ERREUR ET RARETÉ : Le cas des Mauritius Post Office

Dans le second volet de son texte sur la thématique « Erreur et rareté en philatélie – Le cas des Mauritius Post Office », l’auteur s’attarde sur « l’erreur graphique » et « l’erreur historique »  autour des Mauritius Post Office. Reste donc à élucider le plus grand mystère de la philatélie, le seul à justifier et expliquer la rareté des Post Office, celui de leur substitution en une nouvelle version Post Paid après seulement huit mois de bons et loyaux services.
Récemment, dans un article paru au sein du célèbre Stamp Magazine, en février 2007, une nouvelle version est venue s’ajouter à celle, peu plausible, de Brunel. L’article, « Better by design ? » , signé Christian Le Comte, éditeur et designer graphiste, narre et étaye dans le détail, une hypothèse d’ordre purement esthétique :
« The commission was simple : to design a stamp compliant with its British antecedent, but with the inclusion of the name of the colony. Although this was a simple brief, it posed a complex problem for the designer : how and where to include the word ‘Mauritius’.»
La décision finale pour laquelle devait finalement opter Barnard, fut d’inscrire « Postage » en haut et la valeur du timbre en bas, à l’image du modèle du Black Penny. Il ne lui restait donc plus qu’à ajouter le nom de la colonie d’un côté du timbre, en cherchant un mot qui puisse équilibrer valablement « Mauritius » de l’autre côté.
Christian Le Comte de poursuivre: « Including the words ‘Post Office’ was therefore, not a legal or practical requirement, but a simple aesthetic decision. ( )
Little is known about the period between the request for more stamps and their production, but before starting to engrave the new plate Barnard would have discussed the details with Brownrigg and made suggestions to improve the stamps’ design and production. »
Selon Christian Le Comte,  « in terms of meaning, ‘Post Paid’ does not seem to have any advantage over ‘Post Office’, since the concept of pre-paid postage was no longer an innovation, and the word ‘Postage’ already appeared on the stamp.
But a closer look at the stamps shows that in aesthetic terms, the ‘Post Paid’ is an improvement, looking more comfortable and being easier to read.
The difference between the size of the lettering in ‘Postage’ and ‘Post Office’ in the first issue is significant, especially to a designer’s trained eye, and Barnard might have been keen to find a visually more pleasing counterpart to ‘Mauritius’. ( )
Post Paid provides an excellent balance to Mauritius, as both have nine characters including the necessary space between words.  ( )
The ‘Post Office’ wording was, from the beginning, only supposed to fill a space on a stamp. In the style of lettering used by the designer, ‘Post Paid’ provided a better visual balance for ‘Mauritius’. »
Why not ? Le seul inconvénient de cette thèse serait donc, en éliminant l’idée d’une erreur, de semer le trouble en affirmant que la seconde version Post Paid, serait en quelque sorte plus équilibrée, plus aboutie, plus réfléchie et pour finir, plus belle que la première version ‘Post Office’, ce qui ne manquerait pas de poser un problème moral : la première version ayant donc beaucoup plus de valeur parce que son auteur la trouvait moins belle que la seconde, qu’il lui substitua au plus vite L’imperfection comme source de valeur, nous revoilà avec l’idée fondamentale d’une erreur, même si celle-ci serait d’ordre purement graphique.
Le fait est que personne, à part Christian Le Comte, n’avait risqué une critique esthétique de la version ‘Post Office’, n’y trouvant sans doute rien de choquant. Que Barnard, qui était du métier et un puriste, professionnel de la gravure, ait eu un jugement impitoyable sur sa première version au point de la condamner, pourquoi pas ? L’hypothèse paraît solide et expliquerait l’absence de directive, Barnard étant le seul responsable de la rectification. Néanmoins, la preuve manquera toujours
L’erreur historique
Et si l’erreur et sa supposée correction étaient plus simplement d’ordre historique ? En effet, si nous prenons a contrario la phrase de Le Comte :  « in terms of meaning, ‘Post Paid’ does not seem to have any advantage over ‘Post Office’ » et que nous mettions de fait l’accent sur le seul changement véritable : une modification sémantique réelle, un apport d’information certain, alors une nouvelle piste nous serait offerte, qui permettrait d’inscrire les deux fameux timbres dans l’Histoire.
