En périphérie du sinistre social, des soulagements au paracétamol

– Les lois régissant les licenciements sur la base économique

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« Il n’y a pas une plus grande tyrannie que celle qui est perpétrée sous le bouclier de la Loi et au nom de la justice. » – Montesquieu, l’Esprit des lois.

DEV RAMANO

Dans le sillage de notre exercice sur les licenciements économiques, on abordera des propositions d’ordre structurel à un stade ultérieur. Ici nous traiterons des minima que prévoit la loi dans le cadre de la suppression d’emplois.

Code du travail avant 2008

Les droits du travail étaient régis avant 2008 par la Labour Act 1975. Les cas de suppression d’emploi sur une base économique étaient gérés et considérés par le Termination of Contract Service Board (TCSB), organisme institutionnalisé sous l’article 38 de cette législation. Selon cet article un employeur qui employait plus de 9 personnes et qui avait l’intention de réduire son personnel, que ce soit de façon temporaire ou permanente, devait donner un préavis de 120 jours au ministre du Travail accompagné des raisons expliquant cette suppression. Ce dernier était dans l’obligation de référer le cas au TCSB pour être considéré. L’employeur n’avait pas le droit de passer à l’implémentation de son projet de réduction de main-d’œuvre avant la détermination de la TCSB ou avant l’expiration de ce préavis, laquelle des deux échéances serait postérieure.

Une infraction à cette disposition légale en n’avisant pas l’autorité ou en ne respectant pas le délai prescrit, rendait l’employeur passible, à moins qu’un motif valable soit démontré, de payer au travailleur – dont l’emploi prend fin – une somme égale à la rémunération de 120 jours accompagnée d’une somme à six fois le montant de l’allocation de départ (severance allowance 15 jours par année de service) – l’équivalent de 3 mois de salaire par année de service: le taux punitif – spécifié dans l’article 36, para. 3.

Si après la délibération du board, la démarche de l’employeur est justifiée, le salarié part automatiquement avec une compensation de 15 jours par année de service. Si la suppression était injustifiée, l’employé devait soit être réintégré à son emploi, soit il se séparait de l’entreprise avec le bénéfice de la compensation au taux punitif de 3 mois de salaire par année de service.

En relation avec la problématique de la suppression d’emploi pour cause de restructuration et de l’innovation technologique il serait approprié de citer le Dr D. Fok Kan dans son Introduction au Droit du Travail Mauricien 1/ Les Relations Individuelles Du Travail, 2e édition, 390, 391, ouvrage écrit pendant la gouverne de la Labour Act 1975:

« Il est à remarquer que la suppression de poste n’implique pas nécessairement l’abolition du travail qui était effectué par l’employé précédemment. Constitue ainsi une suppression d’emploi, le cas où l’employeur fait assurer une fonction précédemment occupée par un employé par des collaborateurs bénévoles. Il y a ici un motif “structural”.

La suppression de poste ne doit pas non plus être assimilée à une compression d’effectif. Si dans la plupart des cas la suppression de poste a un tel effet, celle-ci n’est pas une conséquence nécessaire. On peut en effet envisager l’hypothèse d’une entreprise qui, d’une part, licencie des employés mais crée par ailleurs de nouveaux emplois suite à des considérations technologiques. »       

Quelques arrêts dans la jurisprudence mauricienne ont permis de clarifier l’étendue de la juridiction du TCSB en matière de suppression d’emplois. Dans La Bonne Chute Ltd v Termination of Contracts of Service Board and Anor. [1979 MR 172], la Cour suprême déclarait:

« We accordingly hold that, in determining whether an employer is justified in reducing his workforce, the Board should not limit its exercise to a mathematical computation, but consider also whether the employer has shown good cause to lay off the particular worker or workers concerned. »

De même, dans l’arrêt Concorde Tourist Guide Agency v Termination of Contracts Service Board & Ors. [1985 MR 70], la Cour suprême commente ainsi les fonctions de la Termination of Contract of Service Board:

« What the Board is to decide in cases of intended reduction of workforce referred to it by the Minister under subsection 3 is not whether the dismissal, as such, of any particular worker is justified or not, but whether the employer’s reduction of the number of workers in his employment is justified or not.

It results, however, from the decision of this Court in the cases of La Bonne Chute Ltd v TCSB [1979 MR 172] and Madelen Clothing Co Ltd v TCSB [1981 MR 284] that the Board, although finding a reduction of workforce by a certain number to be justified, is still entitled to consider whether the decision by the employer to dismiss a particular worker(s) within that number is the correct one. »

Dans un arrêt plus récent, Lo Fat Hin T. K. v The Termination of Contracts of Service Board [2009 SCJ 70] la Cour précise: « The jurisdiction of the Board is limited to the extent of finding whether the employer’s plan to reduce the number of his employees for the reasons given by him is justified or not. »

Code du travail post-2008: l’effet

drastiquement réduit du paracétamol

Avec l’abrogation de la Labour Act et la promulgation du nouveau Code de travail en 2008/2009, l’Employment Rights Act, le TCSB serait gommé avec une facilité déconcertante. Il est impérieux de faire une incursion dans l’histoire pour discerner ce qui se tramait quelques années avant l’avènement de l’Employment Rights Act de 2008, par le tandem Sithanen/Ramgoolam et consorts de l’alliance Parti Travailliste/PMSD/MR au pouvoir à l’époque. Au travers d’une manipulation médiatique subtilement orchestrée, ces derniers ourdissaient un complot machiavélique dans le dos de la masse laborieuse de ce pays en la servant un plateau de déboires qu’elle va traîner comme un boulet à compter de février 2009.

