ENTREPRENDRE—RINA TÉLESPHORE: « La bijouterie au niveau local passe par de très grandes difficultés »

Cela fait dix-huit ans que Rina Télesphore habite Maurice. Marié à une Mauricienne, ce père de quatre enfants est un entrepreneur né. Issu d’une famille d’entrepreneurs à Madagascar, il compte aujourd’hui cinq entreprises dans la Grande Île et deux autres à Maurice. Selon l’ancien président des Bijoutiers de l’océan Indien, « il faudrait valoriser l’artisanat mauricien, car il y a un manque d’intérêt de la part des jeunes dans le secteur manufacturier, ce qui fait qu’il est difficile de trouver de la main-d’oeuvre ». Après plusieurs formations en Afrique du Sud, à Maurice, en Thaïlande et à Paris, c’est dans le domaine du service de la joaillerie que se consacre essentiellement Rina Télesphore aujourd’hui. Il s’est aussi lancé dans la menuiserie, l’architecture, et l’import/export de la vanille et de légumes secs. Rencontre avec un entrepreneur pour le moins polyvalent.
Rina Télesphore n’est pas un bijoutier comme les autres. N’espérez pas trouver dans son atelier de Grand-Gaube des stocks exposés de bijoux. Même s’il sait en fabriquer, c’est davantage son design qu’il vend à ses clients, à Maurice comme à l’étranger. Faute d’une main-d’oeuvre constante et régulière, il préfère compter sur lui-même. « Il faut toujours prévoir que les employés peuvent s’absenter. Le problème, c’est que les jeunes ne sont pas intéressés par le secteur manufacturier. » Il est d’avis que le gouvernement devrait ouvrir la voie à des étrangers, qui pourraient constituer une solution dans le secteur.
Né de parents entrepreneurs et exportateurs à Madagascar, le business ne recèle aucun secret pour Rina Télesphore. « Mes parents avaient remarqué que les bijoux étaient très demandés à l’étranger et à Madagascar nous avons toutes sortes de belles pierres naturelles ainsi que de l’or… » Alors qu’il est encore à l’école, Rina Télesphore met déjà en oeuvre son talent de businessman. « Notre voisin était bijoutier et j’économisais pour lui acheter des bijoux avant de les revendre à mes profs. » Par la suite, toujours fasciné par ce monde scintillant, et comme il n’y avait pas d’école de bijouterie à Madagascar, il met le cap sur l’Afrique du Sud pour suivre des cours sur l’exploitation minière. Par la suite, il choisit Maurice pour poursuivre sa formation en bijouterie à l’IVTB. « Je me sentais chez moi. Maurice est près de Madagascar. » Il met ensuite le cap sur Paris, où il se rendra pour d’autres formations en joaillerie. Au terme de son séjour en France, il retourne à Madagascar où il ouvre une entreprise. Il repart cette fois en Thaïlande pour une formation sur le taillage des pierres et le système de production.
L’avenir de la bijouterie
Aujourd’hui, avec sa famille, Rina Télesphore gère cinq entreprises dans la Grande Île, notamment dans les secteurs de la bijouterie, la menuiserie, la vanille et les grains secs. Selon l’entrepreneur, les avancées technologiques ont grandement fait avancer la confection des bijoux aujourd’hui. « Autrefois, il fallait investir plus de Rs 1 million dans le matériel. Aujourd’hui, il suffit d’un logiciel de conception de bijoux en 3D, ce qui permet de gagner énormément de temps. Quand je rencontre un client, je lui propose un design en 3D. L’image lui montre ce que sera exactement le bijou. S’il est satisfait, on passe alors à la réalisation du modèle. Je demande à un bijoutier de faire le coulage et moi, j’apporte la touche finale. »
La bijouterie a-t-elle de l’avenir à Maurice ? À cette question, notre interlocuteur ne nous brosse pas une image bien reluisante. « Il y a deux types de bijoutiers. Pour les commerçants, c’est la règle du profit qui prime. Les bijoutiers artisans, eux, font face à nombre de problèmes. Le cadre où ils travaillent ne leur permet pas d’être compétitifs. À Dubaï, par exemple, tout est hors taxe. Ici, s’il est vrai que la TVA est remboursable, les gens hésitent à acheter de cette manière. Par ailleurs, au niveau local, il y a de plus en plus d’insécurité. Beaucoup ont peur de porter des bijoux au risque de se les faire voler. Les bijoutiers en souffrent. Sans compter qu’il y a un manque d’intérêt des jeunes pour y travailler. » N’entend-on pas souvent dire que la bijouterie a beaucoup progressé à Maurice et que c’est un secteur prometteur ? « Entre le dire et la réalité, c’est deux choses différentes », répond Rina Télesphore. Il nuance toutefois : « Il y a beaucoup d’opportunités dans ce secteur, mais le cadre n’est pas assez compétitif dans le sens du rapport qualité/prix pour prétendre de se positionner dans le monde. S’il y a une aide spéciale pour les bijoutiers, alors peut-être que oui. Par exemple, en Thaïlande, si vous avez les connaissances, on met une ligne de crédit à votre disposition car le gouvernement veut que vous prospériez dans ce domaine. À Maurice, c’est différent. Si un bijoutier cherche un emprunt, l’intérêt sera conséquent. »
Quid de l’exportation ? « Elle se porte bien. Mais il faut les moyens pour le faire. Il faut avoir au moins 5 kg de bijoux à exporter. Or, 5 kg, cela fait déjà quelque Rs 6 millions. Je vois mal un petit artisan avoir un stock de Rs 6 millions. » Quant à Rina Télesphore, il ne mise pas sur l’exportation de bijoux, mais plutôt sur l’exportation de son savoir-faire, son design. « Je crée le prototype et je vends à des bijoutiers en France ou à des sous-traitants de grandes maisons, comme Cartier, aux Etats-Unis. Je suis plutôt dans le service de la joaillerie, même si je peux faire des bijoux de A à Z. »
Vivier d’inspirations
En moyenne, il conçoit quelque 65 modèles de bijoux par mois. « Cela dépend aussi de mon inspiration et de la demande. Je fais partie de plusieurs groupes de designers de bijoux dans le monde. On partage beaucoup sur les dernières tendances et on analyse. » L’entrepreneur malgache poursuit : « Maurice est un vivier d’inspirations, car il y a beaucoup de cultures. Il y a des choses qui différencient et qui nous inspirent. Je m’inspire beaucoup des contrastes à Maurice. Un des styles que j’ai développé d’ailleurs est le contraste entre le poli et le brut. » La concurrence ? « Étant donné que je suis dans le service, je ne me pose pas en tant que concurrent. »
Depuis deux ans, l’entrepreneur a aussi ouvert un atelier de menuiserie, où il propose un service de design d’intérieur. « Des menuisiers freelance à qui je donne les fiches techniques fabriquent les meubles. » Qu’a-t-il à offrir de plus que les autres entreprises spécialisées proposant des meubles pour la cuisine et pour le reste de la maison ? « Ces entreprises importent les meubles alors que, dans mon cas, tout est fabriqué ici, ce qui apporte du travail aux Mauriciens. Par ailleurs, alors que vous verrez les mêmes meubles de ces entreprises dans plusieurs maisons, je fais du “sur-mesure”. » Des commandes personnalisées selon les demandes et des propositions originales tout droit sorties de l’imaginaire de l’artiste qui font leur originalité.

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