de leur mimétisme et de leur comportement farouche.
Une bonne et une mauvaise nouvelles…
Le site de Bois Sec, où tout s’est joué la semaine dernière, lui a été signalé en 2012. Il avait alors pu remarquer sur des feuilles de palmiste les petites mangeures trapézoïdales caractéristiques de ces criquets, sans parvenir toutefois à en voir les auteurs… Malgré la surveillance systématique de ce site humide où évoluent de petits affluents de rivière Savanne et où les palmistes piquant semblent bien se régénérer, ce n’est qu’en novembre 2013 que notre entomologiste a pu voir ce criquet mauricien pour la première fois, en journée… quelques juvéniles bien vivants sur de petits palmiers. Y retournant de nuit, il a pu en observer d’autres à loisir, ainsi que des adultes mâles et femelles qui lui ont permis de rapporter les photos ci-contre.
Paradoxalement, Sylvain Hugel a fait cette découverte grâce à un projet de golf… programmé pour 2015 à côté de ces ruisseaux. Le propriétaire, la société Arthur & Morgan a récemment défriché cette zone pour notamment en couper les nombreux ravenales qui tendent à étouffer les espèces endémiques. « Peut-être que nous n’aurions jamais vu ce criquet s’il n’y avait pas eu ce défrichage… », nous fait-il remarquer. Aussi, à peine retrouvée, cette espèce risque de disparaître si des arbustes de taille intermédiaire entre palmistes adultes et juvéniles ne viennent pas remplacer les nombreux ravenales abattus. « Même exotique, la végétation présente permettait aux insectes juvéniles de grimper vers les feuilles des grands palmistes où ils passent le reste de leur vie une fois devenus adultes. En fait, les commanditaires de la restauration du site sont allés sans le savoir trop vite en besogne rendant la nourriture du criquet totalement inatteignable… » Il reste grosso modo un mois pour sauver la mise car au-delà, l’éclosion des oeufs cessera et les adultes mourront.
Contacté par téléphone, le Site Consultant d’Arthur & Morgan, Francis Toulet, nous a assuré se réjouir de cette découverte qui pourrait apporter un atout supplémentaire au futur Avalon Golf… « Nous allons planter en temps et lieux des petits palmistes blancs qui serviront d’échelle aux criquets pour monter sur les grands palmistes piquant… Sylvain Hugel a constaté que cet insecte mange volontiers cette variété de palmiste plus courante à Maurice et moins lente à faire venir que le palmiste piquant. Pour notre projet de golf et de maisons, nous mettons l’accent sur les bois et espaces verts que nous considérons comme un atout à préserver. Alors, nous sommes tout à fait d’accord pour planter des endémiques là où c’est possible. » Y compris aux abords des affluents de rivière Savanne régis par le statut de River Reserve. La société dispose déjà d’une pépinière de plantes endémiques et ne devrait pas tarder à planter des palmistes, qui cela va de soi, ne doivent pas avoir été traités au risque de tuer définitivement ces criquets plus vieux que le monde…

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