GEORGE RAFAËL LESTE, président de l’Assemblée de Dieu : « Oui, la foi peut déplacer les montagnes »

L’Assemblée de Dieu de Maurice vient de célébrer ses cinquante ans d’existence le mois dernier. En un demi-siècle, cette association religieuse, partie de strictement rien, compte aujourd’hui 144 églises à travers Maurice et revendique plus de 100 000 fidèles. Dans l’interview qu’il nous a accordée cette semaine, le pasteur George Leste, président de l’Assemblée de Dieu, raconte son parcours qui suit le cheminement de son association, un parcours jalonné de multiples obstacles. Son souhait pour les cinquante du mouvement : que cette association, qualifiée de secte au départ, soit légalement reconnue comme une religion.
Essayons, pour commencer, de dissiper les malentendus et autres informations erronées sur votre mouvement. Quelle est l’origine de l’Assemblée de Dieu ?
— Depuis des siècles, il y avait, à travers le monde,de petits groupes de chrétiens qui voulaient revenir à une foi plus conforme aux enseignements de l’Évangile et de Jésus-Christ. Ces groupes ont accordé une grande importance à la Pentecôte, ce qui fait qu’on les a appelés les pentecôtistes. Au début du siècle dernier, le mouvement a vraiment pris de l’ampleur à partir d’un camp de prière au Kansas, puis partout aux Etats-Unis. La popularité du mouvement n’a pas fait plaisir aux églises officielles qui ont expulsé leurs fidèles qui allaient dans ces réunions de prières. Les expulsés ont été obligés de créer leurs propres églises et ils ont été suivis par un grand nombre de convertis à leur doctrine. Aujourd’hui, l’Assemblée de Dieu compte plus de 97 millions de fidèles et des centaines de milliers d’églisesdans le monde entier.
Comment fonctionnent les Assemblées au niveau mondial ? ya t-il une organisation, des chefs, des évêques et des cardinaux pour des régions et, au sommet un chef, un pape ?
— Le mouvement des Assemblées de Dieu n’a ni pape, ni gourou, ni fondateur, ni maison mère, ni aucune autorité centrale. Nous sommes des hommes et des femmes de toutes les races qui se reconnaissent dans un seul livre, la Bible, plus particulièrement le Nouveau Testament. Chaque pays a sa propre organisation et son autonomie et les présidents des pays font partie d’une convention mondiale qui se réunit tous les quatre ans. A Maurice, le mouvement national est dirigé par cinq membres élus lors d’élections qui ont lieu tous les ans, sous la supervision d’un représentant du commissaire électoral. Nous avons aussi un corps pastoral qui rassemble tous les pasteurs.
Comment devient-on pasteur dans les Assemblées de Dieu ?
— Il faut avoir au départ la vocation, savoir répondre à un appel du Seigneur et puis améliorer sesconnaissances de la Parole de Dieu par des études et le travail sur le terrain. Celui qui a la vocation et entend l’appel se fait remarquer des autres. Il n’y a pas de hiérarchie, il y a des hommes qui ont une vocation profonde et répondent à l’appel de Dieu pour se mettre au service des autres, pour leur expliquer le contenu de la Bible et ses enseignements.
Est-ce que, comme on l’a souvent dit, le converti à l’Assemblée de Dieu doit donner une partie de son salaire au mouvement ? Autrement dit, quel est votre système de financement??
— Je sais qu’on a dit beaucoup de choses sur notre méthode de financement et qu’on nous confond facilement avec d’autres mouvements. Notre seule source de financement, ce sont les offrandes des croyants chaque dimanche. Ce sont des offrandes qui sont volontaires et pas du tout imposées. Chez nous, il n’y a pas l’obligation de donner dix pour cent de son salaire tous les mois comme c’est indiqué dans la Bible. Les Assemblées sont la nouvelle alliance et le don mensuel n’est pas obligatoire. Le croyant peut donner ce qu’il veut ou ne rien donner du tout, ce qui ne change rien pour lui.
Combien peuvent rapporter ces dons volontaires et non imposés ?
— Ils dépendent des régions et des églises, de l’importance des Assemblées etdu nombre de croyants. Chaque église a son propre financement, son propre budget et son autonomie.
L’Assemblée de Dieu est-elle une église, un mouvement ou une secte ?