Le Penny Black est le premier timbre postal prépayé de l’histoire et fut émis par l’Angleterre le 6 mai 1840. Le succès fut considérable : alors qu’en 1839 les Anglais expédiaient 82 millions de lettres, deux ans plus tard 170 millions de lettres furent échangées. En 1845, Le Basel Dove, premier timbre à être imprimé en trois couleurs (noir, bleu et cramoisi) fut le premier et le seul timbre émis par le canton de Bâle en Suisse
L’Ile Maurice, c’est connu, fut le cinquième pays à avoir émis ses propres timbres, en 1847. En 1848 seulement, la France décide à son tour d’entamer une grande réforme postale. Le fameux 20c Cérès noir ne sera disponible dans les bureaux de poste que le 1er janvier 1849, ce qui permet d’affirmer, sans l’ombre d’un doute, que la France émit son premier timbre après l’Ile Maurice.
Jusqu’à présent, l’histoire de la philatélie, étudiant les premières années de cette réforme mondiale essentielle que constitue l’invention du timbre poste, s’est légitimement attachée à en dépeindre les succès immédiats et bien réels. Il n’empêche que fort peu a été écrit sur les problèmes indéniables auxquels ce changement considérable dut être confronté et parmi d’autres, le fait important que l’application de cette véritable révolution dans les communications, somme toute philanthropique, ne fut pas pratiquée de manière concomitante et que des décalages considérables séparent certains pays de l’Angleterre dans l’impression de leurs premiers timbres.
L’Ile Maurice ayant imprimé ses deux timbres près de deux ans avant que la France n’imprime son non moins fameux Cérès 20c, il convient de s’interroger sur la façon qu’ont eu les différentes postes nationales de gérer leurs systèmes non seulement différents, mais désormais antinomiques, voire opposés.
Le système qui prévalait avant l’invention de Sir Rowland Hill était de faire systématiquement payer le destinataire et non l’expéditeur, cela s’avérait injuste quant au fond, mais de plus, inefficace dans le fonctionnement, l’anecdote veut, en effet, que les failles furent vite trouvées, permettant de ne rien payer du tout. On raconte qu’un jour, s’étant arrêté dans une auberge, Rowland Hill vit une jeune fille recevoir du facteur une lettre. La jeune fille examina attentivement la lettre et la refusa. Le courrier, dans ce cas, retournerait à son envoyeur aux frais de la Poste britannique. Rowland Hill proposa à la jeune fille de payer le montant de la taxe, mais elle refusa et lui expliqua que la lettre était vide ! Le secret de la jeune fille ? Tout simplement quelques signes sur l’enveloppe, un code entre elle et son fiancé qui lui permettait immédiatement (et gratuitement) de savoir si son fiancé allait bien. Une enquête révéla que plusieurs malins connaissaient l’astuce et qu’elle finissait par coûter cher au gouvernement de sa gracieuse Majesté. Rowland Hill (1795-1879) proposa alors, malgré l’hostilité du Premier ministre Robert Pell, une réforme instaurant le paiement par l’expéditeur sous forme d’une vignette postale. Voilà donc pour l’Histoire
La prééminence incontestable du courrier destiné à la France
Revenons sans plus tarder à notre Ile Maurice : il convient aussitôt de faire remarquer que la majorité du courrier quittant l’île avait encore pour principale destination la France et non la métropole anglaise, ce qui s’explique historiquement, l’Ile Maurice n’ayant jamais constitué une colonie de peuplement. Les Anglais, après la conquête de l’île en 1810, décidèrent adroitement de composer avec les colons français déjà sur place, ne faisant qu’ajouter leur empreinte à celle existante et faisant par là l’économie de précieux colons destinés préférentiellement à l’Australie.
