GÉOPOLITIQUE—CHRONIQUE À RICOCHETS: Le réveil des pays émergents et non-alignés

Le résultat de la délibération ayant trait à la revendication de l’archipel des Chagos par Maurice, a donné raison à notre ministre mentor sir Anerood Jugnauth et au leader du Groupe des Réfugiés Chagos, Olivier Bancoult, sans pour autant faire l’impasse sur la contribution de la communauté chagossienne et mauricienne. Le vote des 94 pays pour l’obtention d’une Advisory Opinion de la Cour internationale de Justice quant à l’intégrité territoriale de notre République est porteur de leçons, surtout que ces Etats-là font partie des pays émergents et non-alignés.
La réponse positive de l’Inde est très bien vue par les autorités mauriciennes d’autant que ce grand pays ami a toujours voulu être auprès de Maurice dans ce long combat que mènent nos frères chagossiens depuis plus d’un demi-siècle. En tant que pays non-alignés, l’Inde tout comme L’Égypte, le Cuba et l’Afrique du Sud, parmi tant d’autres, ont soutenu la cause mauricienne. La position des pays non-alignés prend en compte l’importance de « s’assurer de l’indépendance nationale, la souveraineté, l’intégrité territoriale et la sécurité des pays non-alignés dans leur lutte contre l’impérialisme, le colonialisme, le néocolonialisme, le racisme et toutes les formes d’agression étrangère, l’occupation, la domination, l’interférence ou l’hégémonie ainsi que contre le grand pouvoir et la politique du bloc », comme affirmé par Fidel Castro dans la Déclaration de La Havane de 1979.
Les pays émergents, eux aussi, s’inscrivent dans la posture des pays non-alignés dont l’Île Maurice en fait partie comme pratiquement tous les pays africains. La perspective de s’unir contre les ex-puissances coloniales demeure louable d’autant que ces pays-là ont fait de gros efforts pour lutter contre le colonialisme et le contrôle de l’État par une force étrangère.  Le cas des Chagos interpelle, en particulier la manière dont l’excision fut entreprise dans des conditions douteuses et toujours floues. À ce jour, 15 pays se sont alignés sur la position britannique. Toutefois, on note un bon nombre d’abstentions, provenant de différents pays dont des membres de la puissante Union européenne et des anciens dominions anglais comme l’Australie et Le Canada. Pas mal de pays développés ont préféré s’abstenir soit pour contrer le ‘Brexit’, qui a fragilisé l’union des pays riches en Europe, soit par respect aux traités de coopération économique avec la plus grande puissance du monde, les États-Unis. La peur de froisser l’Oncle Sam aurait certainement penché en la faveur du vote d’opposition.
Dans cette optique, on ne peut que vivement saluer la contribution des pays émergents et non-alignés qui ont soutenu notre petite île tout en bravant l’intimidation qu’auraient pu causer les États-Unis et la Grande Bretagne. On trouve naturellement l’Argentine à nos côtés car cet Etat souverain s’était déjà opposé aux Britanniques dans la guerre des Malouines en 1982 au temps où ils voulaient fusionner ces îles à leur grand pays. On apprécie aussi la position des pays de l’Amérique du Sud qui se sont majoritairement ralliés à notre cause.
Le jeu de dés : puissance et militantisme
La revendication des Chagos comme partie du territoire mauricien illustre notre combat de longue durée contre les puissances impériales. La guerre froide après la Deuxième Guerre Mondiale se voulait un jeu de dés non seulement sur terre mais surtout au plan maritime. Dans les années soixante-dix, des sous-marins russes suivaient tout mouvement de leurs ‘ennemis naturels’, les États-Unis. Si les tensions existaient dans l’Atlantique avec le Cuba comme petite terreur à la porte d’entrée des USA, l’océan Indien fut aussi une région de prédilection quant aux déplacements des navires de guerre. Vers la fin des années 70, on entendit parler de l’océan Indien comme une zone de paix démilitarisée, mais seulement en paroles.  La guerre froide ambiante se manifestait par le désir ardent des Américains de quadriller les mers de manière stratégique pour mieux suivre l’évolution russe sous la férule de Leonid Brejnev. À la fin de 1979, compte tenu de l’encombrante présence américaine à Diego Garcia, l’ex-Union Soviétique envahit l’Afghanistan pour mieux asseoir sa présence dans la région. On reconnaît les incessants mouvements des navires russes dans l’océan Indien et l’effort des Russes de chercher des alliés, dont Madagascar et les Seychelles.
