Forum sur le droit des LGBTI : l’article 250 du Code pénal au coeur des passions

La nécessité d’abroger l’article 250 du code pénal, qui incrimine la sodomie, a été exprimée avec force hier matin lors d’un forum organisé conjointement par la Commission des droits humains et l’Union européenne à l’Hennessy Park Hotel. « Le but de cette rencontre est de conscientiser les gens et de les amener à mieux comprendre les problèmes rencontrés par les personnes LGBT. Bien que les Mauriciens côtoient ces personnes, beaucoup n’ont pas encore accepté qu’elles fassent partie intégrante de notre société et qu’elles doivent jouir pleinement de leurs droits et ne doivent pas être considérées comme des personnes différentes », a souligné Dheerujlall Seetulsingh, président de la National Human Rights Commission, dans son discours d’introduction.
Une centaine de personnes, dont l’ambassadeur de France, le haut-commissaire britannique, l’ambassadeur du Japon et la représentante des Nations unies, ainsi que les représentants du secteur public, du secteur privé et de la société civile ont participé à cette rencontre. Outre les membres du gouvernement, dont Maneesh Gobin et Alain Wong, Veda Baloomoody a été le seul parlementaire de l’opposition à participer à cette rencontre.
Le président de Commission des droits humains a souligné qu’en 1994, le Comité des droits humains ainsi qu’un jugement de la cour européenne des droits humains ont recommandé que l’article 250 du code pénal mauricien, qui place la sodomie au même niveau que la bestialité, soit amendé. De plus, Maurice est signataire d’une déclaration des Nations unies faite en 2008 concernant l’orientation sexuelle et la “gender indentity”. Dheerujlall Seetulsingh a également rappelé que le Conseil des droits humains, à Genève, a mandaté un expert indépendant en vue de rechercher les causes de la violence et de la discrimination contre des personnes en se basant sur l’orientation sexuelle. « À Maurice, le public en général surmonte graduellement les préjugés entretenus contre les LGBTI d’autant plus que le pays dispose d’une Equal Opportunities Commission pour lutter contre les discriminations sur la base de l’orientation sexuelle », a-t-il fait remarquer.
L’amendement de l’article 250 a été abordé dans le cadre des échanges entre le public et les intervenants au forum. C’est ainsi que le ministre de la Justice, Maneesh Gobin, a lors de son intervention souhaité que les événements malheureux qui se sont produits à Port-Louis, début juin dernier, en marge de la marche Gay Pride, ne se reproduisent jamais. Concernant l’article 250 du code pénal, il a observé que « les passions aussi bien pour que contre cette démarche sont très vives à Maurice » et qu’il « faudra agir afin que d’un côté comme de l’autre on ne se sente pas marginalisé ». Veda Baloomoody a souligné que la présentation d’un tel amendement doit se faire dans « la transparence et le consensus », et ce après avoir préparé l’opinion publique. Marjaana Sall, elle, a avancé que la question de LGBTI figure bonne place dans le dialogue politique entre l’UE et le gouvernement mauricien. « Le panel de discussions aujourd’hui est un événement important pour la promotion et la protection des droits fondamentaux des personnes LGBTI. À travers cet événement, l’Union européenne réaffirme en effet son engagement fort dans la lutte contre toutes les formes de discrimination fondées sur l’orientation sexuelle et l’identité de genre. Nous continuerons à promouvoir et à protéger activement les droits fondamentaux des personnes LGBTI », dit-elle.


Maneesh Gobin, ministre de la Justice : « Toute abrogation dans le consensus »
Le ministre de la Justice Maneesh Gobin a reconnu la nécessité de revoir l’article 250 du Code pénal, qui incrimine la sodomie. Il s’est toutefois montré prudent en reconnaissant qu’il y a beaucoup de passion dans la défense des droits des LGBTI mais qu’il y a un courant aussi passionné et aussi puissant contre l’octroi de ces droits qu’il faudra prendre en compte.

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Où en sommes-nous sur cette question des droits des LGBTI ?

Nous sommes très loin. Il nous faut changer nos législations. Il faut le faire avec la participation de tout le monde. Nous ne voulons laisser personne sur la touche et ne voulons pas apporter de changements qui incommoderaient d’autres sections de la population. Il y a toute une campagne de sensibilisation à faire. Ce forum, organisé aujourd’hui, arrive à un moment opportun. Nous devons remercier l’Union européenne et la Commission des Droits de l’Homme pour son partenariat dans le cadre de l’organisation de ce dialogue constructif non seulement avec les institutions gouvernementales mais également avec les Ong. Le changement viendra. It’s a question of how to bring about the choice aussi bien dans la loi que dans la vie quotidienne des gens. Ceux qui font partie de la communauté des LGBTI sont confrontés à la discrimination dans leur vie de tous les jours. Peu importe le nombre de lois qui sera adopté, c’est toute une mentalité qu’il faudrait changer de même que le regard à leur égard. Ce sont des humains et nous nous devons de les traiter comme tel.