Un journal en ligne le 17 mai 2006 dans son éditorial intitulé ‘Le courage de réformer’ rapportait ceci : « Après avoir annoncé la fin des tripartites, le ministre des Finances veut maintenant éliminer les rigidités du marché du travail. C’est un passage incontournable pour la relance de l’économie, en particulier en termes d’emploi et d’investissement. Si les débats n’étaient pas si outrancièrement politisés chez nous, toute la classe politique aurait soutenu cette décision.

Tous ont rêvé de pouvoir réaliser cette réforme mais ont manqué de courage. Rama Sithanen a donc annoncé l’enclenchement d’une réforme en profondeur visant à assouplir les dispositions de la législation de l’emploi. S’il parvient à lever les verrous qui pèsent sur l’emploi et qui freinent les embauches, le gouvernement aura réussi une mesure importante de redressement économique ».

Ce journal en ligne mettait en exergue que cette réforme ne pouvait que recueillir « l’adhésion de tous les Mauriciens à l’exception des habituels défenseurs du statu quo » car d’après sa rédaction les règlements en vigueur à l’époque régissant les licenciements nuisaient à la croissance économique et à la création d’emplois. Comme d’autres médias du ‘mainstream’, il appuyait la thèse que si les patrons « n’ont pas la garantie de pouvoir, à leur gré, embaucher ou licencier selon la situation de leurs entreprises, ils hésiteront à recruter quand les affaires vont bien. » 

Par ailleurs, est cité un entretien de Financial Times sur ce dossier des lois du travail au niveau local, et des propos attribués à Navin Ramgoolam, Premier ministre, en mars de cette même année : « I am prepared to legislate to give employers more flexibility to hire and fire as Mauritius business lobby is urging… »

Tout ce gratin du ‘mainstream’ se retrouve sur la même longueur d’onde. Principalement les partis traditionnels MMM, PTR, MSM, PMSD et autres appendices, sont tous d’accord sur le fond et ne divergent que dans la forme. Ils n’oseront pas lever le petit doigt pour ne pas déplaire aux patrons et à leurs bailleurs de fonds, même si sur les travées de l’opposition ils arborent des postures populistes. Dans les coulisses, dans les sinécures du pouvoir, dans leur vision politico-idéologique, ils se targuent que la masse populaire était réellement gagnée à ce projet sinistre. Si c’est le cas, eh bien, les masses de salariés locaux auraient contracté le syndrome de la carence psychologique sadomasochiste. Ce qui bien sûr ne peut être le cas !

Les nouvelles dispositions légales

La tyrannie va en s’accentuant. Le paracétamol d’avant 2008 va diminuer en dose et en efficacité. L’Employment Rights Act 2008 serait la concrétisation des manœuvres qui se tramaient quelques années plutôt. Tel un ouragan super classe, cette nouvelle législation balayait toutes les dispositions des articles 38 et 39 de la défunte Labour Act, engloutissait la TCSB et sur les ruines de ces derniers imposait tout simplement ce qui suit à travers l’article 37 :

S 37 (6):

Any employer who –

(a) intends to reduce any number of workers or to close down his enterprise for reasons of an economic, technological, structural or similar nature; or

(b) terminates the employment of a worker for any other reason, shall give written notice thereof to the Minister.

Dépecée systématiquement de ses droits, la masse des salariés va vivre quotidiennement l’angoisse de se voir jeter sur le pavé pour raison économique, par un simple avis au ministre de tutelle – comme une lettre à la poste. Le rapport de forces étant en leur faveur, le tandem Sithanen/Ramgoolam et consorts qui gagnèrent la bataille de ‘hire and fire’, se permettant de légaliser un « crime » atroce dans le dos des salariés de ce pays au bénéfice des employeurs.

David Michael Green, dans son ouvrage “How The West Was Lost and Other Joys of Greedy Sociopathy”, peignait succintement ce désastre: « So, to recap the story so far, if you simply look at this constellation of effects over the last half-century – technology, globalization, civil rights – it’s proven a very rough go for certain categories of individuals. They’re beat-up, beleaguered, broken and buffeted. If you’re surprised that they’re scared, angry and desperate, you haven’t been paying attention to the way the world works and how people are wired. »

Nouveau mini-toilettage

Le revers pour les salariés en termes de licenciement était sans précédent. L’exaspération était à son comble et dessinait une fracture sociale béante. Le massacre prenait tellement une dimension ahurissante que l’autorité devait revoir sa copie et réajuster les tirs par la suite. Un nouveau mini-toilettage des dispositions légales gouvernant les licenciements économiques devait être effectué en 2013 pour atténuer les plaies encore crues laissées dans le sillage de l’après-TCSB. L’Employment Rights Act 2008 fut amendé (Act No. 5 of 2013) pour prévoir l’établissement d’une nouvelle division à l’Employment Relations Tribunal, notamment l’Employment Promotion and Protection Division (EPPD) pour traiter les cas qui lui sont référés en matière de réduction du personnel ou de fermeture de l’entreprise. Nous sommes quand même bien loin du compte en termes de l’étendue de juridiction dont se dotait le défunt board sous l’ancienne législation.

Si avant 2008 la solution et investigation étaient un exercice à priori du licenciement, sous les nouvelles dispositions cela devient a posteriori. De surcroît, une réduction du personnel sur la base économique déterminée comme justifiée devant l’EPPD met le salarié dans une situation où il est laissé à la merci de la discrétion de l’employeur en termes de possible compensation.

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