ÉCRITURES : Amruta Patil, réalités plurielles de la parole

D’une nouvelle illustrée, Kari, à un long texte qualifié de roman graphique par la critique et inspiré du Mahabharata (un grand poème épique de l’Inde) Adi Parva, Churning of the ocean (HarperCollins Publishers, India), Amruta Patil, auteure ayant suivi des cours d’art à Boston, propose une oeuvre (a transforming project) qui subvertit les genres littéraires pour leur donner une forme inattendue. La narration est libre, non linéaire, les images ne manquent pas. L’écrivain-peintre invité au Salon International du livre, Confluences 2014, à Pailles, pose ses marques sans effraction. Dans Adi Parva elle récupère à sa façon les épisodes du Mahabharata dans une structure en éclatement délibérée, en anecdotes racontées à travers le prisme de la mythologie indienne. La singularité de l’oeuvre se situe dans l’adaptation de la tradition à un projet de connaissance par l’intime. Rencontre avec une auteure de la génération productive de nouveaux codes, qui situe sa démarche dans la recherche de multiples voies convergentes ou divergentes. Son oeuvre alternent les points de vue, les voix se relaient et requièrent la participation du lecteur qui doit construire à partir de ces multiples discours la trame du récit qui multiplie et complexifie les jeux de voix.
Lorsqu’on demande à Amruta Patil si elle est avant tout un écrivain ou un peintre (elle détient un « master degree » in art), elle évoque son rapport émotionnel avec les mots : « Je pense que je suis avant tout une narratrice, une conteuse, les mots sont mes alliés et les images sont là pour émailler le récit, le développer… I am primarily a writer. » A partir de là, on aborde ses influences visuelles et textuelles. Elle nous dit que sur le plan visuel, elle est très flexible et capable de s’adapter facilement. Les influences visuelles sont nombreuses – ça va de la culture populaire à la célébration des maîtres en peinture, de Matisse à Frida Kahlo. Amruta Patil ajoute qu’elle n’a pas grandi dans une culture de bande dessinée ou de comics (elle a découvert la BD assez tard) et se dit « untouched » par ces influences. Elle évoque plutôt l’univers pictural. Et en littérature, elle dit qu’elle a lu beaucoup d’auteurs, John Steinbeck, entre autres. Lorsqu’elle parle de sa nouvelle Kari, c’est de l’acuité indivisible de l’intime et de l’universel dont il s’agit. « Kari is the embodiment of a certain kind of urban India that exists and which probably does not get much exposure… it takes a lot of my real life not directly (la nouvelle baigne dans un réalisme magique)… sexuality, friendship, love, acceptance are the core preoccupations of every young people in the world… » Pour ce qui est de Adi Parva, roman qui comprendra probablement deux volumes, l’auteure évoque une structure qui catalyse la perception (shifting of lenses), entre interiorité et exteriorité. Pour elle, la mythologie n’est pas linéaire et son projet d’écriture est de prendre des épisodes (nested stories not linear) d’une histoire épique et les rassembler. La fiction s’écrit alors dans une stylistique de voix multiples et présente un parcours ouvert à chacun selon le contexte choisi. Amruta dit que les écrivains du sous-continent n’ont pas un « model code, a single way of doing things ». Dans Adi Parva, la déesse Ganga est l’unique conteuse. Elle voyage d’une rivière céleste à une rivière terrestre. C’est à travers ce personnage féminin que l’histoire est racontée parce que c’est la manière dont l’auteure a compris le grand poème épique de l’Inde. Elle ajoute que la mythologie est à la base une culture selon des valeurs qu’il faut transmettre au public et les mythologies doivent être revisitées parce que les valeurs ne cessent de changer. Face à une tendance qui consiste à vouloir changer le monde, l’auteure s’interroge d’abord sur ce qu’on peut faire de l’intérieur, sur la révélation de soi avant d’entamer des actions dans le monde extérieur. Amruta Patil parle aussi des limites visuelles dans son récit polyphonique, de son audience et de son expérimentation de la parole. Elle évoque, par ailleurs, les spécificité expressives de l’oral, son intérêt pour la performance.

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