Nicolas Ritter a été invité à présenter une affaire en cour. Que devrait-il faire ?

Il y a une possibilité qu’un cas soit logé en cour comme tel a été le cas en Inde. Il faut savoir qu’il n’y a pas eu de changement législatif en Inde car c’est la cour qui a donné un jugement pour dire qu’on pourrait être sujet à une discrimination.
À la lumière de l’article 16 de notre Constitution, il n’est pas impossible que quelqu’un porte cette affaire en cour sur la base de discrimination subie en raison de son orientation sexuelle. Ce sera intéressant de savoir comment la cour traite la question.

N’y a-t-il pas de mariages homosexuels dans des établissements hôteliers à Maurice ? Est-ce normal ?

Je l’ai appris. Mais avec nos législations archaïques, il se peut qu’il y ait des problèmes à ce sujet. Toutefois, les forums aujourd’hui nous permettent de réaliser ce qu’on est et ce qu’on pourrait apporter au pays.

Que faudra-t-il changer ?

Il y a, par exemple, l’article 250 du Code pénal, qui fait partie de nos lois et qu’il faudra revoir. (L’article 250 du Code pénal incrimine la sodomie. Il stipule que « (1) Any person who is guilty of the crime of sodomy or bestiality shall be liable to penal servitude for a term not exceeding 5 years ». En mai 2017, le DPP a, dans la “Newsletter” publiée par son bureau, remis en cause la constitutionnalité de l’article 250 du Code pénal, Ndlr)

Est-il possible de venir de nouveau avec le Sexual Offences Bill présenté par Rama Valayden en 2007 ?

On l’avait présenté en 2007. Il y a eu un grand tapage. Finalement, la loi n’a pas été adoptée en raison de la sodomie.

Peut-on le présenter à nouveau ?

Oui, nous pouvons le faire dans le consensus. J’ai bien apprécié l’intervention du député Veda Baloomoody, qui a souligné l’importance d’une conscientisation. La loi doit être présentée dans le consensus.

À part ce forum y aura-t-il d’autres activités ?

Certainement. Il y aura d’autres forums avec la collaboration de l’Union européenne et d’autres institutions.


Conay Blake, Equality & Justice Alliance en Grande-Bretagne : « Il faut faire le premier pas »
Conay Blake, qui est intervenu lors d’un forum, est à Maurice en tant que représentant de “The Equality and Justice Alliance”. Cette alliance est une coalition des Ong, qui aident les pays du Commonwealth souhaitant revoir leurs législations concernant la discrimination. Cela peut concerner les femmes, les enfants ou les LGBTI. La création de cette alliance fait suite à la déclaration de Theresa May, lors du sommet des chefs d’États et de gouvernement en avril dernier, selon laquelle la Grande-Bretagne « soutiendra les gouvernements des pays membres du Commonwealth qui veulent réformer les législations, qui sont discriminatoires à l’égard des femmes, des filles, des LGBT et qui ont été héritées de l’époque coloniale ». Theresa May avait reconnu que ces législations étaient « mauvaises » à l’époque et qu’elles le sont toujours.

Pourquoi soutenez-vous, dans votre intervention, que les droits humains sont au-dessus de la politique ?

Il faut reconnaître que lorsqu’il s’agit de questions sur les droits de l’Homme, il est important qu’il y ait un dialogue lors de la présentation d’un texte de loi qui est perçu comme impopulaire. Il faut que le maximum de personnes soit impliqué afin de discuter des défis que se présentent. Il faut rassurer ceux qui se posent des questions et qui appréhendent l’amendement de l’article 250 du Code pénal. Maurice doit à un moment ou un autre faire quelque chose car la République est signataire des Conventions internationales. Ensuite, cela figure dans la Constitution. Il faut donner le maximum d’informations car c’est une question qui est source d’anxiété et de souci.

Le ministre a-t-il évoqué les problèmes politiques que pourrait susciter cette question ?

Oui, mais ces problèmes politiques ne sont pas propres à Maurice. C’est le cas dans la plupart des pays. Il faut apprendre d’eux pour savoir comment avancer.

Vous dites que la question des droits de l’Homme doit être au-dessus de toutes ces considérations ?