Si nous examinons aujourd’hui les vestiges des envois effectués par Maurice au moyen de ses premiers timbres, nous sommes bien obligés de constater la prééminence incontestable du courrier destiné à la France, dont le plus célèbre d’entre eux, le fameux Bordeaux Cover.
Si nous nous replaçons dans le contexte de ces relations trilatérales entre une colonie, sa métropole et le pays destinataire probable de la majeure partie des correspondances, il est facile d’imaginer qu’un cafouillage transactionnel était parfaitement possible à un quelconque moment de l’acheminement jusqu’au destinataire compris.
Il est notamment envisageable de concevoir que le courrier expédié de Maurice ait dû être réglé à nouveau à son arrivée par le destinataire, ce qui était encore la règle en France.
Il est non moins judicieux de concevoir qu’un système occasionnant deux paiements pour la même prestation a nécessairement dû poser problème, obligeant à une double prise en charge et à un paiement redoublé, créant une injustice flagrante.
Il nous semblera, dans le cadre de cette hypothèse, que le changement subtil entre Post Office et Post Paid s’avère plus que significatif, il s’expliquerait historiquement. Post Office offre l’appellation d’un simple constat, le courrier expédié est bien passé par la poste, l’inscription assure une responsabilité morale de la prise en charge, mais l’appellation n’offre aucunement la garantie que la prestation postale d’acheminement a bel et bien été payée en amont. Simple question de bon sens
Il paraît dès lors évident que la nouvelle mention Post Paid, qui préexistait d’ailleurs déjà précédemment sur certains tampons postaux mauriciens, peut s’expliquer par la précision d’un énoncé beaucoup plus explicite, ce qui est déjà payé ne saurait l’être à nouveau, logique élémentaire. Nul doute que le risque de voir le courrier repayé par le destinataire avec une mention Post Paid s’évanouissait aussitôt.
Cette hypothèse expliquerait bien mieux le changement d’inscription que l’hypothèse de Brunel ou celle pourtant plus plausible de Le Comte. Nous aurions là une version inscrivant à tout jamais le timbre dans son contexte historique colonial, dans sa spécificité mauricienne, autant que dans l’histoire de la philatélie elle-même.
La définition de la philatélie, si l’on s’attache à l’étymologie du mot, du grec philos (ami) et ateleia (affranchissement), est donc l’art de s’intéresser aux affranchissements, aux timbres-poste, d’abord, ou à certains d’entre eux en particulier, et plus largement aux marques postales, enveloppes acheminées, cartes maximum, etc.
L’histoire magnifique de nos Post Office serait donc une histoire philatélique par excellence, un simple problème d’affranchissement, qui, une fois réglé, en fixa pour toujours la rareté et donc l’immense valeur. Nous proposons ici cette explication, elle vaut ce qu’elle vaut et ne vise modestement qu’à être débattue, elle a ses avantages, offrant une compréhension logique de l’immense rareté de nos joyaux mauriciens de la philatélie en les réinsérant dans leur contexte colonial.
N’oublions pas que l’utilisation même de l’émission de ces deux timbres est également historique puisque leur premier emploi émane directement du nouveau gouverneur de l’Ile Maurice, William Gomm, qui, voulant apaiser le courroux d’une population d’origine française, très remontée contre l’obligation qui venait de lui être faite d’utiliser l’anglais en cour de Justice et afin de retrouver la confiance des Mauriciens, organisa un bal costumé. C’est dans ce cadre que, pour l’envoi des invitations, on utilisa une partie de la toute première émission des fameux timbres Post Office mis en vente le 22 septembre 1847. Le bal eut bien lieu le 30 du même mois, scellant une entente qui ne tarderait plus à se vouloir cordiale.
Ajoutons que ces deux simples et minuscules vignettes, à bien y réfléchir, par le simple portrait profilé de la Reine Victoria, possèdent une pertinence historique qui fait d’eux un immense témoignage historique, certainement le plus grand concentré d’Histoire et de Culture qu’il soit possible de concevoir.

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