— Prenons le mot secte. Au début de la chrétienté, Jésus et ses disciples étaient qualifiés de membres d’une secte par rapport au judaïsme. Quand l’apôtre Paul entre à Rome il est dit que la « secte » dont il fait partie rencontre beaucoup d’oppositions. On a qualifié leur mouvement de secte parce qu’il ne fait plus partie du judaïsme, propose une nouvelle manière de servir Dieu. Au début des activités de l’Assemblée à Maurice, dans les années 1960, on nous a considérés comme une secte. Avec une connotation très péjorative qui est restée. Depuis le départ, nous avons lutté contre cette définition pour dire que sommes une église, une assemblée de croyants qui célèbre la Parole de Dieu. On peut nous qualifier comme on veut, nous, nous savons qui nous sommes et, petit à petit, nous sommes reconnus pour cela : des croyants en la Parole de Dieu.
L’Assemblée de Dieu est effectivement reconnue par les autorités chrétiennes puisque son anniversaire a été célébré en présence du cardinal catholique et des évêques anglican et presbytérien. Est-ce qu’on peut dire qu’aujourd’hui les autres églises chrétiennes la considèrent comme un cousin éloigné ou un frère ?
— Je dirais qu’elles nous considèrent aujourd’hui plutôt comme un frère, ce qui n’a pas été toujours le cas, comme tout le monde le sait. Au début, les autres églises ne comprenaient pas bien notre mouvement. C’est pour cette raison qu’on nous a qualifiés de secte et qu’on nous a combattus. Mais avec le temps, on s’est rendu compte que nous n’étions pas une petite secte, mais une église solide avec des dizaines de milliers de croyants. A partir de ce moment, les choses ont changé et nous avons été reconnus pour ce que nous sommes : un mouvement chrétien qui prêche l’Evangile.
Le rejet, pour ne pas dire l’opposition de départ, était surtout causé par le fait que l’Assemblée recrutait ses croyants parmi ceux des autres églises et même au sein de la communauté indo-mauricienne, ce qui a été souvent dénoncé à l’époque par certaines organisations socioculturelles.
— Nous n’avons jamais cherché à séduire ou à recruter les membres d’autres églises ou d’autres religions. Nous n’avons fait — et nous ne faisons — que montrer la vérité aux personnes. Nous montrons la lumière à ceux qui sont dans les ténèbres, nous montrons la vérité à ceux qui sont l’erreur, nous expliquons comment la foi pourrait guérir la maladie et permettre un nouveau départ pour une nouvelle vie meilleure dans tous les sens du terme. Les gens se sont retrouvés dans notre manière d’aborder la Parole de Dieu, de prier, de vivre et ils nous ont rejoints. Et ces personnes qui ont quitté leurs anciennes églises et religions pour rejoindre l’Assemblée de Dieu témoignent de ce qu’elles ont trouvé et nous vivons en harmonie avec nos voisins là où sont situées nos assemblées, c’est-à-dire dans tout le pays. Ce n’est pas nous qui forçons les gens à venir chez nous, c’est le message de Dieu qui les attire. On ne peut pas lutter contre ce message.
J’ai parcouru le magazine souvenir édité pour les 50 ans du mouvement et une chose m’a choqué : les femmes sont présentées comme des épouses des responsables et n’y ont aucun rôle.
— Ce sont les épouses des responsables et de tous les fidèles qui sont chargées de l’éducation religieuse de nos enfants. Elles sont responsables des écoles du samedi et du dimanche, elles rendent des visites aux malades et aux personnes âgées. Elles sont donc engagées dans la vie de l’Assemblée et aident les pasteurs à faire leur travail.
Il n’y a aucune femme pasteur chez vous ?
— Cela viendra avec le temps. De par le monde, il y a des femmes qui prêchent dans les Assemblées deDieu. A Maurice, nous n’avons pas encore franchi cette étape, mais cela viendra. ll y a des soeurs qui animent déjà des réunions, commencent à prêcher.
Comment expliquez-vous le fait qu’en 1967 Aimé Cizéron a obtenu un rapide succès dans un pays où les religions étaient bien établies.
— La Parole de Dieu ne peut qu’attirer les hommes à la recherche de la vérité. C’est ce qui a eu lieu quand Jésus a commencé à prêcher en attirant des foules, même dans le désert. Jésus avait un message qui correspondait auxfoules qui venaient l’écouter : les malades étaient guéris et ceux qui étaient dominés par le mal libérés. Les apôtres ont fait la même chose et quand Aimé Cizeron est venu à Maurice, il n’a fait que répéter ce que disait Jésus et, par la suite, ses apôtres : c’est le même message, la même mission. Au départ, on a commencé dans une salle à Beau-Bassin, puis à Port-Louis et rapidement le bouche-à-oreille a fonctionné et les foules ont grossi pour écouter la Parole de Dieu et l’imposition des mains. Il y a eu des malades qui ont été guéris et d’autres délivrés de l’esprit du mal qui vivait en eux. A un moment, il y avait tellement de personnes qu’on a dû chercher un endroit pour les accueillir. C’est comme ça qu’on est allés dans la cour du cinéma Hall à Rose-Hill.
