FRIK LANDMAN : Un théologien reconverti dans le business

Global Natives est un institut de formation installé à Maurice qui vise à des actions qui ont un réel impact dans l’activité professionnelle de ses bénéfi ciaires. C’est dans le cadre de son partenariat avec l’Université de Stellenbosch Executive Development Ltd, que Global Natives a reçu, au début d’avril, Frik Landman, le CEO de cet institut. Rencontre avec un théologien reconverti dans les affaires qui affi rme qu’une nouvelle race de patrons est en train de naître et qu’au niveau du développement, l’Afrique va rattraper son retard sur le reste du monde.  
 Frik Landman a fait des études de philosophie, de psychologie et de théologie avant d’exercer le métier de prêtre et d’enseignant en théologie en Afrique du Sud. Comment êtes-vous passé du monde de la spiritualité à celui des affaires ? (Sourire). Peut-on dire que vous avez abandonné Dieu pour le business ? (Rire). “God is not limited to a church ! J’opère dorénavant dans un autre département de son univers. Mais plus sérieusement, il est arrivé un moment dans ma vie où j’ai senti que je devais faire autre chose au niveau professionnel. J’avais passé la moitié de ma vie au service de Dieu en étudiant et en enseignant. Je savais qu’il fallait que je continue à mettre mes connaissances au service du développement des autres. Venant d’une famille de businessmen, je suis retourné à la source, d’autant plus que le fonctionnement — l’appréhension même —, du monde des affaires était en train de changer. On est en train de passer au capitaliste pur et dur à des hommes d’affaires plus humanistes, plus conscients du fait que l’entreprise ne peut prospérer qu’avec la collaboration, l’implication de tous ceux qui en font partie et que, partant, il faut améliorer leurs conditions de travail. Le leadership responsable est la seule manière de diriger effi cacement une entreprise.
C’est ce qu’enseignent de plus en plus les business school, c’est un concept philosophique aussi.” De quand date ce changement de concept ? “De la fi n du siècle dernier, mais je crois que la grande crise économique mondiale a été un déclencheur. Elle a changé les conditions de vie et la manière de vivre de millions d’êtres humains et surtout de directeurs d’entreprises. Ils ont commencé à réagir et à réfl échir, à se dire : ‘Nous devons faire différemment de ce que nous avons fait jusqu’à maintenant’. C’est un changement des pratiques humaines qui nous mène vers un capitalisme conscient de ses responsabilités sociales envers la communauté. On ne pense plus au profi t immédiat, mais à ce que nous allons laisser à nos enfants, à nos petits-enfants. On ne peut plus décider et imposer, faire exécuter. Aujourd’hui, il faut faire comprendre, obtenir l’adhésion de ses employés, savoir accueillir les talents pour réaliser les objectifs. Tout cela se fait dans le dialogue, le partage. C’est une révolution. Un nouveau langage international, avec un fort accent sur les limites de nos ressources naturelles, la protection de l’environnement, la nécessité d’agir de manière responsable, est en train de naître. Les hommes businessmen viennent de découvrir récemment la signifi cation du monde : c’est comme si l’homme découvrait le feu pour la deuxième fois.” Estce que tous les patrons, surtout ceux de l’ancienne école du business, acceptent facilement la nouvelle manière de faire, de fonctionner ? “Ils sont bien obligés, c’est une nouvelle manière de fonctionner, un phénomène irréversible.” Est-ce que ce changement de mindset a aussi gagné le monde des affaires en Afrique ? “Non, et ce pour des raisons tout a fait évidentes. Les dix meilleures entreprises mondiales sont situées aux USA, en Asie et en Europe. L’Afrique, qui est le continent le plus riche au monde en termes de ressources naturelles, est, pour le moment, le continent le plus pauvre du monde en termes de développement et d’utilisation de ces ressources. Nous commerçons avec tous les pays du monde, mais nous ne commerçons pas entre nous. La majeure partie des pays d’Afrique ont un faible taux de croissance, pour ne pas dire, une croissance négative avec un chômage très fort. Nous cédons nos matières premières aux pays américains, asiatiques ou européens pour les transformer, et y ajoute de la valeur tout en fournissant du travail à leurs habitants et, en plus, ils viennent nous vendre les produits fi nis fabriqués à partir de nos matières premières.” Pour mettre fi n à cette situation, UBS Executive Development Ltd propose des programmes de formation des leaders africains. “Notre objectif est de former des leaders, des managers et des cadres pour développer les pays d’Afrique, pour créer un réseau de compétences à travers tout le continent afin de mettre ensemble, dans une même stratégie de développement, le