On sait aussi que le militantisme, une philosophie adoptée par les partis de gauche, dont le MMM, fut aussi puisé de l’idéologie prônée par les Soviétiques. Pour contrecarrer cette perspective, la volonté de laisser le soin aux Américains d’établir une base militaire à Diego Garcia avait une importance particulière car des agitations gagnèrent du terrain dans la région, en particulier au vu du retour des mollahs en Iran, de la crise indo-pakistanaise, de la guerre entre l’Iran et l’Irak (1980-89) et les premières tensions en Afghanistan. On se souvient aussi de la destruction d’un avion civil japonais transportant 237 passagers qui survolait la zone armée d’Hokkaido occupée par les Soviétiques.
Durant ces années, la revendication d’une zone de paix et la libération des Chagos furent perçues comme des arguments utopiques venant des penseurs militants voulant se débarrasser de l’impérialisme, de la domination et de l’expulsion des peuples libres mais pauvres. On se souvient d’une première rencontre en 1979 de Sir Richard Luce qui vint à Maurice comme émissaire de Lady Margaret Thatcher pour, au moins, écouter les Chagossiens, dits ‘Ilois’ à l’époque, et entendre leurs doléances. Auparavant, sous le régime d’Harold Wilson, une petite compensation fut à l’agenda et rien de plus car la question du retour de ce peuple aux Chagos fut mise au rancart avec la contribution sournoise du grand frère américain.
La chute du Mur de Berlin suivie d’un réveil des non-alignés
La donne géopolitique change vers la fin des années 80 suite à la chute du Mur de Berlin ouvrant grandes les portes à la démocratie, l’affaiblissement suivi par l’effondrement du bloc russe et aussi une mort certaine de la guerre froide. Cet événement majeur donna droit à une légitimité accrue de la part des pays non-alignés et indépendants qui voulurent se montrer plus ouverts quant à leur démonstration de force dans pas mal d’instances. Ainsi, l’occupation russe fut abandonnée en Afghanistan cédant sa place à une nouvelle configuration, d’où la longue occupation américaine…   Les non-alignés voulurent croire à un développement économique plus ouvert qu’auparavant en libéralisant leurs économies et leurs marchés prédominés par une économie marxiste.  
Dans l’océan Indien, on commença enfin à croire que les Chagos pourraient être cédés aux autorités mauriciennes vu que le premier traité de l’occupation américaine sur Diego Garcia allait prendre fin en 2015.  Or, ce ne fut pas le cas car les Britanniques voulurent construire un parc marin aux Chagos pour soi-disant protéger l’environnement maritime tombant sous ‘leur juridiction’ d’une communauté appelée le ‘British Indian Ocean Territory’ connue par les anciens étudiants en primaire comme le BIOT.  Les échéances pour retarder ou mieux anéantir les chances de rétrocession furent accélérées avec des menaces portant sur les accords d’échanges commerciaux entre Maurice et la Grande Bretagne et les États-Unis.
Le soutien indéfectible des 94 pays montre que l’effort des Chagossiens et des Mauriciens commence à se faire ressentir quand les pays émergents commencent à avoir une croissance économique soutenue et que les non-alignés jurent ne plus faire confiance à ce jeu inopportun de l’échiquier géopolitique dans leurs relations diplomatiques. Ce bel effort de solidarité porte ses fruits et augure d’un certain espoir à l’approche de nos 50 ans d’indépendance. On ne sait néanmoins quand poindra la lumière du vrai espoir …

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