La question de droit doit être au-dessus de la politique partisane. Maurice est un pays multiculturel. Le droit des différentes sections de la population est garanti par la Constitution. Il n’est pas nécessaire de voter pour savoir si des chrétiens ont des droits ou si les musulmans ou les hindous en ont aussi. Le droit est égal pour tout le monde et un vote n’est pas nécessaire pour reconnaître leur droit dans la société. La question n’est pas de savoir si on est d’accord avec eux. Il s’agit de savoir s’ils peuvent exercer leurs droits et la reconnaissance dans la société.

Êtes-vous à Maurice pour aider les autorités à trouver une solution ?

Je suis ici pour partager l’expérience des autres pays et pour aider les Ong, le gouvernement ou d’autres membres de la société comme je peux.

Comment cela se passe dans d’autres pays du Commonwealth ?

Les choses sont en train de changer et le changement le plus important s’est produit en Inde, où la loi a été amendée. Il y a également eu des changements à Belize, Trinité et Tobago et aux Seychelles. There is a positive move in that direction.

Que doit faire le gouvernement mauricien ?

L’article 250 du Code pénal doit être prorogé. Nous ne parlons pas de mariage ni d’enfants. C’est autre chose. Il faut décriminaliser la sodomie. Personne ne décide de qui il tombe amoureux ou vers qui il est attiré. Or l’article 250 les pénalise et les incrimine pour ce qu’ils expriment en privé dans leurs maisons.

Êtes-vous surpris de voir que Maurice, qui est très avancée dans plusieurs domaines, résiste toujours à des changements à ce niveau ?

Pas nécessairement. Je reconnais que Maurice est un petit pays avec une population très mixte. Ce n’est pas facile. Même en Grande-Bretagne, c’est toujours le “work in progress”. Il y a toujours des progrès à faire. Toutefois, il faut faire ce premier pas. On ne peut placer Maurice dans une boîte et le reste du monde dans une autre. Maurice a son propre chemin à parcourir. Beaucoup a déjà été fait. L’égalité de tous en droit est reconnue. La création de l’Equal Opportunities Commission est une très bonne chose. Il s’agit de continuer à avancer.


Najeeb Ahmad Fokeerbux, fondadeur de Young Queer Alliance : « Nous ne réclamons pas de droits spéciaux mais des droits humains »

Najeeb Ahmad Fokeerbux, 29 ans et un des fondateurs de Young Queer Alliance, a fait hier une longue intervention, qui a été appréciée par les personnes présentes au Hennessy Park Hotel. Il affirme que les LGBTI ne réclament pas de droits supplémentaires mais les mêmes que tout le monde.

Quel est l’intérêt de ce débat ?

C’est que nous pouvons commercer un dialogue par rapport aux droits des LGBT. Ce dialogue doit se faire au niveau du gouvernement, du secteur privé mais également avec les partenaires internationaux et régionaux afin d’avoir une prise de conscience localement par rapport aux personnes qui tombent dans la catégorie des LGBTI. Nous ne réclamons pas de droits spéciaux mais des droits humains puisque nous sommes tous égaux et avons ainsi les mêmes droits.

Ne sommes-nous pas tous égaux devant la loi ?

Non, nous ne sommes pas égaux en droit car nous ne sommes pas protégés légalement contre la violence. Il y a des lois concernant l’emploi et les opportunités égales mais elles ne sont pas nécessairement mises en œuvre. Nous avons un problème drastique. Il y a aussi le droit concernant l’acte sexuel entre des adultes consentants de même que celui au mariage et à l’adoption.

Vous demande-t-on votre orientation sexuelle lorsque vous postulez pour un emploi ?

Je voudrais préciser qu’il y a la “real sexual orientation” et la “perceived sexual orientation”. La perception découle du regard qu’une personne jette sur vous et c’est à partir de là qu’il y a une certaine discrimination dans le travail.

Vous avez parlé de violence. Comment se manifeste-t-elle ?

Cette violence existe partout, à commencer dans la famille, à l’école, sur les routes et au niveau des institutions. Il y a quelques années, une personne transgenre a accusé la police de brutalité. La violence n’est pas uniquement physique, elle est également émotionnelle. Un chantage constitue une violence émotionnelle. Il y a une grande violence verbale sur Facebook, où des gens utilisent des mots vraiment blessants envers certaines personnes. Il y a une violence économique au niveau de la famille. Un parent peut vous demander de changer votre mode de vie si vous ne voulez pas être expulsé de la maison. Ce sont les différents types de violence.