Et c’est à ce moment que le père Henri Souchon, dont les ouailles quittaient en grand nombre son église pour l’Assemblée de Dieu, a qualifié le mouvement de « religion Panadol ».
— Il se trompait. Le Panadol est un comprimé qui fait passer la douleur, mais l’ADD, avec la Parole de Dieu, guérit la maladie. Et de cela des milliers et des milliers de Mauriciens en ont témoigné par la suite.
Vous êtes un des premiers Mauriciens à rejoindre le mouvement en 1967/68. Quelle est votre histoire ?
— Je suis né à Plaisance, Rose-Hill, dans une famille très pauvre. Quand j’ai eu 5 ans, mes parents se sont séparés, ma soeur, mon frère et moi avons suivi notre mère dans le Sud, à St-Aubin. Nous étions pauvres et maman travaillait comme bonne et moi je devais veiiler sur mon frère et ma soeur et je ne suis pas allé à l’école. Plus tard, j’ai été placé comme apprenti chez un tailleur. Nous étions des catholiques très pieux et  passions notre vie à prier pour demander à Dieu de nous donner de quoi vivre et nous sortir de la misère. J’ai toujours préféré prier plutôt que d’aller jouer. J’ai été enfant de choeur, je voulais devenir prêtre, mais je ne savais pas lire. Et puis, un jour, on a entendu dire qu’il y avait quelqu’un qui prêchait la Parole de Dieu et faisait desguérisons à Rose-Hill. Des gens de mon village ont décidé d’aller voir ce qui se passait et un groupe, incluant ma mère et moi, est allé au cinéma Hall. C’est comme ça que je suis entré dans l’Assemblée, il y a cinquante ans. Je fais partie des premiers membres, des premiers convertis qui sont devenus, par la suite, les pasteurs, les formateurs et les responsables.
Vous avez rapidement grimpé les échelons ?
— Pas du tout. J’ai été le plus jeune dans le premier service de baptême le 5 janvier 1968. J’ai rencontré M. Cizeron et je lui ai dit que je ne savais pas lire, mais que je voulais apprendre. Lui et les autres m’ont aidé à apprendre à lire et à écrire. Ensuite j’ai fait du porte-à-porte pour distribuer la Nouvelle Parole. J’ai appris à lire et j’ai continué à apprendre, je suis devenu stagiaire, prédicateur, puis pasteur en 1974 et aujourd’hui président des Assemblées.
 Est-ce que vous étiez, à l’époque, en mesure de comprendre et d’apprécier la signification de ce que disait Aimé Cizeron sur le message de Jésus ?
— Il avait, comme les apôtres du Christ, une manière de parler de la Parole de Dieu qui ne pouvait laisser insensible. Comme il est dit dans la Bible, les apôtres parlaient de manière à ce que les juifs qui les écoutaient les comprennent. Et puis, dès le départ, les prédicateurs ont parlé créole, ce qui n’était pas le cas dans les autres églises, ce qui a permis aux Mauriciens de comprendre ce qui se disait. On n’avait jamais entendu parler de l’Evangile de cette manière, avec les mots qu’on utilisait tous les jours. Enfin, on comprenait la Parole de Dieu et on se rendait compte de sa force et des foules entières pleuraient de joie. Enfin, on pouvait participer à la prière au lieu d’être un simple spectateur. Enfin, les gens se parlaient entre eux et partageaient leurs peines et leurs souffrances en créant une communauté fraternelle. Et cela continue aujourd’hui dans nos assemblées ou nous recherchons le salut et la guérison. Le salut concerne notre âme, notre esprit, notre vie éternelle. La guérison concerne notre vie, notre situation, notre environnement.
En 1972, après un démarrage, les missionnaires étrangers sont expulsés de Maurice. S’il n’y avait pas eu cette expulsion, l’Assemblée de Dieu aurait connu le même développement ?
— On n’a jamais su qui avait demandé et obtenu cette interdiction et pour quelles raisons. Mais il est vrai que cette interdiction a créé un lien très solide parmi les croyants. Cela a contribué à nous donner une nouvelle force pour continuer la mission et faire passer le message. A partir de là, les Mauriciens ont pris les choses en main et le travail a continué.
Était-il facile à l’époque de quitter une religion établie pour aller vers une nouvelle, mal connue, mal considérée ?