secteur public, le secteur privé et la société civile. Il faut donner l’occasion à ces leaders, ces dirigeants, ces cadres de se connaître et mettre en place les structures n é c e s s a i r e s pour le développement du continent africain à tous les niveaux et dans tous les domaines. Nous avons une population jeune – 640 millions d’Africains ont moins de 24 ans – qui vit dans un état de pauvreté. Il faut que les leaders africains réfl échissent aux moyens d’utiliser et de développer nos ressources en donnant du travail à nos jeunes.” Les gouvernements africains ne le font pas ? “Pas assez et pour plusieurs raisons. Il y a malheureusement en Afrique de graves problèmes, des disparités, des frontières, des confl its entre pays, ce qui ralentit le développement. Exemple, il faut construire des routes dans tout le continent, nous avons de grandes compagnies de constructions, mais au lieu de les utiliser, nous faisons appel à des étrangers. Nous ne nous c o n n a i s s o n s pas assez entre nous, nous nous méfi ons de nos voisins et ce sont les compagnies étrangères qui en profi tent. Le gouvernement est là pour créer les conditions, mais il appartient au secteur privé et à la société civile de privilégier l’innovation, l’inventivité, de saisir les opportunités. Et pour cela il faut des leaders, des cadres formés. Les dirigeants sont convaincus de la justesse de cette stratégie, mais elle n’est pas encore, faute de moyens et de personnes formées, mis en pratique dans la réalité.” Cela fait au moins dix ans que l’institut dirigé par Frik Landman prêche cette bonne parole en Afrique, est-ce qu’elle est écoutée, estce que des résultats positifs ont été enregistrés ? “Ils ne sont pas aussi rapides que nous l’aurions souhaité, mais ils sont encourageants. La stratégie que nous prônons est en train de se mettre en place parce qu’il n’y a pas d’autre solution. Si les Africains ne développent pas leurs pays, les autres ne le feront pas pour eux.” Cependant, souligne Frik Landman, il faut proposer cette stratégie de formation tout en tenant compte des spécifi cités de chaque pays. “Nous faisons attention à ne pas être perçus comme une autre race d’impérialistes qui viennent imposer leurs cultures et ne pas entrer dans un pays comme des conquérants, mais travaillons en collaboration.
Nous allons par invitation ou dans le cadre de partenariats bien définis. C’est ce que nous faisons, par exemple, au Kenya, en Tanzanie, en Éthiopie où nous travaillons avec les institutions tertiaires existantes. Ils nous apportent le contexte local que nous n’avons pas à découvrir à travers des études ou par la méthode « trial and error », nous sommes immédiatement dans le bain. Nous ne voulons pas répéter l’erreur des Européens et des Américains qui ont longtemps pensé que l’Afrique était un seul pays et qu’un programme fait pour le Botswana pouvait être répliqué sur l’ensemble du continent. Nous n’allons pas dans un pays avec un kit déjà préparé, mais proposons une approche.
Nous disons : nous avons les outils, mais il faut nous dire quel type de bâtiment il faut construire, dans quel type d’environnement et avec quelles spécifi cités. Nous ne disons pas : faites ce que nous savons et qui a marché ailleurs, mais faisons ensemble pour répondre à vos demandes et vos besoins. Si vous ne pouvez pas ajouter de la valeur à nos programmes, alors notre philosophie est mal pensée.” Revenons à la nouvelle race de patrons et à la nouvelle manière de faire du business. Est-ce que dans dix ou vingt ans les patrons seront des modèles d’humanité ? “Pas dans tous les pays du monde.
Les choses iront plus vite en Europe et aux Etats-Unis et certains pays d’Asie. Ce ne sera pas le cas en Afrique pour des raisons évidentes. Singapour a eu besoin de trente ans pour devenir ce qu’il est aujourd’hui après avoir massivement investi dans l’éducation. Nous ne l’avons pas fait en Afrique, nous n’en avions ni les moyens, ni la volonté. Mais ceci étant, en Afrique les confl its sont moins nombreux qu’il y une dizaine d’années, les élections sont de plus en plus organisées – et les résultats acceptés – et le désir des Africains de développer leurs pays et d’améliorer leurs conditions de vie est immense.
Comparé aux autres continents, l’Afrique est en retard, mais nous avons les ressources naturelles et les ressources humaines nécessaires pour rattraper ce retard. Et nous le ferons plus rapidement avec des leaders, des managers, des cadres et une main-d’oeuvre formée. Nous avons besoins de nouveaux leaders politiques qui s’occupent de défendre les intérêts de leurs peuples, pas les leurs. Malheureusement, ce n’est pas majoritairement le cas actuellement. Mais je ne crois pas que les Africains vont accepter cette situation encore longtemps.”

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