Le ministre de la Justice affirme être en faveur du dialogue…

Sa réaction est bien réfléchie et bien calculée. La façon dont le forum a été organisé et l’intervention des parlementaires représentent les grandes formations politiques qui se sont prononcées en faveur du changement et de la présentation des lois contre la violence et pour la sodomie. Cela prendra un peu de temps et nécessite des consultations mais il est bon que le ministre ait pris les devants. Il faut faire la différence entre une personne en tant que ministre, en tant que parlementaire et en tant que professionnel. Je pense que, dépendant de la position, où elle se trouve, elle veut faire quelque chose mais a des contraintes et c’est la raison pour laquelle on ne peut avancer aussi rapidement. Le changement doit être bien calculé et bien planifié afin de s’assurer que toutes les composantes de la population sentent qu’elles sont pleinement intégrées. Lorsqu’on parle de débats, il est important que ceux qui sont pour de même que ceux qui sont contre participent et puissent s’exprimer. Il faut qu’ils sentent que leurs opinions comptent dans ce débat. Ce que nous réclamons, ce ne sont pas de nouveaux droits mais les mêmes dont bénéficie tout le monde. Les LGBTI veulent tout simplement que leurs droits soient respectés.

Parmi ces droits, parlez-vous du droit au mariage ?

Cela fait partie des droits humains qui existent à Maurice : le droit de fonder une famille et de vivre avec la personne que vous aimez. Il nous faut vulgariser la population pour que tous ces droits soient respectés.

Pensez-vous que les LGBTI doivent être représentés au Parlement ?

Qui vous dit qu’ils ne sont pas représentés ? Peut-être qu’ils ne s’affirment pas. Dans le passé, il y avait sir Gaëtan Duval. Je suis d’accord qu’il y a plus de femmes au parlement aujourd’hui, mais j’aurais également souhaité que handicapés, des Mauriciens qui sont à l’étranger et ceux qui se sentent opprimés soient représentés au parlement.


Marjaana Sall, Ambassadrice de l’Union européenne : « Le LGBTI fait partie des droits humains »

« Ce débat a été organisé par la Commission des droits de l’Homme et fait partie des programmes financés par l’Union européenne. Pour nous, LGBTI (lesbian, gay, bisexual, transgender and intersex) fait partie des domaines des droits de l’homme qui nous intéressent. Les droits des LGBTI font partie des Droits humains. C’est un des sujets prioritaires qui font l’objet de discussions avec toutes les parties prenantes à Maurice incluant le gouvernement. »


Veda Baloomoody, député du MMM : « Les droits des LGBTI au-dessus  des considérations partisanes »

« Les droits des LGBTI sont au-dessus des considérations partisanes. C’est une question comparable à la peine de mort, à la légalisation de l’avortement qui devrait dépasser le “party line”. Lors des débats sur la légalisation sur l’avortement, il n’y avait pas eu de ligne politique. Chaque parlementaire, quel que soit le parti auquel il appartenait, avait le droit de décider en fonction de sa conviction et de sa conscience. Nous parlons des droits humains. Si nous l’abordons dans cette perspective, il ne sera pas difficile de convaincre les autres. Cependant, une préparation est nécessaire. Malheureusement, lorsque la Sexual Offenses Act a été débattue en 2008, il n’y avait eu aucune préparation. L’opinion publique n’avait pas été sensibilisée. D’ailleurs, dans la présentation du texte de loi, aucune mention de sodomie n’avait été faite. On avait eu l’impression que cet aspect avait été introduit en cachette dans le texte de loi. Had it been clear in the bill or had it been circulated prior to its presentation, the content of that bill probably would have been adopted. Par contre, concernant la légalisation de l’avortement, il y a eu des pour et des contre mais en fin de compte le texte de loi a été adopté. Au MMM, nous reconnaissons le droit à l’orientation sexuelle. Lorsqu’on avait présenté le Domestic Violence Bill, j’étais celui qui avait proposé que le viol dans le mariage soit un délit. Je me souviens que le gouvernement avait suspendu les débats pour consulter le parquet. Après une demi-heure, il a proposé que le “marital rape” soit incriminé. La question est de bien préparer la société. Il ne faut pas présenter une législation dans la précipitation. Le forum de ce matin est un bon début. Il faut continuer à parler de la question même si certains seront d’accord et d’autres non. Il est temps de placer cette question de sodomie dans le contexte des droits de l’homme et d’adopter la même approche que lorsque la loi sur l’avortement avait été présentée. »


Nicolas Ritter, directeur exécutif de PILS : « Assurer le respect des droits de tous »

« Ce débat a démontré que Maurice est arrivée à un stade où on peut discuter de la question des LGBT. C’est une avancée. Des choses intéressantes ont été dites, même si je n’adhère pas à tout ce qui a été dit ou si je n’ai pas bien tout compris. Le ministre Gobin a montré qu’il est ouvert à une certaine évolution même s’il reste prudent et très frileux et même s’il n’a pris aucun engagement en souhaitant que l’initiative vienne de la société civile plutôt que de la politique. Je pense qu’on élit des parlementaires afin qu’ils assurent que le droit de tous soit respecté et non pas pour faire de la science-fiction. »

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