— C’était un mouvement, un élan, une réponse à un appel venue du Seigneur. Nous n’avions pas d’église, pas de bâtiment pour les réunions de prières. Nous faisions des réunions sous des arbres, dans des jardins publics, dans des salles qu’on voulait bien nous prêter. Mais nous avions avec nous une chose essentielle : la foi. Oui, la foi peut déplacer les montagnes et nous avons pu le constater. Sans la foi des croyants, l’Assemblée de Dieu ne serait pas devenue ce qu’elle est aujourd’hui. Nous avons chez nous un sens de la solidarité, du partage et
du volontariat qui fait aussi la différence.
Il y a aussi le fait que les croyants ne boivent pas, ne fument pas…
— C’est un changement d’habitudes qui arrive avec le changement de vie par l’Évangile. Nous ne demandons pas aux croyants d’arrêter de boire ou de fumer. Le croyant le fait de lui-même spontanément, naturellement. Parce qu’il entre dans une nouvelle vie qui n’a pas besoin des habitudes de l’ancienne.
Vous avez beaucoup parlé de ceux qui sont venus rejoindre le mouvement mais il y a aussi ceux qui l’ont quitté.
— C’est vrai et c’est encore une preuve que nous ne sommes pas une secte. Parce qu’on ne peut pas quitter une secte. Il y a eu des personnes qui nous ont quittés pour différentes raisons…
Comme ceux qui ont créé l’église chrétienne. Pourquoi ont-ils quitté l’Assemblée de Dieu ?
— Ceux qui la quittent l’ont fait pour plusieurs raisons : refus de se soumettre à l’autorité, manquements à la discipline, pressions familiales. En ce qui concerne M. Hardy et ceux qui sont avec lui, nous avons cheminé ensemble pendant un moment. Mais il y avait la mission venue de la France, à travers La Réunion avec M. André Cizeron et une autre mission venue, elle, de l’Afrique du Sud avec un autre prédicateur. Ils ont préféré quitter l’Assemblée et suivre la voie sud-africaine. C’est leur choix.
oCombien de croyants compte l’Assemblée ?
— Nous sommes enregistrés comme une association auprès du Registrardes associations. A ce titre, nous avons besoin d’un certain nombre de membres enregistrés pour tenir nos assemblées générales annuelles. L’Assemblée de Dieu compte à peu près 9 000 membres inscrits, et à travers nos 144 églises, nous comptons plus de 100 000 croyants.
oCela fait une bonne force électorale. Si en tant que président vous donniez un mot d’ordre pour une élection, est-ce qu’il serait suivi par les croyants ?
— C’est un sujet qu’on n’a jamais abordé et je crois que c’est mieux ainsi. Il ne faut pas oublier que l’Assemblée est en quelque sorteune petite île Maurice ou chaque croyant a son opinion politique qui ne concerne que lui et il exerce son droit de vote comme il l’entend Nous sommes apolitiques et appelés à collaborer avec tous les gouvernements élus et à prier pour qu’ils travaillent àl’avancement du pays.
o  Que faut-il souhaiter à l’Assemblée de Dieu de l’île Maurice pour ses cinquante ans?
— Que nos croyants, qui sont plus de 100 000 arrêtent de subir une injustice. Nous sommes considérés à Maurice comme des citoyens de deuxième grade. Depuis des années nous faisons des démarches pour que l’Assemblée de Dieu soit reconnue comme une religion officielle. Nous sommes déjà reconnus par le Bon Dieu…
Est-ce que cette reconnaissance essentielle ne vous suffit pas ?
— Mais nous sommes aussi des citoyens mauriciens et demandons que nos droits soient respectés. Nous demandons que l’Assemblée de Dieu de l’île Maurice soit reconnue comme une religion par l’Etat.
Pour avoir droit aux subsides accordés par l’Etat aux religions ?
— Nous n’avons pas besoin de ces subsides, mais si nous les obtenons, comme c’est notre droit, nous les accepterons. Quand nous serons reconnus comme une religion, nous aurons le droit d’entrer dans les hôpitaux en dehors des heures de visite pour prier avec les malades. Nous pourrons également le faire dans les prisons pour répondre à des demandes. Nous aurons un droit d’antenne à la télévision où jusqu’à présent nous n’avons pas accès. Nous demandons à être reconnus comme une religion, comme c’est le cas pour d’autresà Maurice, parfois pour des groupes qui ont beaucoup moins de croyants que nous. L’Assemblée de Dieu est à l’image de Maurice dans sa richesse et sa diversité. Nos croyants sont de tous les milieux sociaux, de toutes les communautés et de toutes les autres religions. Nos églises sont partout à Maurice, aussi bien dans les villes que dans les régions rurales. Nous ne demandons qu’une chose : laissez-nous propager la Parole de Dieu pour permettre à l’île Maurice de changer, de devenir meilleure, plus solidaire qu’aujourd’hui.

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